« Ma revendication en tant que femme c’est que ma différence soit prise en compte, que je ne sois pas contrainte de m’adapter au modèle masculin. » a écrit Simone Veil en 1975. Si on place cette citation dans le monde du travail, pourrait-on dire qu’il y a un modèle de management plus féminin et un style plus masculin ? C’est la question soulevée lors de la rencontre le 7 mars dernier : « Management - existe-t-il un style féminin et un style masculin ? Que pouvons-nous apprendre des dirigeants d'aujourd'hui ? » conjointement organisée par Les Employeurs de Poméranie (Pracodawcy Pomorza) et la CCI France-Pologne (Francusko-Polska Izba Gospodarcza) qui a réuni des experts en ressources humaines et des cadres d’entreprises.
En préambule, le statut des femmes françaises et polonaises : retour sur leurs combats pour l'égalité au fil des siècles
Certes la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympes de Gouges datant du 14 septembre 1791, aurait pu amorcer une égalité civique entre les femmes et les hommes, dès cette période en France, mais les choses n’ont pas été aussi simples.
De l’autre côté de l’Oder, les Polonaises obtiennent le droit de vote en novembre 1918, grâce, notamment au combat de la militante indépendantiste Aleksandra Szczerbińska, épouse de Józef Piłsudski, alors que les Françaises doivent encore attendre le 21 avril 1944.
En Pologne, en 1918, l’indépendance du pays marque une étape dans l'émancipation des Polonaises, qui obtiennent leurs premiers sièges au Parlement, avec notamment Zofia Moraczewska, fondatrice en 1913 de la Ligue des femmes polonaises, Liga Kobiet Polskich et Zofia Sokolnicka, experte pour représenter la partie polonaise à la Conférence de paix de Paris en 1919. Du côté de l’Hexagone, il faudra attendre 1945 pour voir les premières femmes parlementaires élues, avec notamment Marie-Madeleine Dienesch.
Zofia Wasilkowska est la première femme polonaise qui accède à un poste de ministre en 1956, au ministère de la Justice. En France, s’il y avait déjà des femmes sous-secrétaires d’Etat dès les années 1930, avec notamment Irène Joliot-Curie dans le premier gouvernement de Léon Blum, la première femme à diriger un ministère est Germaine Poinso-Chapuis, au portefeuille de la Santé, durant neuf mois entre 1947 et 1948. Ce sont ensuite six femmes qui font leur entrée dans le gouvernement de Valéry Giscard d'Estaing en 1974 avec notamment Simone Veil au ministère de la Santé.
Une année seulement sépare l’accession de la première femme au poste de premier Ministre entre les deux pays : Edith Cresson est la première femme française premier Ministre en 1991 et Hanna Suchocka devient la première femme Premier ministre de l'histoire de la Pologne en 1992.
Ce bref historique de l’obtention des droits civiques des femmes françaises et polonaises montre une progressive convergence entre les deux pays. Le terrain politique est-il comparable au terrain économique ?
Nous avons demandé aux intervenants et participants de la rencontre « Management - existe-t-il un style féminin et un style masculin ? Que pouvons-nous apprendre des dirigeants d'aujourd'hui ? », de nous livrer leurs points de vue et impressions en lien avec leurs expériences de terrain, à cheval entre les deux pays et plusieurs cultures.
Témoignages de leaders
Culture, génération ou encore éducation : tous ces facteurs qui influencent le style du leader ont été passés au crible au cours de la dernière rencontre de la Chambre de Commerce et d’Industrie Franco-polonaise (CCIFP), à Gdańsk, le 7 mars, qui a réuni des experts en ressources humaines, des gestionnaires et dirigeants d’entreprises, de Gdańsk, Sopot et Gdynia :
- Ewa Kruchelska, membre du conseil de surveillance de la société des chantiers navals CRIST SA et qui par ailleurs est Vice-présidente du conseil d’administration de Pracodawy Pomorza,
- Joanna Szulc, Vice-présidente de l’European Academy of Management,
- Ewa Brzozowska, Directrice générale d’Aloxe Polska,
- Marcin Sikorski, Directeur général de Bolloré Logistics Poland,
- Stanisław Motylski, Directeur général de la société Flextronics à Tczew et par ailleurs Vice-président du conseil d’administration de Pracodawcy Pomorza,
- ainsi que Paulina Gadowska-Grażul, responsable de la communication interne chez Michelin Pologne.
Virginie Little, déléguée régionale de la CCIFP dans la Triville (Gdańsk, Sopot et Gdynia) et co-organisatrice de l’évènement nous explique que « Normalement, je ne prête pas attention à la journée de la femme, ou du droit des femmes, ce sont souvent des événements qui sont pour les femmes, par les femmes et avec que des femmes, et moi, ce que j’aime, c’est la mixité. (...) S'il n'y a que des femmes dans la salle, on ne va pas faire bouger les lignes. Mais en même temps, c'est une journée importante qui pousse à la réflexion sur les styles de management qui pourraient être intéressants et les changements dans le monde de l’entreprise.(...) ».
Qu’en ont pensé Virginie Little, ainsi que des participantes : Aldona Długokięcka-Kałuża, entrepreneuse, ambassadrice de la ville de Toulouse en Pologne et Beata Koniarska, Vice-présidente du conseil d'administration des Employeurs de Poméranie, qui ont également exprimé leur point de vue durant la rencontre ?
Les différents styles de management entre les hommes et les femmes, une vue de l’esprit ?
Aldona Długokięcka-Kałuża insiste sur les disparités financières et de pouvoir :
« Les hommes qui sont déjà dans la politique, dans le business, ont des statuts décisifs, pour impulser les changements qu’ils souhaitent. Car le pouvoir, c’est l’argent : en posséder est crucial pour entreprendre en temps que femme. Quand il n’y a pas de moyen, il n’y a pas de résultat. »
Quant à Beata Koniarska, elle souligne que
« Le management au féminin, c’est un peu cliché. »
Une opinion appuyée par Aldona Długokięcka-Kałuża : « C’est tellement cliché (...) Quand on passera aux analyses sur les façons dont on peut mélanger les compétences femmes et hommes, ce sera enfin moins stéréotypé. Mais pour l’instant, on n’est que dans la discussion. Et cette discussion est toujours clichée ».
Le management féminin à la vent en poupe : il est toujours plus recherché pas les entreprises
Virginie Little en est convaincue : les compétences des femmes leader sont :
« L'empathie et le dialogue », nécessaires pour la gestion d’une entreprise apaisée : « c'est plus facile pour nous de consulter que pour les hommes, souvent retenus dans la position qu’il est attendu d’eux : celui du leader charismatique avec le strict minimum de consultation de ses salariés. »
Beata Koniarska replace toutefois au centre de la discussion la question de l’imitation par les femmes d’un management masculin, pour être plus acceptées :
« Les femmes savent pertinemment qu’elles sont peu représentées dans les postes de direction. Quand elles parviennent à ces postes, beaucoup d’entre elles essaient d’être comme des hommes. Pour montrer qu’elles sont capables de faire ce genre de boulot, elles se montrent encore plus dures ! Ces styles de management traditionnels vont en fait encore plus se renforcer. »
La mentalité polonaise, plus favorable aux femmes leaders ?
La Pologne, terre propice à l’affirmation des femmes dans le management : c’est le constat que dresse Beata Koniarska et Aldona Długokięcka-Kałuża. «Je pense que c’est beaucoup mieux pour des femmes d'avoir une entreprise ou d’être cheffe d'entreprise en Pologne » affirme Beata Koniarska.
Aldona Długokięcka-Kałuża complète « Les femmes leaders, en Pologne, elles ont beaucoup plus d'opportunités, parce qu’on est au début de la route. Il n 'y a pas beaucoup de femmes qui sont dans le business, dans la politique : la proportion n'est pas énorme. Alors qu’en France, il y en a déjà ».
Les compétences du bon manageur sont non-genrées : “Chill”, fringant, empathique, multiculturel, visionnaire…
Lorsqu’il s’agit de compétences du manager (féminin ou masculin), tous les experts partagent l’avis de Beata Koniarska : « la compétence d’abord ».
Virginie Little complète :
« Le bon manager, c'est quand même celui qui est lui-même : pas dans les bottes de quelqu'un d'autre et même si on n’est pas forcément charismatique, on peut être un bon gestionnaire, du moment qu’on sait bien gérer, à la fois les hommes et les femmes. »
Si Virginie Little insiste sur les compétences clés du bon manager, Beata Koniarska met l’accent sur l’entrée sur le marché des nouvelles générations, demandeuse d’un management moins directif : « On commence à voir beaucoup plus de femmes, mais aussi de jeunes à la direction d’entreprises. Ça pousse à changer petit à petit les styles de management, car les jeunes acceptent de moins en moins des hiérarchies très directives : ils ne restent pas dans ces entreprises, c’est donc à elles de s’adapter ».
Aldona Długokięcka-Kałuża insiste sur la question éducative, qui reste encore aujourd’hui un levier de changement peu actionné : « Il faut apporter des changements dans les programmes scolaires, pour apprendre aux femmes à être auto-entrepreneuses. (...) Parce que c'est une entreprise qu'on fait sur soi avant d'être une entreprise qu'on gère ».
C’est Virginie Little qui conclut en ouvrant encore les perspectives de cette discussion à la dimension culturelle :
« Est-ce que c’est vraiment une question de femme, ne serait-ce pas plutôt une question de culture ? »