Française et expatriée depuis son enfance, Sophie Charretour dirige Merz Aesthetics en Italie. L’entreprise revendique le concept de « médecine de la beauté » et entend favoriser le respect de l’identité du patient. L’occasion d’échanger sur la notion de beauté et les différences de perception selon les cultures de chaque pays.
Une entreprise internationale, mais aussi une enfance internationale. Quel parcours vous a conduit à cette expatriation à Milan ?
Je suis une fille d’expat, j’ai eu une enfance à passer d’un pays et d’une culture à l’autre, du Moyen-Orient à l’Afrique. Une chance qui m’a fait prendre conscience très tôt que les frontières ne sont pas physiques. J’ai eu envie que mes enfants vivent cette même richesse d’expériences, qui forgent une personnalité. Je n’aurais sûrement pas le courage d’emmener ma famille en Angola comme la mienne l’a fait – pendant la guerre civile qui plus est ! –, mais après plusieurs années à Paris, nous sommes partis à Francfort, puis à Milan où nous avons posé nos valises en juin 2020.
C’est Merz, une entreprise pharmaceutique allemande fondée en 1908 et opérant au niveau international, et plus récemment dans la médecine esthétique avec sa division Merz Aesthetics, qui m’a offert ces opportunités professionnelles d’expatriation. J’ai commencé comme directrice marketing de la gamme des produits esthétiques en France, avant d’être au global marketing à Francfort et désormais country manager en Italie. Un pays que j’adore !
La beauté du corps est un donc argument que vous défendez. Mais la beauté est une notion relative… Que représente-t-elle, selon vous ?
Il s’agissait de mon sujet de prépa aux écoles de commerce ! Une ironie du sort sachant que rien ne me prédisposait à travailler dans la médecine esthétique.
La beauté peut sembler frivole quand elle s’apparente au corps, au visage et à la personne. Mais c’est aussi une notion extrêmement puissante. La beauté est partout, que ce soit dans l’architecture ou dans l’art. On ne peut s’en passer.
Si on se concentre sur la médecine esthétique, la beauté n’est ni éphémère ni frivole. Elle s’inscrit dans une démarche sociétale. On a toujours pris soin de soi en fonction de l’appartenance à laquelle on voulait s’associer : au 18ème siècle les belles femmes étaient voluptueuses, dans les années 90 il y a eu d’autres extrêmes avec des mannequins d’une maigreur absolue avec tous les désastres que cela a pu engendrer. Aujourd’hui, dans notre société occidentale, c’est l’ultra personnalisation qui prime. Il s’agit de ne pas de chercher à ressembler nécessairement aux autres mais à exprimer sa propre personnalité. C’est d’ailleurs toute la démarche de Merz : promouvoir la beauté comme une science éthique, qui au-delà de soigner l’aspect du patient, permet d’améliorer son bien-être physique et psychologique. Car la beauté ou simplement le fait de prendre soin de son aspect, contribue à l’estime de soi.
Aussi, en plus de mettre au point des produits innovants, nous formons les médecins qui vont traiter ces patients dans le respect de leur identité. Par exemple, on ne gomme jamais complètement des pattes d’oie, qui sont le reflet d’une personnalité joyeuse, c’est une hérésie !
La médecine esthétique est-elle démocratisée ?
Elle tend à l’être, de plus en plus. Nous avons développé une campagne Nude Beauty (la Beauté au naturel), à partir d’une vaste étude de marché menée sur plus de 4.000 patients pour comprendre leurs motivations à faire de la médecine esthétique. Cinq profils se sont distingués et traduisent bien cette démocratisation. La « patiente équilibre » a plus d’une quarantaine d’années. Elle se sent bien, elle est sereine, énergique, mais elle a l’air fatiguée le matin. Elle va avoir recours à la médecine esthétique pour harmoniser son visage avec son ressenti. Il y a par ailleurs la patiente qui veut augmenter son pouvoir de séduction. Il s’agit souvent d’une femme en carrière qui souhaite avoir le contrôle sur sa beauté. Les autres profils dominants sont la « sportive », la « curvy », ou encore la « cosmopolitaine ».
Au final, cette campagne vise à transmettre aux patients un message de médecine esthétique démocratique. Elle s’adresse aussi aux médecins appelés à respecter la personnalité du patient de manière naturelle.
Vous avez voyagé aux quatre coins du monde pour soutenir la médecine esthétique. Comment le rapport à la beauté et plus spécifiquement à la médecine esthétique se traduit-il d’un pays à l’autre ? Y-a-t-il par exemple une différence entre la France et l’Italie ?
La beauté est effectivement très relative. Elle est cantonnée à la société dans laquelle on vit, et diffère donc selon que l’on soit aux Etats-Unis, en Italie ou encore en Corée.
Le « profil équilibre » représente la demande majoritaire en Europe. Il y a donc peu de différences flagrantes entre la France et l’Italie. On note toutefois une démocratisation plus importante dans le Belpaese. La relation à la beauté y est plus transparente, alors qu’en France le recours à la médecine esthétique reste encore assez secret pour la génération des plus de 50 ans. Il existe d’ailleurs beaucoup plus de médecins esthétiques en Italie qu’en France, environ 8.000 contre 5.000. En Italie en outre, les traitements demandés tendent davantage vers l’apparence, ils doivent être plus visibles par exemple avec des bouches plus voluptueuses.
Au contraire, le profil de la femme qui exprime son pouvoir par la séduction, se retrouve principalement en Amérique du Sud, notamment au Brésil.
Dans quel pays le recours à la médecine esthétique apparaît comme le plus démocratisé ?
En Corée du Sud, l’acceptation sociale de la médecine esthétique est incroyable ! A tel point que je vais vécu à Séoul une surprenante expérience. Les cliniques spécialisées se sont multipliées et elles accueillent des centaines de patients par jour ! Il est en effet courant de faire son premier traitement de médecine esthétique dès la fin de ses études, juste avant de commencer son premier travail, principalement pour affiner la ligne mandibulaire. Dans les salles d’attente immenses et équipées d’une technologique à la pointe, les patients choisissent leur traitement en exprimant leur souhait à l’infirmière qui passe de l’un à l’autre. Derrière, les lits sont alignés les uns à côté des autres, séparés par un simple rideau. L’infirmière prépare les produits que le médecin injectera aux patients, et ces derniers ressortent aussitôt avec leur prochain rendez-vous fixé directement via une app dédiée !
Je me demande souvent si ce modèle de consommation de la beauté arrivera un jour pour les futures générations occidentales. En tous les cas, il reste pour l’instant complètement étranger à la culture européenne de la médecine esthétique, où le rendez-vous personnalisé avec un médecin reste fondamental.
Y a-t-il eu une évolution des pratiques pendant la pandémie de Covid-19 ?
L’industrie de la médecine esthétique a plutôt profité du Covid. Tous les marchés ont connu une nette croissance en 2020, en Italie de l’ordre de 15%. Plusieurs facteurs peuvent expliquer la motivation des patients. A commencer par l’effet « zoom », avec des journées passées en réunion devant l’ordinateur, à se voir comme devant un miroir. De quoi susciter la prise de conscience d’éventuels besoins esthétiques. Le télétravail a par ailleurs apporté une certaine flexibilité facilitant la prise de rendez-vous. Enfin, sans avoir la possibilité de dépenser pour des sorties culturelles ou sociales, l’argent a été « investi » pour prendre soin de soi et vivre en harmonie avec soi-même.