L’augmentation du nombre de salariés d’entreprises françaises à télétravailler depuis l’étranger révèle certains obstacles. Peu envisagés par la législation, lepetitjournal.com dresse leur liste.
Avec la généralisation du télétravail, de plus en plus de salariés décident de partir vivre à l’étranger tout en continuant de travailler pour leur entreprise basée en France. Mais la recrudescence de ces demandes d’expatriation pose de nouvelles problématiques. Où l’employé est-il imposable ? Comment cotiser pour la retraite ? Du côté des employeurs, nombre de questions se soulèvent : faut-il s’immatriculer à l’étranger ? Comment gérer différents systèmes fiscaux ?
Olivier Desurmont, président et co-fondateur de Cooptalis, et Olivier Janoray, avocat-associé du cabinet Arsene, spécialisé en fiscalité, font le point sur les obstacles qui se dressent face à cette situation hybride, à la croisée de l’« expatriation » et du « télétravail », mais « dans un Etat autre que celui de situation de l’employeur », comme le précise Olivier Janoray.
Quel est mon pays de résidence fiscale ?
Une des premières questions à émerger en matière de télétravail depuis l’étranger est celle de la résidence fiscale. Si celle de l’employeur est en France, mais celle de l’employé hors du territoire, où est-il imposable ? « Du point de vue fiscal, le télétravailleur à l’étranger pourrait être considéré comme non résident fiscal en France s’il ne correspond plus aux critères de résidence français. Il pourrait donc être redevable de l'impôt dans son pays de télétravail et de résidence fiscale. », explique le président de Cooptalis.
En France, la résidence fiscale peut avoir différentes caractéristiques. « Le code général des impôts définit la résidence fiscale de façon protéiforme. La première est d’avoir son foyer en France. Si vous n’avez pas de foyer en tant que tel, le nombre de jours passés en France dans l’année pourra emporter votre résidence fiscale en France. Par ailleurs, si vous exercez votre activité professionnelle principale en France, vous êtes également considéré comme résident fiscal. Il en sera de même si le « centre de vos intérêts économiques » se situe en France. » résume Olivier Janoray.
Télétravailleurs expatriés : comment cotiser à la sécurité sociale et à la retraite ?
La question de la qualité du système de santé est également essentielle. Olivier Desurmont explique ainsi que les questions « liées à l’assurance » que sont la sécurité sociale et la mutuelle sont cruciales, « l’employeur ayant une obligation de santé et de sécurité vis-à-vis de son employé ». Olivier Janoray le confirme : « La question du lieu où l’on doit payer ses impôts et charges sociales est importante. L’exercice physique de l’activité compte : si vous avez une activité 100% en télétravail de chez vous, vous pourriez n'être imposé que dans votre seul Etat de résidence. », avance Olivier Janoray.
Lors d’une table ronde organisée par Cooptalis le 27 mai, et intitulée « Comment gérer le télétravail longue distance de mes collaborateurs ? », la question de la cotisation au système de retraites a également été évoquée. Il en ressort que la plupart des salariés âgés de moins de 50 ans décident simplement de ne pas cotiser durant leur expatriation. Une autre solution consiste à cotiser via la Caisse des Français de l’Etranger, qui propose également une assurance santé, « mais cela coûte très cher. Il est rare que les employeurs le financent pour vous, et le faire à titre individuel est très coûteux. », argue l’avocat en droit fiscal. « C’est la plus chère de toutes les assurances privées. Tout dépend également de votre pays de résidence. Si vous vivez dans l’Union européenne ou en Suisse, vous continuez à cumuler vos trimestres. Il y a un principe d’unicité de la législation sociale applicable et une prise en compte au niveau européen de votre carrière. » complète-t-il.
Quelles difficultés du côté de l’employeur ?
La question des démarches à effectuer par l’entreprise qui emploie le salarié basé à l’étranger est également cruciale. « A mon sens, il y a davantage de difficultés pour l’employeur que pour l’employé. », explique Olivier Janoray, avant de poursuivre : « De nombreux Etats fonctionnent par des prélèvements à la source, en matière fiscale comme sociale. Si vous êtes installé en Allemagne, votre entreprise française devra s’immatriculer en Allemagne pour payer les charges sociales, pour payer des impôts et prélèvements à la source. Ce sont des coûts de mise en oeuvre extrêmement lourds. Cela oblige une entreprise française à gérer des systèmes déclaratifs autres que le régime français, qui n’est déjà pas facile. ». Un certain nombre de contraintes existent donc pour l’employeur, qui compliquent d’autant plus les possibilités d’expatriation des employés.
Dans le cas où l’employé travaille depuis l’étranger mais se rend régulièrement dans les bureaux de l’entreprise en France, les problématiques sont d’autant plus complexes. Il faut d’abord déterminer la législation applicable. L’employeur « devra peut-être s’immatriculer dans le pays en question pour pouvoir y payer un certain nombre d’impôts et s’assurer qu’il n’y ait pas de double-imposition. Vous devez le faire aussi bien pour les salaires fixes que pour les bonus, ou en matière d’actionnariat-salarié, car certaines entreprises mettent en place des plans d’actions gratuites ou des Bons de souscription de parts de créateur d’entreprise (BSPCE) pour les start-up. », évoque l’avocat. Il s’agit donc d’une décision qui nécessite de penser ces différents aspects.
Une législation encore inadaptée au télétravail depuis l’étranger
Aujourd’hui, ce type d’expatriation se traduit par un certain vide juridique, étant donné son caractère récent. « Un encadrement minimal de cette nouvelle flexibilité serait bienvenu pour protéger employeur et employé, assurer une qualité de vie au télétravail. », argue Olivier Desurmont, chiffres à l’appui : « Pour rappel, 58% des entreprises que nous avons interrogées n’ont pas encore réfléchi ou mis en place de protocoles de vérification des conditions de travail. Et dans l’attente, un accord entre employeur et employé incluant des modalités sur la durée et un lieu défini parait être un minimum. », conclue le président de Cooptalis.
« Les règles fiscales ont de tout temps été très peu adaptées à la mobilité. Par conséquent, nous avons toujours dit qu’une activité professionnelle française est exercée physiquement en France. Dans les années à venir, il faudra prendre en compte cette mobilité. », ajoute l’avocat. « Nous apprenons tous les jours des conséquences de la mobilité, car les textes de lois ont pour la plupart été rédigés à une époque où les gens ne voyageaient pas professionnellement. », ajoute-t-il.
En conclusion, s’expatrier de cette façon est une décision qui ne peut pas être prise à la légère. « Il y a énormément de sujets à creuser. Ce n’est pas un choix anecdotique. », conclue l’avocat.