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M’jid El Guerrab - « Beaucoup de Français se sont sentis abandonnés »

M’jid El GuerrabM’jid El Guerrab
Écrit par Sandra Camey
Publié le 11 juin 2020, mis à jour le 12 juin 2020

M’jid El Guerrab, député de la neuvième circonscription des Français établis hors de France et auteur du livre Déconstruire la haine nous partage son engagement auprès des Français expatriés. Entre rapatriements et aides aux Français établis hors de France, le député des Français du Maghreb et de l'Afrique de l'Ouest plaide pour une France unie auprès de ses ressortissants.

 

Nous sommes forts d’un réseau consulaire constitué de femmes et d’hommes qui ne comptent pas leurs heures

lepetitjournal.com : Quelles sont les difficultés que rencontre le gouvernement pour rapatrier les derniers Français encore bloqués à l’étranger ?

M’jid El Guerrab : La première difficulté est de recenser les personnes. Nous avons aujourd’hui des fichiers Ariane qui ne sont pas opérationnels et exploitables par les consuls pour des situations comme celles que nous avons traversées. Nous l’avons constaté au Maroc. Il s’était dit que toutes les personnes avaient été rapatriées à la fin mars, alors qu’il y en a encore des milliers bloquées. Certains consuls, notamment au Maghreb, ont été obligés de créer leurs propres fichiers pour obtenir précisément la localisation de ces Français. Au Maroc, beaucoup de Français étaient bloqués dans le Nord et ils ont alors mis en place des cars pour aller les chercher et les déplacer d’un aéroport à un autre, dans un pays privé de liberté de circulation dû à la crise sanitaire. Malgré cela, le processus de recensement n’a pas été assez efficace et beaucoup de Français se sont sentis abandonnés et oubliés, les poussant parfois à des situations extrêmes. Nous avons eu des agents consulaires qui se sont fait agresser physiquement par des personnes excédées. 

La deuxième difficulté dans l’opération de rapatriement est les moyens. Depuis presque 20 ans, nous avons réduit les effectifs des consulats. Aujourd’hui, nous en payons les conséquences. Au moment où nous avions besoin de personnels pour répondre aux demandes de nos concitoyens bloqués, nous étions dans l’incapacité de le faire. Nos agents eux-mêmes étaient bloqués à cause du confinement. Nous nous sommes retrouvés dans une situation où les consulats ne répondaient pas. Des personnes m’ont montré les captures d’écran des centaines d’appels émis vers le consulat. Ces appels sont encore à ce jour sans réponse, car personne n’est capable d’y répondre dû au manque d’effectif humain.

Pourtant, les consuls ont fait un travail titanesque malgré la faiblesse des moyens à disposition. Ils ont fait preuve de résilience, d’ingéniosité et se sont adaptés à la situation. Nous sommes forts d’un réseau consulaire constitué de femmes et d’hommes qui ne comptent pas leurs heures et qui se sont battus pour les citoyens français. Même si cela ne s’est pas forcément vu. L’image qui me restera des rapatriements est celle du consul de Tanger, Monsieur Vallat. Début avril, il est monté sur un camping-car, équipé d’un microphone, pour diriger sur un parking et donner des explications à chaque camping-cariste qui attendait un ferry. Au moment où nous échangeons aujourd’hui, le rapatriement n’est toujours pas fini. Mais à force de travail, nous arriverons petit à petit au bout du tunnel.
 

Le gouvernement bouge et nous écoute

Selon vous, quel impact aura la crise sur les entrepreneurs français de la 9ème circonscription ?

L’impact de la crise sur les entrepreneurs français de l’étranger va être très dur car beaucoup sont dans le tourisme et dans les métiers qui sont directement impactés par le Covid-19 comme la restauration. J’ai alerté à maintes reprises nos autorités pour les prévenir que les dispositifs de soutien qui sont mis en place en France devraient pouvoir s’étendre aux Français établis hors de France. A force de le souligner, nous nous sommes faits entendre sur la mise en place d’un dispositif d’aide sociale et de bourses pour les familles, car le système scolaire est en danger. Mais pour les entrepreneurs, nous peinons encore à être entendus. Je ne désespère pas car à chaque fois que nous l’avons alerté, le gouvernement a été à l’écoute et a répondu présent.

Avec tous mes collègues comme Anne Genetet, Frederic Petit et Samantha Cazebonne, nous avons prévenu les ministres et nous attendons de voir ce qu’ils vont nous proposer. Mais ce qui est certain c’est que pour le moment, il n’y a pas eu de prise en compte de cette réalité. Mais je ne perds pas espoir. Le gouvernement bouge et nous écoute. Il reconnait le bienfait d’avoir des élus français à l’étranger.
 

Prêter de l’argent c’est bien, mais il faut avoir les capacités de le rembourser

Que pensez-vous du plan d'urgence qui a été mis en place pour les Français de l'étranger ?

Il y a deux choses centrales pour les Français de l’étranger. La première est la santé. S’il y a un gros risque sanitaire, il faut pouvoir y répondre. La deuxième est la capacité de rester à l’étranger, c’est à dire de pouvoir vivre à l’étranger, avoir ses enfants à l’école et s’installer dignement. Pour les écoles, nous avons été entendus et nous avons mis en place 150 millions d’euros d’aides. Ce sont 100 millions d’euros d’avancement de trésorerie qui vont se transformer en dotations et 50 millions d’euros pour des bourses de l’AEFE. Il ne faut pas oublier que prêter de l’argent c’est bien, mais il faut avoir les capacités de le rembourser.

Beaucoup de parents ont plaidé pour une baisse des frais de scolarité de leurs enfants pour « prestation non rendue ». Pourtant la mobilisation du corps enseignant a été assez extraordinaire. Ils se sont davantage mobilisés pendant cette période qu’en temps normal. Nous avons donc décidé de ne pas raboter de 10 à 15% les frais de scolarité pour l’ensemble des familles, ce qui représente environ 80 millions d’euros, mais plutôt de concentrer les efforts sur ceux qui en ont vraiment besoin. Les familles les plus en difficultés pourront ainsi bénéficier des bourses exceptionnelles mises en place. Par exemple, au Maroc, ce sont 500 familles qui ont déposé un dossier.
 

Le service des visas demande à être modernisé

Lors de votre mission parlementaire sur les visas, quels ont été les problèmes que vous avez relevés et qui empêchent le bon déroulement de l’attribution des visas ?

Ma mission parlementaire sur les visas a été arrêtée suite à l’annonce de la non circulation internationale. Nous devrions reprendre cette mission dès septembre et décaler nos interventions de six mois. Mais avec ma collègue, nous avons déjà pu constater des points bloquants. Le dysfonctionnement majeur est que tout est réalisé à la main et presque rien n’est numérisé. Chaque document déposé pour faire un visa est traité, vérifié et porté à la main. Le service des visas demande à être modernisé, notamment en Afrique. Cela explique parfois la lenteur du traitement des dossiers, comme par exemple les six mois d’attente pour poser une demande de visa. Nos amis africains et maghrébins nous le reprochent à juste titre.

Nous pouvons d’ailleurs remettre en question l’existence même des visas dans certains cas. A Rabat, il y a moins de 5% de refus. A quoi cela sert d’avoir un service aussi contraignant, avec autant de personnel alors que plus de 9 personnes sur 10 obtiennent leur visa ? Mais cela fait partie du contrôle et de la souveraineté des Etats.
 

Une 5° république rééquilibrée en faveur du Parlement

Vous avez publié il y a quelques semaines un ouvrage intitulé Déconstruire la haine, pourquoi ce titre ?

Lorsque nous devenons parlementaires, nous sommes fiers et heureux de représenter le peuple. Or j’ai été choqué de voir qu’il y avait une forme de colère, de haine à notre égard. Ce peuple, que nous sommes censés représenter, nous déteste sans raison ou simplement parce que nous exerçons cette fonction. Cette colère peut parfois être légitime. Beaucoup de parlementaires ont abusé et menti. J'ai essayé de comprendre cette haine en la déconstruisant. J'ai alors pris tous les reproches que la population nous faisait, comme celle de toucher un salaire énorme, et je suis rentré dans ce débat avec la dette parlementaire et les frais de l’Etat. J’ai voulu être transparent en partageant le salaire d’un parlementaire ainsi que les autres enveloppes et leurs fonctions. Tout cela en essayant de faire de la pédagogie.

On nous reproche d’être absents de l’Hémicycle. J’ai alors essayé d’expliquer le fonctionnement de l'Assemblée nationale qui, effectivement, mériterait d'être réformée. Dans ce livre, je fais aussi beaucoup de propositions pour réformer notre 5ème république qui, je crois, arrive à bout de souffle. Aujourd'hui, même après avoir été élu à au moins 60%, n’importe quel gouvernement se retrouve dans une situation où il est détesté. Nous avons l’impression qu’il faut absolument couper la tête du roi. J’essaie de comprendre pourquoi et je propose de changer, non pas de République, mais de changer le fonctionnement des institutions pour faire que le peuple tienne une place beaucoup plus importante dans les institutions. Je souhaite un Parlement fort face à l’exécutif. Cela nous amènerait à une 5e république rééquilibrée en faveur du Parlement avec des moyens de travailler, d’enquêter et d’agir sur le quotidien de nos concitoyens.
 

Nous avons un président de la République qui essaie d’apaiser les choses

Quel regard portez-vous sur le mouvement de contestation contre le racisme ?

Lorsque nous voyons que des personnes perdent la vie parce qu’elles ont été contrôlées par des policiers, nous ne pouvons qu’être triste. Mais je refuse que la police soit insultée et que nous parlions de « la » police. Il n’y a pas « la » police. Il y a des policiers, des êtres humains qui ont leurs bons comme leurs mauvais côtés. Chez les policiers, bien sûr qu’il y a peut être des racistes, mais il y a une majorité de bonnes personnes qui font un métier très difficile, dans un contexte qui est tendu depuis 1 an et demi, où il se font taper dessus, insulter et caillasser. Il peut malheureusement y avoir des débordements, mais ils ne font pas un métier facile. Maintenir l’ordre public dans des pays avec de grandes protestations sociales, est difficile et ils risquent leur vie pour nous. Je ne suis pas naïf. Je vois bien que certains aiment les débordements, mais nous ne pouvons pas mettre tous les policiers dans le même sac. Cela serait aussi une forme de racisme. Mais j’entends aussi le cri sincère de Camélia Jordana. Lorsque nous sommes jeunes et que nous nous faisons contrôler 3 ou 4 fois en recevant des insultes de policiers, nous en avons peur.

Je constate tout de même qu’aujourd’hui en France nous avons de la chance. Nous avons un président de la République qui essaie d’apaiser les choses, qui cherche à parler de nation, d’unité et de communauté nationale en intégrant tout le monde dans celle-ci. Alors qu’aux Etats-Unis, ils ont un président qui met de l’huile sur le feu en provoquant et en voulant envoyer l’armée. Nous avons donc la chance d’être dans un pays où il y a des hommes politiques responsables.
 

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