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Vincent Liegey : Qu’est-ce que la sobriété, la vraie ?

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©Artur Stocker - Cargonomia
Écrit par Natacha Marbot
Publié le 12 avril 2023, mis à jour le 5 juin 2023

Désormais prononcée dans les discours politiques, la notion de sobriété cristallise les débats. Avec Sobriété (la vraie), Vincent Liegey et Isabelle Brokman expliquent avec pédagogie les fondamentaux de la réelle sobriété. Depuis Budapest, Vincent Liegey a répondu aux questions de la rédaction. 

 

Comment définissez-vous la sobriété ?

La sobriété est une notion qui est très ancienne, qu’on retrouve depuis toujours dans la pensée humaine, au travers des civilisations. Il s’agit de s’auto-instituer des limites sans lesquelles nous ne sommes ni libres, ni autonomes ni heureux. On parlait avant de tempérance, de frugalité, puis de sobriété. Et puis à un moment donné dans l’Histoire, ce concept disparaît. Le moment fait débat : le début de l’agriculture et de la sédentarisation ? le monothéisme ou le début du rationalisme ? Ou encore la révolution industrielle ? Dans tous les cas, la notion revient dans nos civilisations occidentales depuis quelques années, rappelée par des limites inquiétantes et violentes que sont les limites planétaires. Il y en a 9, qui sont toutes dépassées ou sur le point de l’être, ce qui est irréversible. 

Le mot de sobriété revient de manière intéressante, employé par des personnes qui ne veulent plus être des hamsters dans la roue, qui ne veulent plus travailler plus pour consommer plus. Alors, autant par choix que par contrainte, la sobriété revient dans les débats. 
 

Que dites vous aux personnes qui croient que la sobriété est synonyme de restriction, de tristesse, de retour en arrière ?

Cela démontre qu’il existe une pensée dominante qui s’engage dans la fausse voie depuis longtemps. Aujourd’hui, de nombreuses enquêtes sur le bien vivre démontrent que le “toujours plus” n’est plus associé au bonheur et à la qualité de vie. Même si la publicité et le marketing oeuvre à nous faire penser l’inverse, la plupart des gens ne croient plus en l’accumulation absolue comme voie du bonheur. Le rapport de janvier 2023 de l’ADEME le montre : 93% des Françaises et des Français aspirent à rompre partiellement ou totalement avec le mythe de la croissance infinie. 

 

La sobriété et la décroissance vont donc de pair… 

La sobriété fait partie intégrante de la décroissance. La sobriété doit être construite démocratiquement et politiquement avec un projet de décroissance. Sinon, on se heurte à de graves contradictions que l’on observe aujourd’hui. Le système capitaliste et néo-libéral dépend entièrement, de manière presque “toxico” à la croissance pour sa survie. C’est d’ailleurs pour celà que le terme de “décroissance” n’a pas encore été réutilisé et dévié de son sens premier, comme l’a été le “développement durable” par exemple. 

 

La sobriété entamée cet hiver suite à la crise énergétique est-elle un bon début selon vous ? Va-t-elle durer ? 

Parler de sobriété comme l’a fait le gouvernement Borne à l’automne sans parler de décroissance est un contresens. Comment être sobre sans produire moins ? L’absence de croissance dans une société de croissance ne peut que mal se passer : chômage, récession, paupérisation, explosion des inégalités. D’où le sens de ce livre, qui avec Isabelle Brokman nous a paru nécessaire. Pour pouvoir tendre vers la vraie sobriété, il faut accompagner ce mouvement de transformations profondes de la société, de nos contrats sociaux. Cependant, on ressent de plus en plus dans nos chairs le dérèglement climatique : sécheresses, canicules, inondations etc et la guerre en Ukraine met en lumière notre dépendance problématique aux énergies fossiles. Tout cela participe à un accélérateur de prise de conscience. 

 

La sobriété est-elle une affaire individuelle ? 

La sobriété individuelle est nécessaire mais loin d’être suffisante. Nous vivons dans des sociétés où l’imaginaire a été formé par la publicité, qui pousse par essence à la consommation. Parler de sobriété sans remettre en cause la publicité est ce qu’on appelle une “incantation contradictoire”. Individuellement, nous sommes pris dans beaucoup de contraintes et des pièges économiques qui ne peuvent être dépassés qu’en société. Par exemple, l’utilisation de la voiture ne relève pas que du choix individuel, car elle dépend de l’organisation du territoire, qui relève des pouvoirs publics. Enfin, parler de sobriété individuelle, c’est oublier que nous sommes inégaux face à cela : tout le monde n’a pas le capital culturel, économique et social pour se lancer. La sobriété à plusieurs, portée par une société en décroissance, cela devient intéressant et enthousiasmant. 

 

Comment, selon vous, un expatrié peut-il rendre son mode de vie plus sobre ? 

Je partage les contraintes des expatriés et des lecteurs, vivant moi même à Budapest. Le principal problème de sobriété des expatriés réside dans les transports, et dans le fait de devoir prendre l’avion. J’ai la chance d’habiter en Europe et de profiter le plus possible des trains, mais il m’arrive encore de devoir prendre l’avion. 

Néanmoins selon moi, les 3 millions de Français de l’étranger représentent un énorme potentiel de dialogue des cultures, notamment grâce aux familles et aux enfants issus de plusieurs nationalités. La possibilité du dialogue permise par les expatriés peut pacifier des éventuelles tensions dues aux pressions sur les ressources et même provoquer des échanges de bonnes pratiques. Autre avantage non négligeable : l’expatriation permet de prendre du recul sur son propre pays, de se départir de certains biais. Les débats sur les ressources existent autant en France qu’ailleurs, même s’il faut reconnaître la dimension de proportionnalité : plus un pays est riche, plus il doit ralentir.

 

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