Le second volet de notre dossier, Pologne – Union Européenne, je t’aime moi non plus, revient sur l’intégration de la Pologne, l’amélioration des relations entre la Pologne et les institutions européennes, puis l’accumulation de tensions depuis son adhésion. Près de 20 ans après, quel a été l’impact sur son économie, comment sa politique intérieure a-t-elle influencé sa place au sein de l’Union, pourquoi n’a-t-elle toujours pas adopté l’euro, où en est-on des procédures lancées par Bruxelles ?
2005 : le temps de l’économie florissante
A son entrée dans l’UE, la Pologne faisait partie des états membres les plus pauvres de l’Union, son PIB par habitant équivalait à 50 % de la moyenne européenne en 2005. Depuis, la Pologne a largement bénéficié d’aides européennes, notamment 60 milliards d'euros de fonds structurels entre 2007 et 2013 puis 82.5 milliards d’euros sur la période de 2014 à 2020, la faisant le plus grand bénéficiaire de fonds européens.
Véritable carrefour au cœur de l’Europe, le développement de la Pologne a bénéficié à l’ensemble de l’Union en tant que pont entre l'Est et l'Ouest. Seule économie à ne pas être entrée en récession lors de la crise économique de 2008, la Pologne a su montrer sa robustesse face aux crises. La forte croissance de son PIB, en moyenne 4 % chaque année au cours de la décennie 2010, et son taux de chômage en baisse lui ont permis de devenir la 6e économie de l’UE (en PIB).
Le temps des accords : le Triangle de Weimar tombé en désuétude puis ressuscité par la guerre en Ukraine
Créé en 1991, cette plateforme d’échange franco-polono-allemande a facilité la réconciliation germano-polonaise et l’entrée de la Pologne dans l’UE. Depuis, les rencontres trilatérales sont devenues irrégulières et les changements de gouvernements ont eu un impact négatif sur la relation entre les trois pays. La coopération tripartite s’étant déjà détériorée après le soutien polonais à l’intervention américaine en Irak en 2003.
Certains événements ont contribué à revitaliser le Triangle de Weimar. Par exemple, l'accord sur le budget européen 2007-2013 avant lequel la Pologne craignait des coupes dans les aides européennes, l’arrivée des libéraux allemands (FDP, Freie Demokratische Partei) au sein de la coalition gouvernementale allemande en 2009 a permis un regain d’intérêt pour la Pologne, ou encore en 2014 en négociant un accord avec le président ukrainien Victor Ianoukovytch afin d’apaiser les tensions dans son pays en ébullition lors de la révolution de l’Euromaïdan. Alors que le Triangle de Weimar battait de l’aile, l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 a relancé ce format de coopération, reste à savoir combien de temps cela durera…
Triangle de Weimar à Paris : le phœnix renait de ses cendres... jusqu’à quand ?
2005, le temps des fauteurs de trouble : les frères Kaczyński entrent en scène
L’arrivée du PiS au pouvoir avec les jumeaux Kaczyński en 2005 sonne la tentation du repli sur soi, marquant le début d’une nouvelle ère pour le pays. Les frères Jarosław et Lech Kaczyński, fondateurs du parti, ont utilisé les traumatismes liés à l’histoire polonaise, notamment le sentiment anti allemand, pour satisfaire une minorité de la population, encensant un sentiment populiste et nationaliste.
La mort de Lech Kaczyński dans un accident d'avion en 2010, alors qu'il se rendait en Russie pour une cérémonie commémorative du massacre de Katyń, a été un moment de deuil national et a conduit son frère, Jarosław, à se présenter aux élections présidentielles ; il n’a pas été élu.
Le PiS est revenu au pouvoir en 2015 avec l’élection d’Andrzej Duda, qui a ravivé la tendance du repli sur soi, et se traduit par des séries de législations qui suscitent des inquiétudes tant à l'intérieur du pays qu’au sein du reste de l’UE. Parmi ces mesures, on peut citer le renforcement du pouvoir exécutif, la mise au pas du tribunal constitutionnel, la réduction des libertés individuelles, telles que des restrictions sur le droit à l’avortement, et des atteintes aux droits des minorités. Bruxelles a exprimé son mécontentement en déclenchant, en décembre 2017, la procédure de l’article 7 du traité sur l’Union européenne pour violation de l’Etat de droit, considérant que « l’appareil judiciaire du pays est à présent sous le contrôle politique de la majorité ». La société polonaise est de plus en plus polarisée, avec d'un côté les fervents partisans du PiS et de l'autre, leurs opposants, europhiles qui critiquent la détérioration de l'État de droit.
Le temps de la modération, Kazimierz Marcinkiewicz : dernier rempart contre les frères Kaczyński
Alors que le PiS a accédé à la présidence polonaise en 2005, Kazimierz Marcinkiewicz est nommé Président du Conseil des ministres de Pologne, c’est-à-dire Premier ministre. A cette époque, dans un article du quotidien français Le Monde, il était décrit comme le « dernier rempart contre les tendances populistes, souverainistes et anti-européennes de la coalition de droite menée par les frères Kaczyński en Pologne ». En tant que Premier ministre il a prôné une approche plus modérée et ouverte au sein du parti Droit et Justice (PiS), impliquant une coopération renforcée avec l'Union européenne et le maintien de relations amicales avec les pays voisins. Marcinkiewicz démissionne en juillet 2006, à la suite de quoi Jarosław Kaczyński est nommé Premier ministre, faisant de la Pologne le seul pays où deux frères occupaient les postes de chef d’état et de chef de gouvernement et renforçant la ligne du PiS pendant un an, après quoi des élections parlementaires anticipées se tiennent.
Le temps de redorer son image au sein de l’Union Européenne : le gouvernement Tusk
Donald Tusk, Premier ministre de 2007 à 2014, issu de la Plate-forme civique (PO) a entrepris de redorer l’image de son état au sein de l'Union européenne. Conscient de l'importance de l'intégration européenne pour le développement de la Pologne, le gouvernement s'est engagé à renforcer les relations de la Pologne avec ses partenaires européens. Le premier ministre libéral affirmait en 2007 que « la Pologne n'est pas l'enfant terrible de l'UE », et, Varsovie pris de nombreuses décisions allant dans ce sens pour le prouver : lever son véto à la création d'une Journée européenne contre la peine de mort ou ne pas imposer de véto sur les décisions prises à Bruxelles (dont le vote sur le budget 2014-2020). Grâce à ses efforts, la Pologne a réussi à regagner la confiance de ses partenaires européens et se rapproche de l’Allemagne et de la France.
Pologne – Union européenne, je t’aime moi non plus : le temps du bonheur (partie 1/2)
Le temps de penser à l’adoption de l’euro ?
Comment expliquer que la monnaie utilisée en Pologne soit encore le Złoty ? En effet, lors de son intégration à l’UE en 2004, la Pologne a également rejoint l’union économique et monétaire européenne, signifiant son obligation d’adopter l’euro – sans qu’un délai ne lui soit imposé. On tend à l’oublier.
L’adoption de l’euro a été maintes fois repoussée depuis, d'abord pour des raisons économiques puis politiques. Avant de pouvoir adopter l’euro, il faut satisfaire à cinq critères économiques « de convergence », dont une inflation maîtrisée, le respect strict des dépenses publiques et la maitrise de son déficit public.
Le PiS s’oppose toujours à l’euro, insistant sur la nécessité que la Pologne rattrape économiquement ses voisins de l’Ouest, et craignant que cela mène à l’adoption d’une politique budgétaire européenne commune ce à quoi il s’oppose. De plus, le Złoty étant mentionné dans la constitution polonaise, une réforme constitutionnelle risquerait de fragiliser le soutien populaire du PiS. Le parti d’opposition principal, la Plateforme Civique (PO), est bien plus enclin à ce que la Pologne adopte l’euro.
En 2007, Donald Tusk, après sa victoire aux élections législatives avait déclaré « vouloir adhérer à l'euro le plus rapidement possible », seulement c’était sans imaginer qu’une crise économique mondiale allait frapper. La Pologne ayant bien résisté lors de cette crise, l’abandon du Złoty suscite des inquiétudes quant à son impact sur l'économie polonaise. Le Premier ministre Mateusz Morawiecki a déclaré que le remplacement de la monnaie nationale polonaise provoquerait le « chaos », ce changement ne risque donc pas d’arriver avant encore plusieurs années.
Le temps des procédures lancées par Bruxelles contre Varsovie
Depuis le retour du PiS au pouvoir en 2015, la Pologne a pris des décisions jugées contraires au droit et aux valeurs européennes. Bruxelles n’a pas caché son désaccord et a lancé plusieurs procédures à l’encontre de Varsovie, dans l’espoir de que cela change la situation. Les réformes du système judiciaire polonais menacent les principes fondamentaux de l’État de droit selon l’Union européenne.
En décembre 2017, la Commission déclenche pour la première fois la procédure prévue à l'article 7 du Traité sur l’Union européenne à l'égard de la Pologne. Si elle aboutit cette « option nucléaire » doit démettre un état membre de ses droits de vote au Conseil. Le soutien de la Hongrie à la Pologne ne permet pas de faire aboutir cette procédure.
Bruxelles relance une procédure identique en mars 2018, ce qui pousse Varsovie à supprimer certaines dispositions contestées. Deux autres procédures à l’encontre du gouvernement polonais sont lancés en 2019 puis en 2020. Saisie en 2018 par la Commission européenne, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé que ces réformes sont « contraires au droit de l’Union » et violent le principe de l’indépendance judiciaire en Pologne.
La Cour a condamné à plusieurs reprises la Pologne, notamment en juin puis en novembre 2019, considérant qu’elle a violé l’état de droit. De nouvelle procédures à l’encontre de la Pologne sont lancées en 2021, pour « atteintes aux valeurs fondamentales de l’Union européenne » après des atteintes aux droits LGBT+. L’UE a trouvé une solution pour que Varsovie prennent des décisions dans son sens : la conditionnalité des fonds européens et du plan de relance.
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a également condamné la Pologne à plusieurs reprises à la suite des réformes judiciaires qui avaient permis de révoquer plusieurs juges sans explications, ce qui a été jugé comme étant une « violation du droit d’accès à un tribunal ».
Le temps du droit de véto lors de négociations européennes
Un autre point de tension entre la Pologne et le reste de ses voisins européens est l’utilisation répétitive de son droit de véto lors de négociations, notamment au sein du Conseil européen. Cette utilisation du véto a parfois créé des blocages, que la Pologne assume souvent avec son voisin hongrois. Ce n’est pas une nouveauté, dès son entrée dans l’Union européenne elle n’a pas hésité à l’utiliser pour défendre ses intérêts.
Dès 2006, elle bloquait le lancement de négociations sur un accord de partenariat avec la Russie. Son utilisation par le PiS continue, il espère ainsi que ce droit ne lui sera pas révoqué comme le souhaite certains états membres qui préféreraient eux un « vote à la majorité qualifiée en matière de politique étrangère et de sécurité commune ».
L’invasion de l’Ukraine par la Russie a permis de réchauffer les relations entre la Pologne et Bruxelles, la Pologne faisant figure de bonne élève dans son soutien apporté à son voisin de l’Est.
Mais cela suffira-t-il ?