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À quoi ressemblera - vraiment - l’avion du futur ? 

avion du futur avion du futur
Écrit par Natacha Marbot
Publié le 22 février 2023, mis à jour le 26 décembre 2023

Alors que le dérèglement climatique s’avère plus rapide que prévu, la tension des débats se cristallise souvent autour de l’usage de l’avion. Gouvernements et entreprises croient et communiquent autour de l’avion du futur : plus “vert”, à hydrogène, solaire ? Qu’en est-il actuellement de l’avion vert et de l’aviation décarbonée ? 

 

Si une partie des Français ne souhaite plus prendre l’avion pour des raisons écologiques, le secteur est en constante hausse. Selon un sondage mené par l’institut Jean Jaurès, 78% des Français croient en la possibilité qu’il existe un jour un avion plus écologique, moins émetteur de CO2. 
 

L’avion, seulement 2% des GES mondiaux ? 

L’avion est responsable d’environ 2% des émissions de gaz à effets de serre (GES) au niveau mondial. 2% peut sembler peu, mais il faut garder en tête que 90% des habitants de la planète ne sont jamais montés dans un avion (20% des Français) et 1% de la population mondiale est responsable de 50% des émissions du secteur aérien. 

Dans la réflexion autour de la pollution générée par les avions, le problème est souvent simplifié aux émissions de dioxyde de carbone (CO2). Pourtant, ce n’est que la moitié du problème : le reste est dû au traînées de condensations. On parle alors de “cirrus d’altitude induits” qui sont des nuages très fins, couvrant de grandes surfaces. Ces trainées ont un réel impact sur le réchauffement climatique en augmentant de moitié le forçage radiatif de l’avion, et ne sont pas prises en compte dans le calcul de l’empreinte carbone de l’aviation. Le tout sans parler des émissions d’oxydes d’azote, qui sont des particules fines très dangereuses pour la santé. 

 

trainée de condensation avion dans le ciel
Trainées de condensations d'avions après leur passage 

Le secteur de l’aviation est essentiel pour la France et l’Union européenne (UE). 

L’aérospatiale représente un secteur stratégique pour l’économie européenne. Il emploie 2,6 millions de personnes et contribue pour 193 milliards de dollars au produit intérieur brut (PIB) de l’UE. La France, elle-même, a un véritable rôle à jouer car comme le rappelle Nicolas Bellouin, directeur du projet Climavation, contributeur au 6e rapport du GIEC et climatologue au Royaume-Uni : “La France a une grosse industrie aéronautique. Airbus à lui seul représente 60% du marché des avions commerciaux.

Pourquoi la France devrait-elle particulièrement agir sur le sujet ?  ​​”On peut rappeler que le réchauffement est proportionnel au cumul des émissions de CO2 passées, ce qui place la France assez haut dans la liste des pays les plus émetteurs. De plus, les vols au départ des aéroports français (et notamment Paris Charles de Gaulle) représentent une part substantielle des émissions de CO2 par l'aviation européenne.” explique Nicolas Bellouin. 

 

Quels sont les leviers identifiés pour alléger l’empreinte carbone de l’aviation ?

Changer le carburant des avions 

Les avions de ligne carburent actuellement au kérosène. Ce dérivé du pétrole n’est pas taxé sur les vols internationaux. Comme l'explique Futura Sciences, trois composants représentent à eux seuls 97 % des dommages sur la qualité de l'air et le climat : les oxydes d'azote (58 %), le CO2 (25 %) et les traînées de condensation (14 %). Par exemple, un vol Paris-Sydney émet plus de 7 tonnes de CO2 par passager - et n’est comptabilisé que le CO2.

 

hydrogène

Plusieurs possibilités sont étudiées pour remplacer le kérosène des avions 

L’hydrogène

Ce qui est déjà présenté comme “l’or vert” ou “l’or blanc” par les médias et les entreprises (telle que AirLiquide, principale entreprise française sur le sujet) n’est pourtant pas magique. L’hydrogène est créé en dissociant une molécule de méthane ou d'eau pour obtenir deux atomes d'hydrogène (H2). Cela requiert beaucoup d'énergie. Actuellement, entre 96 et 98% de l’hydrogène est créé grâce à l’énergie fossile - très émettrice en CO2.

Pour rendre l’hydrogène le plus “vert” possible, il faut le créer grâce aux énergies renouvelables, ce qui concerne aujourd'hui 1% de la production totale. Sur la faisabilité de l’utilisation de l’hydrogène comme carburant, Charlène Fleury du réseau citoyen Rester sur Terre est sceptique : “Tout cet hydrogène devra être décarboné pour que l’aviation soit décarbonée et les quantités en jeu sont phénoménales, alors que les besoins pour décarboner l’industrie aujourd’hui (raffinage, engrais, acier) sont déjà colossaux.” 

Enfin, l’utilisation de l’hydrogène pour l’aviation ne sera possible (quoi qu’il se passe) pour les vols de court à moyen courrier, comme le développe le Rapport d’information de l’Assemblée nationale (AN) de février 2022. 

L’hydrogène reste une source d’énergie intéressante à terme, mais la demande actuelle et future risque d’être bien trop importante pour une offre réellement “décarbonée” trop faible. “Dans le secteur des transports, en plus des avions à hydrogène, on parle de camions à hydrogène, de bateaux à hydrogène, de voitures à hydrogène... Si l'offre ne suit pas - et ça va être un défi de mettre l'écosystème industriel en place pour soutenir cette offre - les files d'attente seront longues.” confirme Nicolas Bellouin. 

 

biocarburant

Les biocarburants (SAF) 

L’autre espoir de l’aérospatiale consiste en ce qu’on appelle sous différents noms : biocarburants, biokérosène, électrocarburants, e-carburants. Il s’agit pour tous de carburants qui peuvent immédiatement remplacer le kérosène dans les avions. Aujourd’hui moins de 0,01 % du carburant de l’aviation est du biocarburant.

La première génération de biocarburant est largement critiquée (par le GIEC et les ONG environnementales) car elle est produite à partir d’huiles issues de cultures venant en compétition avec l’alimentation humaine : le colza, le tournesol, le maïs, le soja et le palmier à huile. “C'est d'ailleurs pourquoi en Europe on ne peut produire des biofuels qu'à partir d'huiles usagées.” explique Nicolas Bellouin. 

La deuxième génération d’agrocarburant est créée à partir d'huiles usagées et de déchets. Pour l’instant, la biomasse de déchets disponible n’est pas suffisante et il manque beaucoup d’investissements publics pour développer le secteur car le problème premier des biocarburants à l’usage est leur prix. La troisième génération (à partir de microalgues) n’en est qu’à son début. 

L’hydrogène et les biocarburants sont deux leviers envisagés par l’aviation. Nicolas Bellouin conclut sur le sujet : “Il ne faut pas nécessairement opposer hydrogène et SAF. Certaines classes de SAF, dits électrocarburants, peuvent être synthétisées à partir du dioxyde de carbone de l'atmosphère. Mais il faut beaucoup d'électricité décarbonée pour nourrir le processus, et l'hydrogène pourrait fournir cette électricité.” Le collectif Rester sur Terre nuance : “Il faut encore plus d'électricité pour produire des e-carburants que pour produire de l'hydrogène, ce qui priverait les autres secteurs qui doivent se décarboner.

 

© VoltAero
© VoltAero

Changer les avions dans leur structure

Avions électriques 

L’avion 100% électrique est très compliqué à envisager, surtout pour des avions de ligne, utilisés pour du tourisme et des vols commerciaux. De nombreux problèmes techniques existent, détaillés dans le Rapport de l’Assemblée nationale déjà cité. Parmi eux, le poids des batteries nécessaires et la stabilité du poids le long du vol (alors que l’avion devrait être plus léger à l'atterrissage). Le rapport note ainsi : “Du fait de ces contraintes, l’électricité n’est pas adaptée pour les gros avions. En revanche, il est tout à fait envisageable que la totalité des petits avions (moins de 20 sièges) fonctionne à l’énergie électrique d’ici une vingtaine d’années.” 

 

Avions hybrides 

L’hybridation kérosène-électricité semble un compromis logique. En 2023, le VoltAreo Cassio sera le premier avion commercial à propulsion hybride électricité-kérosène. Cependant, ces avions n’auront jamais plus de dix places assises à bord et sont pensés pour des vols régionaux … Ils n’auront alors vocation qu’à remplacer les jets privés et les avions de loisirs, pas les vols commerciaux empruntés par la plupart des usagers. 

Quid de l’avion solaire ? Dans la présentation à l’assemblée, la députée Nicole le Peih, rapporteure du rapport, déclare : “Nous avons effectué de nombreuses auditions et je peux vous confirmer que personne ne nous a sérieusement parlé d’avion solaire.” Dans tous les cas, l’avion solaire fonctionne à l’électricité et rencontre les mêmes problèmes que l’avion électrique mentionné plus tôt. 

 

Changer l’usage des avions 

Optimiser les routes de vol 

On parle alors de reroutage. En moyenne, sur les vols européens, les avions réalisent des détours de 42 km et les temps de vol sont prolongés de 5 % par rapport à des trajectoires optimales. Le projet « Ciel unique européen » et son volet technologique, le programme SESAR, ont précisément pour but d’optimiser les trajectoires afin de réduire les émissions de CO2 de 10 % en Europe à horizon 2035. Le rapport note : “Des expérimentations ont permis de réduire le temps de vol de 21 minutes et la consommation de carburant de 16 % sur un trajet New York-Londres.” 

 

train au Sri lanka

Réduire l’usage 

Le piège de se reposer sur l’augmentation des performances technologiques de l’aviation pour la rendre plus “verte” tout en continuant à augmenter le trafic doit être évité selon Nicolas Bellouin. Jean-Marc Jancovici, ingénieur, fondateur de Carbone4 et consultant est cité par le rapport l’AN : “Même avec un scénario où on mettrait en œuvre toutes les innovations technologiques actuelles, on est quand même obligé d’en passer par une baisse du trafic à partir de maintenant si on veut que l’aviation rentre dans son "budget carbone" d’ici 2050.”

Pour réduire l’usage, des propositions émergent. François Ruffin (LFI NUPES), par exemple, propose un système de quotas de carbone, qui équivaut à un quota de kilomètres maximum à effectuer. “L’idée est de permettre aux Français de faire un grand voyage, mais pas tous les ans, et encore moins plusieurs fois par an.explique-t-il sur son site.

 

Manifestation de Rester sur Terre à Tarbes en 2018
Manifestation de Rester sur Terre à Tarbes en 2018

Pour finir, nous avons posé une question au collectif Rester sur Terre

Que dire aux expatriés français qui dépendent de l'avion dans leur mode de vie (pour voir leur famille notamment) ? 

 

Des alternatives existent ! Et des changements conséquents de notre manière de nous déplacer et de nous organiser en société sont nécessaires pour empêcher le climat de devenir invivable.

● Sur les faibles et moyennes distances : privilégier le train, le train de nuit, le ferry, et pousser pour que des politiques d’investissement conséquentes soient mises en place pour rendre ces modes de transport attractifs et fiables. 

● Sur les longues distances : appliquer une modération des voyages, renoncer à la classe affaire et première classe, privilégier les vols directs les plus courts (exemple: pour un habitant de Lyon qui va dans le Maghreb, privilégier les vols au départ de Lyon ou Marseille, plutôt qu’au départ de Paris). 

● Sur toutes distances : privilégier des séjours plus longs et moins fréquents, se rendre aux aéroports en transports en commun. Exemple : un habitant de Bordeaux qui prend un vol à Roissy doit privilégier le TGV pour se rendre à Roissy plutôt que l’avion.