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Karine Biais : « Il faut arrêter cette politique de surstockage »

Karine Biais Les PArigotesKarine Biais Les PArigotes
Karine Biais, fondatrice du conceptstore Les Parigotes
Écrit par Marie-Astrid Roy
Publié le 25 novembre 2020

Alors qu’en France, le gouvernement vient de repousser le Black Friday, les marques et les enseignes qui boycottent cette pratique venue des Etats-Unis sont toujours plus nombreuses. A partir de Milan, la française Karine Biais, fondatrice du concept store Les Parigotes, tourne, elle aussi le dos à ce vendredi noir. Elle nous emmène dans les coulisses de cette journée à prix cassés et appelle à une journée (comme tous les autres jours de la semaine) plus responsable.


A l’instar de nombreuses marques, Les Parigotes aussi boycottent le Black Friday, cette journée à prix cassés. Pourquoi la surenchère des promotions est-elle un danger ?

Le Black Friday résulte d’une politique de surstockage mise en place depuis quelques années par les grands groupes textiles et suivi par les plus petites marques, contraintes de suivre la tendance afin de ne pas être pénalisées commercialement.
Pourquoi ces grands groupes choisissent-ils de se surstocker ? Il s'agit d'une nouvelle stratégie d'achat qui vise à négocier des conditions favorables : des prix d'achat très bas pour dégager une marge commerciale très importante et solder tout en conservant des profits. Auparavant, la production se faisait à flux tendu, aujourd’hui c'est donc le contraire.
Les marques ont créé un mécanisme extrêmement dangereux, et à plusieurs niveaux. Elles négocient sur des prix presque dérisoires en passant de grosses commandes dans des pays en voie de développement ou du tiers monde. Conséquence : les droits humains sont menacés avec une main-d’œuvre souvent exploitée ; les dommages sur l’environnement sont dramatiques avec l’utilisation massive de produits chimiques (peu onéreux) et des usines polluantes qui travaillent en continue. Résultat, la marque se retrouve avec des surstocks, mais elle a de toute façon la marge pour les écouler à coup de promotions.

 

Dans ce mécanisme, où se situent les revendeurs multi-marques ?

Ils sont forcés de suivre la démarche contre leur gré, pour leur survie, et proposent des -30 ou -40% dès le mois d’octobre, alors qu’ils n’ont pas la marge suffisante pour brader en tout début de saison.
Cette démarche étouffe les boutiques qui prennent le temps de sélectionner, de proposer des looks et outfits non conventionnels, face à une offre toujours plus standardisée imposée par les grands groupes. Cette tendance ne permet pas aux artisans locaux – pas assez compétitifs sur les prix - de résister et de maintenir des emplois sur notre territoire, ce qui risque par ailleurs d’appauvrir la vie locale de quartier. Elle ne permet pas non plus aux jeunes designers de se lancer.

 

Et le consommateur, qui se laisse volontiers séduire par d’alléchantes promotions ?

On ne peut pas le blâmer, ce mécanisme pervers l’invite à juste titre à craquer. Mais attention ! Ces rabais à répétition influent négativement sur nos habitudes d’achat. On consomme de manière presque compulsive et non plus par plaisir. On change de manière continue, on ne répare pas. On jette et on recommence. La valeur du vêtement – c’est-à-dire toute sa créativité, la recherche qu’il y a derrière -, n’est plus la priorité. On est dans une ère de surconsommation de produit éphémère, sans prise de conscience, en faisant abstraction de toute valeur. On compense sûrement un rythme de vie frénétique par des plaisirs éphémères, en faisant abstraction de toutes les valeurs transmises par les générations antérieures.

 

Alors comment "dénoircir" ce Friday, et tous les autres jours de l’année, pour les faire devenir plus Green ?

Il faudrait rééquilibrer la production pour ne pas tout externaliser. Mais attention, les ateliers en Chine, en Inde et plus généralement du Sud-est asiatique ont des compétences que beaucoup n’ont pas en Europe. Il faut juste bien les choisir, selon des critères de sélection qualitatifs. Les marques doivent redonner de la valeur à leurs produits.
Le consommateur lui, devrait acheter de manière plus raisonnée, acheter dans des commerces de quartier qui attachent de l’importance dans la sélection des marques. Et pourquoi pas prendre le plaisir de réparer des pièces avec l’aide d’une couturière du quartier, ou encore d’upcycler ses anciens jeans qu’on accumule dans ses placards. Il faut arrêter cette politique de surstockage !

 

Et Les Parigotes, à part tourner le dos au Black Friday, comment entendent-elles agir ?

On part du principe qu’il faut répondre à ses impulsions d’achats. Sauf qu’il y a d’autres formules qui peuvent être plus écolo et qui soutiennent l’économie locale. Dans ce sens, on est en train de travailler à un projet sur notre site en ligne. Il permettra aux clientes de donner une seconde vie à leurs vêtements, en les vendant. En échange, elles obtiendront un coupon de réduction à utiliser sur les nouvelles collections. D’où notre récent changement de nom en Les Parigotes collective.

 

Un appel à lancer aux fashionistas ?

Les blogueurs et influenceurs ont leur rôle à jouer. Ils doivent se démarquer, être les promoteurs d’une mode responsable, communiquer davantage sur des designers émergents et des acteurs économiques locaux (les revendeurs).

 

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