De Milan à Rome, retour sur l’œuvre de Le Caravage, un assassin, mais surtout artiste de génie.
En octobre 1604, dans une sinistre prison de Rome, la Tor di Nona, on tire de son cachot un prisonnier chargé de chaînes. L’homme est rustaud, violent, de petite taille mais d’une impressionnante force physique. On l’attache au dur chevalet et l’interrogatoire commence.
Dur à la douleur, menteur, cynique, connu pour ses mœurs dissolues et sa fréquentation assidue des plus obscurs bas-fonds de Rome, habitué des batailles de rues, des expéditions nocturnes et de la violence, il a également de formidables appuis dans la cité papale. Car cet assassin est surtout un artiste de génie : Michelangelo Merisi, dit Caravage.
De Milan à Rome
Michelangelo dit Caravage est né le 29 septembre 1571 à Milan. Son père exerce des fonctions qui sont différemment définies selon les sources : contremaître, maçon ou architecte, il a le titre de “magister” ce qui indique qu’il est l’architecte décorateur de Francesco 1er Sforza.
La peste frappe Milan en 1576 si bien que sa famille se réfugie à Caravaggio. Il intègre à Milan en 1584 l’atelier de Simone Peterzano, qui se dit le disciple de Titien. Son contrat d’apprentissage dure 4 ans, à la fin de ces années, il déménage à Rome pour se perfectionner.
A Rome, il rencontre son premier mécène : monseigneur Pandolfo Pucci, puis un cercle de gens raffinés, composé de cardinaux, de riches marchands, de Grands d’Espagne, va reconnaître en lui un maître. On admire Le Jeune garçon portant une corbeille de fruits et Le petit Bacchus malade. A vingt ans, la gloire lui sourit.
Une anecdote biographique témoigne qu’étant enfant à la suite du suicide de son père, il devint taciturne et solitaire. Il a une amie, la petite Paolina qui est sourde et muette et qui boîte. Les gamins de Caravaggio vont se moquer de la petite fille. Michel-Ange la recueille pour la consoler. Il sort de sa poche un morceau de charbon et dessine son portrait sur le mur. Aussitôt le visage de la petite s'illumine, un sourire s’esquisse sur ses lèvres et peu à peu elle s’apaise.
L’œuvre de Caravage
Il exécute le grand Bacchus, mais son mécène Valentin souhaite qu’il peigne des sujets religieux , des crucifixions, des Vierges et des dépositions de Croix. Mais l’artiste s’obstine à rester fidèle à son propre style et exécute La Diseuse de bonne aventure. La toile est bradée. Désespéré, il abdique et promet d'exécuter une Sainte Madeleine.
Le prince Pamphili commande aussitôt une Sainte Famille en Egypte.
Reconnu, la fortune du jeune peintre est faite. Un atelier lui est réservé. Il peint La vocation de saint Matthieu qui fait toutefois scandale car pas trop catholique.
Provoquant Caravage ne recherche ni les commandes, ni les faveurs, il refuse les invitations des Grands et retourne dans les rues. Il va rencontrer Benedetto, son amant qui lui inspirera David.
Des peintures religieuses qui font scandale
Lorsqu’il exécute Le sacrifice d’Isaac pour le cardinal Barberini, futur Urbain VIII, il prend pour modèle d’Isaac, un gibier de potence. Il recommence lorsqu’il peint Saint Jean-Baptiste, qui lui valent un double scandale.
Lorsqu’il peint La Mort de la Vierge, Le Caravage prend pour modèle une prostituée. Le tableau est aussitôt refusé par les Pères carmélites. Le peintre est mis à l’index. Il souhaite s’éloigner alors de Rome pour partir pour Gênes.
Le Caravage, assassin
Fréquentant des milieux peu recommandables, il joue aux cartes avec un tricheur. Il tue son adversaire, ce qui le conduit à être emprisonné et torturé, mais il parvient à s’enfuir de Rome en escaladant de nuit la muraille de la ville éternelle. Il se retrouve à Naples où il peint pour les églises : Les sept œuvres de miséricorde et la Flagellation, La Madone du rosaire jugée trop provocante, sera refusée par les dominicains.
Un nouveau scandale en 1608 le conduit à l’incarcération à la prison San Angelo à La Valette sous le chef de sodomie et de violence, il est torturé par la faim, repris par des fièvres. Avec des complicités, il parvient à s’évader.
Il meurt seul, misérablement sur une plage le 18 juillet 1610.
Les caractéristiques de l’art du Caravage
L’une des caractéristiques de son travail est son usage très novateur du clair-obscur. Cet usage de la lumière et de l’ombre, caractérise le ténébrisme. Le fond de ses tableaux est sombre, la lumière vient éclairer le sujet central, par exemple pour la célèbre méduse (huile sur toile de lin montée sur bouclier en peuplier, 60X55 cm, 1597-1598, Musée des Offices, Florence).
Certains thèmes choisis sont terrifiants : Méduse est une synthèse de dramaturgie picturale, une façon de peindre l’horreur dans son essence même. Le petit bouclier peint à la demande du cardinal del Monte fait partie de ces tableaux qu’on n’oublie pas après les avoir vus. La surface convexe projette violemment le monstre vers le spectateur, qui reçoit en pleine figure cette venimeuse chevelure armée de mille serpents.
La manière noire inaugurée par Le Caravage révolutionne la peinture. Le drame des êtres s’exprime désormais par la lutte de l’ombre et de la lumière, par ces violents contrastes que matérialise l'opposition des trognes de soudards et du sourire des anges. Les éphèbes penchés au-dessus des nuages sont la grâce des figures baroques tendant aux suppliciés la palme du martyre. Des personnages contrastés vont naître sous le pinceau du Caravage, des personnages au rictus démoniaque et au corps d’athlète. La vie tumultueuse de l’artiste faite d’ombre et de lumière n’est pas sans fasciner d’autres artistes !