Édition internationale

Une enfance en expatriation : cadeau ou fardeau ?

Dans un monde où les frontières physiques et culturelles s’estompent, certains individus incarnent la globalisation de manière intime et profonde. Ces personnes, appelées Adultes de la Troisième Culture (ATCK, pour Adult Third Culture Kids), sont issues d’un vécu multiculturel unique. Ayant grandi dans plusieurs pays ou cultures durant leur enfance, elles portent en elles une richesse identitaire complexe mais également des défis particuliers.

Photo Enfance expatriationPhoto Enfance expatriation
Écrit par Expat Pro
Publié le 19 mars 2025, mis à jour le 21 mars 2025

Ecrit par Cécile Gylbert, Consultante en mobilité internationale et spécialiste de l'enfance en expatriation


 

 

Qu’est-ce qu’un adulte de la Troisième Culture ?

Le concept de « Troisième Culture » remonte aux travaux de John et Ruth Useem dans les années 1950 puis à ceux de David Pollock et Ruth Van Reken à la fin des années 90. Ils ont décrit les enfants élevés dans un environnement à la fois instable (expatriations multiples) et culturellement hétérogène comme appartenant à une « troisième culture » : un espace hybride qui n’est ni celui de la culture d’origine des parents, ni celui du pays d’accueil. Ces enfants, appelés Third Culture Kids (TCK), deviennent des ATCK une fois adultes, portant avec eux avec les bagages émotionnels et culturels de leur enfance.

Les ATCK ne partagent pas une origine géographique unique. Ce sont les enfants de diplomates, de militaires, de missionnaires, d’expatriés d’entreprises internationales ou encore de familles nomades. Leur enfance est caractérisée par des déménagements fréquents et une immersion dans diverses cultures, souvent sans jamais s’intégrer pleinement à aucune.

 

 

Photo d'un enfant avec un livre

 

 

Une richesse identitaire inestimable

Les ATCK apportent une perspective unique sur le monde, forgée par leurs expériences variées. Voici quelques traits souvent observés chez eux :

  • Adaptabilité accrue : Les ATCK sont souvent des caméléons culturels. Ayant été confrontés à des environnements changeants durant leur jeunesse, ils développent une capacité à s’intégrer rapidement dans des contextes sociaux ou professionnels différents.
     
  • Compétences interculturelles : Comprendre et naviguer dans les différences culturelles est souvent une seconde nature pour eux. Cela leur permet de jouer le rôle de médiateurs dans des situations internationales ou interculturelles.
     
  • Vision globale : Contrairement à ceux qui ont grandi dans une seule culture, les ATCK adoptent une vision du monde qui dépasse les frontières. Ils perçoivent souvent les problèmes sous un prisme global, ce qui les rend innovants et ouverts à des solutions non conventionnelles.
     
  • Multilinguisme et diversité cognitive : De nombreux ATCK parlent plusieurs langues et possèdent une grande flexibilité cognitive, leur permettant de penser de manière créative et de résoudre des problèmes complexes.

 

 

Photo d'une enfants qui dessine

 

 

Les défis d’un parcours atypique

Bien que leur bagage multiculturel soit un atout, les ATCK font face à des défis significatifs tout au long de leur vie adulte.

Crise identitaire et sentiment d’appartenance flou
Ayant grandi à cheval entre plusieurs cultures, beaucoup d’ATCK se sentent déconnectés des notions traditionnelles d’identité. C’est ainsi que certains ressentent ce manque d‘appartenance à un pays, à une culture, à un groupe d’amis. Ils sont toujours ceux qui doivent expliquer longuement leur parcours et souvent se sentir incompris ou affabulateur. Ceux qui jonglent au quotidien avec les langues, les cultures, les fuseaux horaires ou les codes de politesse. Ceux qui, à 25 ou 30 ans ne savent toujours pas répondre en trois mots à la simple question « D’où es-tu ? » sans anxiété et frustration. Ils se décrivent souvent comme appartenant « de partout et de nulle part », ce qui peut engendrer un sentiment de déracinement.

  1. Choc culturel inversé
    Lorsque les ATCK retournent vivre dans leur pays d’origine (souvent pour la première fois en tant qu’adultes), ils réalisent qu’ils ne comprennent pas toujours les codes sociaux, les normes et les valeurs de leur propre culture, ce qui peut renforcer leur sentiment d’être étranger, même dans un pays sensé être le leur ou du moins celui de leur passeport.
     
  2. Isolement social
    La diversité de leurs expériences peut les rendre incompréhensibles pour ceux qui ont vécu une vie plus sédentaire. Cela peut conduire à un isolement social ou à des difficultés à nouer des relations profondes, en particulier avec des personnes ayant grandi dans une seule culture.
     
  3. Instabilité émotionnelle et professionnelle
    Avoir grandi comme enfant expatrié ou comme TKC implique d’avoir évolué en permanence dans un monde en mouvement ; que ce mouvement soit personnel lorsque l’on déménage tous les trois ans (changement de culture, d’école, de maison...), ou bien que ce soit l’environnement lui-même qui est instable quand l’on assiste aux départs répétés des amis, des professeurs, des voisins....

 

 

Photo d'enfants dans un environnement triste

 

 

Ils se sont construits dans cette instabilité et ce mouvement perpétuel, et ont développé les compétences nécessaires pour s’y adapter. A l’opposé, ils sentent moins confortables dans un environnement homogène ou statique. Ainsi, la fuite, l’éloignement ou la démission peuvent devenir des outils qu’ils peuvent sur-utiliser. Pour avoir une certaine forme de stabilité, ils ont besoin de changements récurrents. La routine les effraie car ils n’ont tout simplement pas appris comment la vivre.

Cela peut se traduire par une peur de l’attachement ou une difficulté à se stabiliser dans une carrière, des relations ou un lieu de vie.

 

Stratégies d’adaptation et résilience


Malgré ces défis, les ATCK peuvent développer des stratégies pour gérer leur identité complexe et tirer parti de leurs atouts. Voici quelques-unes des façons dont ils peuvent surmonter ces obstacles :

  • En créant une identité hybride
    Les ATCK apprennent souvent à accepter et à valoriser leur identité plurielle. Plutôt que de chercher à s’intégrer à une seule culture, ils embrassent leur singularité et se définissent comme citoyens du monde.
     
  • En s’appuyant sur des communautés similaires
    Les réseaux d’ATCK, en ligne ou en personne, jouent un rôle crucial. Ces espaces permettent de partager des expériences similaires et de trouver du soutien. Les ATCK découvrent alors qu’ils sont compris par d’autres ayant vécu des parcours semblables. Les relations sociales deviennent enfin simples pour eux.
     
  • En s’appuyant sur leurs forces atypiques
    Les ATCK utilisent leurs compétences interculturelles et leur adaptabilité pour se distinguer dans des carrières internationales ou créatives. Beaucoup s’épanouissent dans des rôles de leadership où leur vision globale est un atout.
     
  • En développant la Conscience de soi et la réflexion
    Avec le temps, les ATCK développent une conscience de soi approfondie. La réflexion sur leur parcours leur permet de mieux comprendre leurs forces et leurs limites, ce qui est essentiel pour surmonter les défis.

 

 

Photo de deux soeurs l'air heureux

 

 

L’impact des ATCK dans le monde moderne

Les ATCK jouent un rôle essentiel dans un monde de plus en plus connecté et globalisé. Leur capacité à naviguer dans des environnements multiculturels en fait des acteurs clés dans des domaines comme la diplomatie, les affaires internationales, la recherche ou encore les arts. Leur vision globale et leur adaptabilité les positionnent comme des leaders naturels dans des sociétés complexes et diversifiées.

Ils sont à l’aise avec des équipes multiculturelles. Ils contribuent également à promouvoir des valeurs d’ouverture, de tolérance et de dialogue. En incarnant le pont entre différentes cultures, ils aident à surmonter les préjugés et à construire des passerelles dans un monde divisé.

 

Vers une reconnaissance accrue des ATCK

Malgré leur importance croissante, les ATCK restent souvent méconnus dans la littérature grand public. Pourtant, une meilleure compréhension de leur expérience pourrait enrichir notre perception de l’identité humaine et de la diversité culturelle. Les éducateurs, employeurs, RH et décideurs doivent prendre en compte cette réalité pour soutenir ces individus dans leur parcours.

Les études sociologiques, les témoignages personnels et les récits autobiographiques d’ATCK jouent un rôle clé dans cette sensibilisation. Ils permettent de mettre en lumière leur contribution tout en explorant les défis spécifiques auxquels ils font face.

 

 

Photo d'enfants qui jouent

 

 

Conclusion

Les Adultes de la Troisième Culture représentent une richesse unique et précieuse dans un monde globalisé. Si leur parcours est souvent marqué par des défis liés à l’identité et à l’appartenance, il est également porteur d’une résilience et d’une créativité exceptionnelles. En célébrant leur singularité et en leur offrant des espaces pour s’épanouir, nous pouvons non seulement valoriser leur potentiel, mais aussi renforcer notre compréhension collective de l’humanité. Dans un monde où les cultures se croisent de plus en plus, les ATCK incarnent sans doute l’avenir d’une identité mondiale, fluide et inclusive.

 

 

Ecrit par Cécile Gylbert, Consultante en mobilité internationale et spécialiste de l'enfance en expatriation. Cécile accompagne les enfants expatriés (TCK - Third Culture Kids) , leurs parents ainsi que les adultes qui ont vécu cette enfance singulière (ATCK - Adult Third Culture Kids).

Auteur du livre « Les enfants expatriés : enfants de la Troisième Culture » et du cahier de préparation des enfants à l’expatriation « Top Départ », Cécile guide les expatriés jeunes et moins jeunes dans les défis de l'intégration, de l'adaptation, de l’identité et des compétences acquises.

Son site : www.cecilegylbert.com