Entre les ordonnances dites « Macron » et le Job Act, état des lieux de l’évolution de la jurisprudence quant à l’indemnisation des licenciements en France et en Italie.
France (Cabinet Flichy Grangé Avocats)
Le « barème Macron » applicable à l’indemnisation des licenciements injustifiés validé par la Cour de cassation au regard du droit international
Les ordonnances dîtes « Macron » du 22 septembre 2017 ont encadré la réparation du préjudice résultant d’un licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse entre des montants minimaux et maximaux fixés par la loi (1 à 20 mois de salaire brut en fonction de l’ancienneté), limitant ainsi l’office du juge en la matière.
Ce barème figurant à l’article L.1235-3 du Code du travail est applicable aux licenciements prononcés à compter du 23 septembre 2017.
Il est important de rappeler que le dispositif n’est pas applicable en cas de nullité du licenciement, c’est-à-dire notamment en présence de licenciements résultant d’une discrimination ou de la violation d’une liberté fondamentale (liberté syndicale, par exemple), ou encore faisant suite à des faits de harcèlement moral et/ou sexuel. Ainsi, le législateur a exclu par principe les cas les plus graves de licenciements abusifs qui échappent au barème et pour lesquels le juge conserve toute sa liberté pour apprécier le montant des dommages et intérêts qu’il entend allouer au salarié.
En outre, le barème ne concerne que l’indemnisation allouée au titre de la rupture du contrat de travail, à l’exclusion des dommages et intérêts pouvant être sollicités au titre de l’exécution du contrat de travail (exécution déloyale du contrat, manquement à l’obligation de sécurité, etc…).
L’entrée en vigueur du barème a immédiatement été critiquée par une partie du monde judiciaire qui y a vu une atteinte au principe d’indemnisation adéquate et de réparation appropriée du préjudice, notamment au regard des articles 10 de la Convention n°158 de l’OIT et 24 de la Charte sociale européenne, outre une violation du droit au procès équitable garanti par l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH).
A cet égard, il convient de rappeler qu’en droit interne, le dispositif avait été validé par le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel. Ce dernier avait considéré que l’objectif de prévisibilité des conséquences indemnitaires liées à la rupture du contrat de travail était un objectif d’intérêt général de nature à permettre au législateur d’encadrer la réparation du préjudice.
Le Syndicat des avocats de France a néanmoins élaboré un argumentaire juridique contre le barème, qui a été largement relayé par les avocats et les syndicats de salariés devant les juridictions prud’homales.
Le dispositif introduit en septembre 2017 a dès lors divisé les Conseils de prud’hommes, dont de très nombreux ont écarté le barème en présence d’un licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse, en particulier lorsque le salarié en cause avait une faible ancienneté.
C’est précisément à la suite de sa saisine pour Avis par deux Conseils de prud’hommes que la Cour de cassation, en formation plénière, a rendu le 17 juillet 2019 deux Avis très attendus dans lesquels elle a retenu sans réserve la conventionalité du barème, aux motifs que :
- Les dispositions de l’article L.1235-3 du Code du travail n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 6§1 CESDH, en ce qu’elles limitent le droit matériel des salariés à réparation mais ne constituent pas un obstacle entravant leur accès à la justice ;
- Les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne n’ont pas d’effet direct, ce qui signifie qu’elles ne sont pas invocables dans le cadre d’un litige entre particuliers devant les juridictions nationales ;
- L’article 10 de la Convention n°158 sur le licenciement de l’OIT, qui est d’application directe en droit interne, est compatible avec le barème dès lors que la réparation « adéquate » du dommage prévue par l’article 10 doit être comprise comme réservant aux Etats parties une marge d’appréciation. Or, à cet égard, la Cour a notamment rappelé que le législateur a usé de cette marge d’appréciation en instituant des planchers et des plafonds d’indemnisation, que le juge conserve la faculté de proposer la réintégration du salarié et que le barème est exclu en cas de nullité du licenciement.
Ces Avis de la Cour de cassation, bien qu’ils ne lient pas les juges du fond, devraient avoir pour effet de sécuriser le dispositif et d’endiguer les décisions judiciaires d’inapplicabilité du barème qui induisent des différences de traitement entre les justiciables.
En revanche, les recours en nullité du licenciement, qui permettent d’échapper au barème, pourraient quant à eux continuer d’augmenter.
Italie (Cabinet Lablaw)
L’arrêt de la Cour Constitutionnelle concernant l’indemnisation pour les licenciements abusifs, telle que prévue par le Jobs Act
En ce qui concerne l’Italie, le Jobs Act (article 3, alinéa 1, décret législatif n ° 23/2015, c.d. Tutele Crescenti / Protections Croissantes) a introduit des nouvelles règles – applicables aux travailleurs embauchés depuis le 7 mars 2015 – concernant l’indemnité due au travailleur en cas de licenciement abusif (pour absence de raison subjective ou objective, ou de motif valable).
Ladite indemnité avait été établie par le Jobs Act uniquement sur la base de la durée du rapport avec le travailleur: 2 mensualités de salaire pour chaque année d'ancienneté, avec un minimum de 4 mois et un maximum de 24 mois, sans que le juge ait la faculté de pouvoir adapter l'indemnisation au cas par cas.
Les limites minimales et maximales ont été récemment augmentées par la loi de conversion du décret « Dignité » (loi n ° 96/2018), respectivement à 6 et 36 mensualités, sans modifier le critère de détermination lié uniquement à l’ancienneté du travailleur.
La Cour Constitutionnelle italienne, dans son arrêt n. 194 du 26 septembre 2018, a déclaré l’inconstitutionnalité de l’art. 3, alinéa 1, du décret législatif n. 23/2015 dans sa partie concernant la méthode de calcul de l'indemnisation en cas de licenciement injustifié.
En effet, la Cour a souligné que "la prévision d'une indemnité croissante sur la base de l'ancienneté du travailleur, est contraire aux principes de bon sens et d'égalité et va à l’encontre du droit et de la protection de l'emploi prévus par les articles 4 et 35 de la Constitution ".
En outre selon la Cour, les règles concernant l’indemnisation en cas de licenciement prévues par le Législateur italien sont contraires aux articles 76 et 117 de la Constitution italienne (lesquels prévoient que les lois italiennes doivent respecter les principes établis par les Conventions internationales) dès lors que ces règles d’indemnisation contreviennent aux sources internationales, et en particulier à l’article 10 de la Convention n°158 sur le licenciement de l’OIT et à l’article 24 de la Charte sociale européenne.
Par conséquent, le système de calcul de l‘indemnité lié uniquement à l'ancienneté n'étant plus valable, le pouvoir discrétionnaire du Tribunal du Travail est considérablement accru. De ce fait, le juge peut déterminer, dans les limites maximales et minimales prévues par la loi, le montant de l'indemnisation en tenant compte non pas uniquement du salaire et de l'ancienneté de service acquise, mais aussi d’autres circonstances factuelles entourant la rupture du contrat de travail(telles que le nombre de salariés dans l’entreprise, l’importance de l’activité de l’entreprise, les conditions et les comportements des parties), qui pourront éventuellement augmenter ou diminuer le montant d’indemnisation à la charge de l’employeur.
Ainsi, à la suite de l’intervention de la Cour Constitutionnelle, les seuils d'indemnisation minimaux et maximaux devraient constituer la fourchette dans laquelle le juge déterminera, au cas par cas, l'indemnité allouée en cas de licenciement abusif.
On peut d’ores et déjà anticiper que cette déclaration d’inconstitutionnalité nous ramènera à la période d’incertitude antérieure au Jobs Act concernant les critères de détermination de l’indemnisation allouée au salarié en cas de licenciement illégitime.
Conclusions
Il est néanmoins intéressant de noter que si l’Avis de la Cour de cassation française et la décision de la Cour constitutionnelle italienne aboutissent à deux solutions contraires (l’une validant un dispositif d’encadrement et de plafonnement de l’indemnisation en cas de licenciement abusif en fonction de la seule l’ancienneté, et l’autre le condamnant au motif que le montant alloué ne peut reposer que sur la seule ancienneté du travailleur), une logique juridique concordante peut être identifiée.
En effet, ce qui semble avoir permis au barème « Macron » d’être jugé conforme au principe de réparation adéquate du préjudice, outre le fait qu’il ne concerne pas tous les types de licenciement, est la marge d’appréciation laissée aux juges pour fixer une indemnité dans la fourchette située entre le plancher et le plafond fixés par le barème, en tenant ainsi compte de circonstances factuelles autres que la seule ancienneté. Cette marge d’appréciation faisait en revanche totalement défaut au dispositif indemnitaire introduit par le Jobs Act.
Avec Maître Florence Vannetti, cabinet Flichy Grangé Avocats | www.flichygrange.fr