Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--

Avion et écologie : que vaut vraiment la compensation carbone ? 

compensation carbone realitecompensation carbone realite
Écrit par Natacha Marbot
Publié le 10 novembre 2022, mis à jour le 5 juin 2023

L’avion pollue, on le sait. Et ensuite ? En réservant vos billets d’avion récemment, vous avez sans doute vu l’encart « compenser votre trajet » sur les sites d’achats. Est-ce efficace ? lepetitjournal.com décortique pour vous ce que vaut, sans langue de bois, la compensation carbone. 

Même si le système de compensation carbone est plutôt réfléchi à l’échelle des entreprises voire des pays, de nombreuses plateformes en ligne proposent aujourd’hui au simple consommateur de compenser ses activités polluantes en payant une certaine somme. Au premier plan, sans surprise ? L’avion.  

avion pollution fumée

 

Pour rappel, l’empreinte carbone est la mesure des gaz à effets de serre (GES) émis par une activité, calculée en tonnes de dioxyde de carbone (CO2) par un souci de simplicité et de compréhension - même si les GES ne sont pas composés que de CO2. L’empreinte écologique, elle, s’exprime en surface de terre productive requise pour produire les biens et services que nous consommons et absorber les déchets qui en découlent. Un exemple souvent donné est le nombre de planètes nécessaires si tous les humains vivaient comme un Français (3 planètes), un Américain (5 planètes) ou un Pakistanais (une demie planète).

Pourquoi faudrait-il compenser son empreinte carbone ? 

Le sujet n’est pas nouveau pour lepetitjournal.com. L’avion est souvent dans les radars comme l’une des activités les plus polluantes à l’échelle individuelle et particulièrement dommageable car elle est très injuste. 90% des habitants de la planète ne sont jamais montés dans un avion et 1% de la population mondiale est responsable de 50% des émissions du secteur aérien. Arrêter (ou déjà réduire) de prendre l’avion est une des actions les plus efficaces pour amenuiser son empreinte carbone, avec le fait de changer de banque et réduire la consommation de viande. 

Bien sûr, c’est une forme importante de sacrifice à l’heure du voyage peu cher, valorisé par tous les aspects de la société. On comprend facilement comment le mécanisme de compensation peut être séduisant pour les personnes prenant malgré tout l’avion - par choix ou obligation. 

Voir l'article de Bon pote
Voir l'article de Bon pote 

La compensation carbone a été choisie comme mesure stratégique pour la plupart des compagnies aériennes, qui clament parfois être déjà neutres en carbone, comme Easyjet. Comme le rappelle la scientifique Valérie Masson-Delmotte, membre du GIEC, dans une suite de tweets adressée à Air France, la définition de compensation et neutralité carbone utilisée par les compagnies aériennes n’est pas celle du GIEC. La compensation carbone, par son aspect presque « magique » est une porte ouverte au greenwashing.

Comment fonctionne la compensation carbone ? 

Le principe basique de la compensation carbone est d’absorber (et stocker), de manière naturelle ou mécanique, autant de CO2 qu’en émet une activité. Ce n’est évidemment jamais immédiat et concret pour la personne qui souhaite compenser. Pour faciliter le mécanisme, des entreprises se proposent alors de faire l’intermédiaire entre le consommateur et la compensation effective. Le client va ainsi débourser une certaine somme calculée en fonction de son émission en CO2. 

Voilà le premier obstacle : comment calculer le prix d’une tonne de CO2 ? Les calculs sont difficiles et dépendent surtout des volontés de ceux qui émettent les quotas (l’Union Européenne, les Etats…). Il faut que le prix soit assez élevé pour avoir un impact mais pas trop pour ne pas être dissuasif. Pour se faire une idée, le GIEC préconise un prix de 100€ par tonne de CO2 à l’horizon 2030. Le prix le plus élevé jamais atteint par tonne de CO2 était en 2021 de 50€ sur le marché du carbone européen. En novembre 2022, la tonne est à 6€ … bien loin de l’avis du GIEC. 

Dans un deuxième temps, l’achat de ces crédits carbone sont en réalité des « droits à polluer ». L’idée est qu’un projet quelque part sur terre « retire » du CO2 en le capturant ou le séquestrant, et permet donc à d’autres, ailleurs, d’en émettre. « Le dernier rapport du GIEC mentionne que la méthode de retraits anthropogènes de CO2 pourrait permettre d'atteindre 10% de moins d'augmentation de CO2 pour une quantité égale d'émission de CO2. Aujourd'hui néanmoins la technologie n'est pas du tout assez mûre », analyse Marie Rebiere, consultante Energie climat au cabinet de conseil environnemental I Care & Consult, … soit une efficacité presque nulle. 

trainée de condensation avion dans le ciel

Quelles sont les pratiques de compensation carbone existantes ?

Il existe plusieurs manières de capturer ou stocker du carbone. La plus répandue est la reforestation - concrètement, planter des arbres. Par le processus de photosynthèse, les arbres captent le CO2 et rejettent de l’oxygène. La méthode est simple mais imparfaite - le prochain point nous l’apprendra. Dans le même secteur, la compensation carbone peut aussi consister à éviter la déforestation, en protégeant des forêts, des prairies ou autres espaces à forte importance écologique.

Voici d’autres méthodes proposées par les entreprises pour faire de la compensation carbone :  

  • Investissement dans le solaire et l’éolien, pour proposer une énergie non émettrice de GES (même si on a vu que celles-ci font aussi débat). 
  • Investissement dans les recherches sur le biocarburant 
  • Financement de projets à fort impact social (on s’éloigne beaucoup de la tonne de CO2) 
  • Financement de projets de réduction des déchets plastiques (ramassage, revalorisation, recyclage) 

Que reproche-t-on à la compensation carbone ? 

La compensation carbone est un concept qui a le don d’irriter les spécialistes du climat. De nombreuses raisons expliquent cela. 

foret

Planter des arbres, oui … mais lesquels ? 

En plantant un arbre aujourd’hui, on parie qu’il capturera du carbone toute sa vie, mais rien n’affirme que cet arbre arrivera à maturation, ni ne vivra longtemps. Marie Ribiere explique : « Les conditions environnementales actuelles des forêts sont déjà désastreuses et risquent de s'aggraver dans les décennies à venir : stress hydrique asséchant les forêts, incendies et sécheresses de plus en plus nombreux d'une année à l’autre… »

Les espèces d’arbres qui poussent vite (et donc capturent vite du carbone) comme le pin Douglas sont aussi celles qui meurent les plus jeunes - et à leur mort, ils relâchent le CO2 capturé. L’association Cœur de forêt rappelle aussi l’importance de bien réfléchir aux espèces d’arbres plantées, car si elles ne correspondent pas à l’écosystème en place, cela peut s’avérer contre productif. 

Les forêts ne sont pas la réponse magique au changement climatique 

Au-dessus de 25°C, les forêts émettent plus de CO2 qu'elles n’en capturent car les arbres rejettent aussi du CO2 en respirant … et d’autant plus quand il fait chaud. Or, les pays qui recensent des températures moyennes supérieures à 25°C sont de plus en plus nombreux à cause du changement climatique, comme l’explique Le Monde dans cette vidéo.

L’ordre de grandeur frise l’absurdité : « Pour compenser nos émissions de CO2 en excès, il faudrait boiser quasiment l'intégralité des terres aujourd'hui cultivées dans le monde ! » explique Jean-Marc Jancovici dans cet article

Attention aux risques éthiques de la reforestation 

Des programmes de reforestation ont déjà conduit à des accaparements de terres massifs, privant les populations locales de leur territoire et de leurs ressources. En 2013, Air France a ainsi reçu le prix Pinocchio délivré par les Amis de la Terre pour son projet de compensation carbone à Madagascar et ses 470.000 hectares d’aires protégées. Le projet, financé par Air France et mis en place par WWF et GoodPlanet en 2013, a fait l’objet d’une enquête du média Observatoire des multinationales. Ils ont ainsi déterminé que sur place, les habitants n’avaient plus accès aux terres qu’ils cultivaient. Selon le rapport : “Les Malgaches n’avaient pas d’autres choix que de devenir « les gardiens de la compensation des riches ».”

Les limites de l’évitement de la déforestation 

Mais la compensation, ce n’est pas que planter des arbres. Alain Karsenty, économiste au Cirad, explique un fait étonnant : 90% des crédits carbones sont alloués à des projets qui évitent la déforestation, c’est-à-dire qu’ils protègent les forêts, et gagnent pour cela des crédits, sans avoir fait quelque chose. Les chiffres sont subjectifs et se basent en réalité sur des scénarios catastrophes de déforestation probable pour faire peser plus lourd leur « action » sur la balance, et avoir ainsi plus de crédits alloués. 

La compensation carbone est un « levier d’inaction climatique »

Une enquête menée par l'Öko-Institut pour la Commission européenne a estimé que seuls 2% des projets de compensation sont fortement susceptibles d'avoir eu pour résultat une réduction significative des émissions supplémentaires. Marie Rebiere est formelle : « La compensation carbone n'est pas du tout suffisante pour diminuer les émissions de CO2. Se reposer uniquement sur cette stratégie tout en continuant à émettre selon un scénario « business as usual » ne peut pas aboutir à une stratégie climatique résiliente. »

trainée de condensation avion dans le ciel

Que pouvons-nous faire à l’échelle individuelle ? 

La seule manière de moins polluer ? Moins consommer, moins voler. La compensation carbone n’est donc pas l’outil magique que les compagnies aériennes font miroiter au consommateur. Elle n’est cependant pas à bannir complètement puisqu’elle permet, ajoutée à la baisse stricte des émissions, de contribuer à l’effort vers la neutralité carbone mondiale. L’ADEME estime d’ailleurs qu’on ne peut pas parler de neutralité carbone à l’échelle individuelle ou d’un produit. La réduction de son empreinte carbone reste toutefois pertinente et nécessaire. Pour tous les aspects de la vie d’expatrié, ne manquez pas notre guide sur les gestes écolos de l’expatrié. Marie Rebiere propose une marche à suivre pour ne pas désespérer. « Afin de ne s'assurer de ne pas rentrer dans une logique d' « inaction climatique », toute action doit être réalisée en suivant le raisonnement suivant ERC (dans l'ordre exact mentionné ci-dessous) :

  • Éviter : éviter l'action au maximum (par exemple ne pas réaliser le déplacement en avion lorsque cela n'est pas indispensable)
  • Réduire : lorsque l'action ne peut être évitée, réduire les émissions associées (par exemple en utilisant un moyen de transport moins émetteur, en minimisant la distance parcourue etc)
  • Compenser : les émissions résiduelles uniquement »

Pour compenser - car voilà le sujet de cet article -  les émissions que vous ne pouvez pas éviter, vous pouvez suivre les conseils de Marie Rebiere. « Certaines certifications, labels et standards nationaux et internationaux de crédits carbone existent afin de garantir que les projets de compensation soient réalisés « correctement » à savoir que les flux financiers associés permettent de financer des projets qui ont réellement un impact positif. En Europe, se tourner vers le « Verified Carbon Standard » et le « Gold Standard » (développé par le WWF), en France le label « Bas-Carbone ». 

Pensez aussi à découvrir nos autres éditions