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Anne Genetet : "On n’a jamais autant parlé des Français à l’étranger"

anne genetet anne genetet
Écrit par Damien Bouhours
Publié le 29 octobre 2019, mis à jour le 30 octobre 2019

La députée de la 11e circonscription des Français de l’étranger revient dans cette interview exclusive sur les nombreuses actualités de la mobilité internationale des Français et ses multiples casquettes. Anne Genetet évoque sans détour les élections consulaires, la réforme de la fiscalité, le budget de l’État à l’étranger mais également la création de son Club France Initiative.

 

lepetitjournal.com - Vous présidez la commission d’investiture pour les prochaines élections consulaires pour la République en Marche. Quel est l’enjeu pour LREM ?

Anne Genetet - L’élection consulaire est une élection locale avec une dimension nationale. On élit non seulement des gens de terrain mais aussi des personnes qui vont porter derrière des sénateurs et vont accompagner un projet de société. Pour La République en Marche, cela se passe comme pour les municipales. Tout l’enjeu est de remporter une élection dans un maximum de circonscriptions, tout en n’étant pas sortant dans la majorité des cas. Ce n’est pas parce que les Français de l’étranger ont largement soutenu le Président Emmanuel Macron, ont confirmé aux législatives et ont re-confirmé dans le vote Renaissance aux Européennes que pour autant cela est acquis. C’est une élection importante, la deuxième qui a lieu au scrutin universel direct. On peut donc s’attendre à ce qu’il y ait plus de listes que la fois passée et certainement beaucoup de listes associatives. Nous ne savons pas encore si nous aurons des candidats dans les 130 circonscriptions, c’est notre objectif mais pas un but en soi. L’enjeu derrière ces élections reste de faire voter. Les élections coûtent cher. On a un budget de 2 millions d’euros pour ces élections. Cela mobilise du temps et du personnel. Si les Français ne saisissent pas cette opportunité démocratique, elle pourrait un jour être remise en question. La bonne nouvelle, c’est que l’on aura un vote par internet. La directrice des Français de l’étranger, Madame Laurence Haguenauer, s’y est engagée. Il faut maintenant s’assurer que les électeurs iront aussi voter par ce biais.

 

Le dernier rapport gouvernemental sur les Français établis à l’étranger a été publié en septembre 2019 et on y constate une diminution du nombre de Français inscrit sur les listes consulaires et pour votre circonscription c’est surtout le cas en Chine, comment l’expliquez-vous ?

Globalement, il y a 1,7% en moins en 2018 par rapport à 2017, qui s’explique par le fait qu’il y a eu un regain d’inscriptions avant, compte tenu des élections présidentielles et législatives. S’agissant de la Chine, cela traduit une véritable inquiétude de la communauté française par rapport à sa propre possibilité à séjourner sur place. La situation en Chine est très particulière et les situations d’instabilité politique et économique poussent les Français à bouger. Chengdu a perdu de grosses entreprises françaises mais d’un autre côté Shenzhen se remplit. Shanghai, elle, s’est vidée. On est passé de 12.000 inscrits, il y a quelques années, à 9000 aujourd’hui. Les Français de Shanghai sont plutôt partis à Hong Kong. Avec la situation actuelle, certains quittent Hong Kong et se dirigent vers Singapour.

 

 

Justement, la situation à Hong Kong inquiète la communauté française expatriée. Quelle est votre réaction suite à l’escalade de la violence sur place ?

Tout d’abord, notre consulat fait son travail sur place et informe régulièrement nos communautés des dispositions éventuelles à prendre. Ensuite, il ne faut pas oublier qu’on est dans un pays souverain et que nous avons donc l’obligation de suivre les recommandations des autorités sur place et ce sont donc auprès d’elles que nous nous référons. Maintenant, il y a des activités économiques qui sont lourdement impactées par ce qui se passe comme l’hôtellerie, la restauration ou le luxe. Pour le reste, c’est « business as usual ». Je vais m’y rendre fin novembre pour assister à Lumières de Hong Kong, un festival français qui a été maintenu par les autorités et qui est inspiré du festival des Lumières de Lyon.

Sur le plan politique, je ne suis pas forcément inquiète malgré tout ce qui se dit, c’est compliqué mais je ne crois pas que la Chine intervienne de manière brutale. C’est avant tout un mouvement social avant d’être un mouvement politique. La situation sociale est difficile à Hong Kong avec des logements hors de prix et une éducation et une santé très chères. Les plus bas salaires ne peuvent pas vivre.

La réforme est une bonne chose

L’assemblée nationale a adopté le 16 octobre dernier un moratoire d’une année concernant la fiscalité des non-résidents ainsi qu’une étude d’impact. Une mesure pour laquelle vous avez œuvré.  Qu’en attendez-vous ?

C’est très simple. La réforme est une bonne chose mais elle avait des effets de bord. Il faut donc les étudier. C’est tout l’objet de ce moratoire et de cette étude. Et donc une fois qu’on aura bien appréhendé ces effets de bord, il faudra mettre en place des mesures d’accompagnement, logistiques ou réglementaires, qui permettront de les lisser. Mais la réforme sera bien mise en place en janvier 2021.

 

Est-ce que vous considérez que les non-résidents sont traités injustement en termes de fiscalité par rapport aux résidents du territoire français ?

Sur le plan de l’impôt sur le revenu de source française, ils peuvent être avantagés. Il ne faut pas l’oublier. À part quelques cas spécifiques qui sont défavorisés. Je vous donne un exemple : si vous habitez à Dunkerque et vous vous mettez en ménage avec une Belge et vous vivez en Belgique tout en continuant de travailler en France, votre impôt sera automatiquement divisé par pas loin de 2.

Pourquoi avons-nous autant de retraités avec de petites pensions qui partent à l’étranger ? C’est aussi pour ça. À partir du moment où le retraité signale qu’il quitte la France, du jour au lendemain, on lui supprime les prélèvements de CSG-CRDS sur sa pension. Il n’a plus qu’une cotisation maladie à la place, la COTAM, dont le taux est très inférieur à la CSG que paient nos retraités en France. Et puis derrière vous avez un calcul de l’impôt qui est aussi favorable à condition que le l’on accepte de déclarer ses revenus mondiaux pour qu’on puisse calculer un taux moyen. D’ailleurs, les petites retraites se retrouvent dans la partie libératoire et ne paient donc rien.

On butait aussi sur une difficulté qui est de prouver que l’on n’a pas de revenus monde. En France, on a l’attestation de non-imposition mais on est pratiquement les seuls à faire ça. Beaucoup de pays ne vous autorisent pas à avoir un numéro fiscal si vous n’avez pas de revenus. Les autorités fiscales françaises le savent et connaissent les situations des différents pays. Si aucun document ne peut être délivré alors une déclaration sur l’honneur est suffisante. On a donc intérêt à déclarer ses revenus monde pour récupérer des avantages comme le quotient familial. Cela permet aussi de déduire les pensions alimentaires versées éventuellement en France.

 

En politique, il faut semer les graines et on ne sait pas quand cela va germer.

 

Vous avez remis en septembre 2018 votre rapport sur la mobilité internationale des Français. Vous y aviez listé 215 recommandations. Un an plus tard, quel est votre bilan des actions prises ou non suite à votre mission parlementaire ?

 

Il y a deux de mes recommandations majeures qui ont été prises en compte. La première est la création d’une plateforme de réponse email ou téléphonique accessible 24h/24 et 7J/7 où que l’on soit dans le monde. Cela sera testé sur quelques pays européens mais c’est une grande avancée. Nous n’avons pas les ressources humaines nécessaires dans nos consulats pour qu’il y ait quelqu’un qui réponde tout le temps. Les consulats reçoivent de nombreux appels téléphoniques alors que les demandes sont à 80% les mêmes partout. Ensuite, il y a des urgences qu’il faut pouvoir trier et cela permettra une réponse plus efficace.

La deuxième est importante pour le budget de l’État. J’avais souligné le fait qu’il y avait certains indicateurs de performances qui n’ont aucun sens. Ils ont donc mis au point des indicateurs qui sont plus pointus, plus fiables et plus faciles à collecter pour voir si les outils qui sont mis en place se traduisent en efficacité et derrière en réduction du train de vie de l’État. Les Français de l’étranger ont leur part à l’édifice aussi. Et puis l’enquête de satisfaction usagers qui se faisait au petit bonheur la chance, sera systématisée tous les ans sur l’ensemble des usagers et pas seulement sur un panel. Enfin, il y a des choses qui bougent comme la réforme fiscale. Même si toutes mes recommandations n’ont pas été retenues. Je considère, par exemple, qu’il ne faut prendre en compte que les revenus français et qu’on arrête de chercher les revenus mondiaux. Libérons du temps pour la direction des impôts des non-résidents pour qu’elle puisse lutter efficacement contre la fraude fiscale et aller chercher les gros bonnets qui planquent de l’argent ailleurs.

En politique, il faut semer les graines et on ne sait pas quand cela va germer. On n’a jamais autant parlé des Français à l’étranger et ça j’en suis très contente. Je n’ai pas encore eu gain de cause mais j’aimerais que le président de la République, un jour, dans ses vœux commence par « Mes chers concitoyens de France, d’Outre-Mer et à l’étranger » Je ne désespère pas…

 

Vous travaillez actuellement sur deux rapports concernant les postes diplomatiques français. Pouvez-vous nous en parler ?

Le premier rapport, présenté le 31 octobre en séance, concerne le budget du ministère des Affaires étrangères. Je me suis beaucoup intéressée aux effectifs des Consulats car c’est actuellement la partie la plus tendue. Mon message est clair. Soit, on leur demande d’en faire moins dans ce cas là, ils pourront participer à la réduction du train de vie de l’Etat. Soit, on ne change rien à leurs missions et dans ce cas là, on arrête de couper des têtes. Je mets aussi un point d’attention sur les personnels, leur formation et l’accompagnement des talents. On a, par exemple, aujourd’hui trop d’ambassadeurs potentiels par rapport au nombre de postes disponibles. On voit en tout cas dans ce budget que les Français à l’étranger sont toujours pris en compte. Leur sécurité est la priorité majeure. Sécuriser et simplifier sont les deux mots forts de ce budget.

La deuxième mission concerne l’organisation de nos consulats et ambassades en lien avec une mesure qui est entrée en vigueur au 1er janvier 2019 et qui vise à mutualiser les fonctions supports des différents personnels des ambassades, qu’ils soient rattachés aux ministères des Affaires étrangères, de l’Intérieur ou des Finances. C’est une très bonne décision au niveau du budget mais il faut voir comment on peut répondre aux problèmes suscités par l’accumulation de travail pour ceux qui assument le poste de secrétaire général d’ambassade. Pour ce poste, on constate des difficultés de recrutement, voire des burn-out et même des cas de divorce.

L’objectif que je poursuis dans toutes mes actions est de rendre la France toujours plus présente

Vous venez de créer le Club France Initiative. Quel est son but ?

Je suis moi-même Française à l’étranger et je crois beaucoup en cette communauté. Je suis frappée de voir que nous avons un certain nombre d’acteurs français qui sont installés depuis longtemps à l’étranger et qui ne sont pas dans les radars classiques des ambassades, consulats, missions économiques ou culturelles. J’ai donc créé une association, le Club France initiative, qui a pour ambition d’aller chercher ces Français qui gardent une proximité avec la France. Et ce pour nous aider à comprendre l’environnement dans lequel ils sont, que ce soit sur une filière économique, culturelle ou stratégique. L’idée est de pouvoir créer un réseau avec une plateforme, un carnet d’adresses, pour leur permettre d’échanger entre personnes d’un même secteur sur différents pays. Cela leur donnera aussi la possibilité de transmettre de l’information, en France, à une région, à un secteur économique et bien sûr à l’exécutif. Ce réseau de Français dans le monde pourra nous apporter son éclairage, en étant complémentaire de ce que peut nous apporter notre diplomatie française. J’espère avoir un évènement de lancement d’ici à la fin de l’année.

 

L’objectif que je poursuis dans toutes mes actions est de rendre la France toujours plus présente, plus forte, dans un contexte où on n’a pas les moyens de le faire. Si on peut garder de l’influence car on a des valeurs qui peuvent être porteuses, on a une carte à jouer et notre diplomatie d’Etat ne suffira pas.

 

Entretien réalisé avec Selma Djebbar