Alors que la pandémie de coronavirus a également bouleversé la grande distribution, rencontre avec Christophe Rabatel, nouveau directeur de Carrefour en Italie. Un marché clé pour le groupe, mais au panorama extrêmement particulier par rapport aux pays voisins.
Lepetitjournal.com/Milan : Vous êtes arrivé à la tête de Carrefour Italie en septembre dernier. Quel parcours au sein du groupe vous a conduit à Milan ?
Christophe Rabatel : Cela fait un peu plus de 16 ans que je travaille dans le groupe Carrefour, après avoir passé 9 ans dans une seule autre entreprise (Deloitte) après mon double diplôme franco-américain, entre Paris et Montréal. Chez Carrefour, j’ai d’abord commencé comme Directeur du contrôle financier de la zone Europe, puis j’ai été directeur financier et administrateur de la filiale en Turquie pendant 3 ans. Je suis ensuite retourné en France en tant que directeur financier, avec un périmètre élargi à l’IT, l’organisation, les actifs et à l’expansion des supermarchés Carrefour Market en France, pendant 3 ans également. Alors que je souhaitais passer à un rôle opérationnel, j’ai rejoint la proximité en tant que directeur régional pendant près de 3 ans, sur le périmètre de 22 départements dont les 8 de l’Ile de France.
Puis j’ai eu la chance de devenir le directeur exécutif de Carrefour Proximité France et des Cash&Carry en France (Promo Cash). J’avais ainsi la gestion de 4.200 magasins de proximité et d’environ 140 Promo Cash. Puis Alexandre Bompard m’a demandé de prendre la direction de Carrefour en Pologne (été 2018). Et depuis le 1er septembre, j’ai repris, à la demande d’Alexandre, celle de Carrefour Italie.
Vous êtes donc arrivé en plein cœur de la pandémie. Comment se porte la grande distribution en Italie ?
Carrefour est le dernier distributeur français en Italie. La situation n’est pas simple, notamment du fait de la crise liée au coronavirus et aux années de crise économique qui s’annoncent.
Paradoxalement, si on regarde les chiffres officiels de 2020 et notamment ceux de Nielsen, le marché a progressé en 2020, de 2% sur le marché italien. Mais la GDO s’est profondément transformée depuis l’émergence de la Covid-19, en bouleversant les canaux de la grande distribution. D’abord en faveur des e-commerçants, mais également énormément en faveur du discount.
En termes de dynamiques régionales, les tendances se sont inversées. L’Italie du nord était habituée à une dynamique plus forte que le reste de l’Italie, alors qu’en 2020 c’est le sud de l’Italie qui a tiré le pays pour le retail.
Les habitudes des consommateurs ont par ailleurs beaucoup changé. Dans un premier temps, avec des visites moins fréquentes en magasins pour limiter les interactions, et des courses plus conséquentes pour couvrir les besoins de la famille plus longtemps.
Il a aussi été remarqué que les consommateurs italiens, comme ceux du reste du monde, ont visité moins d’enseignes en se concentrant davantage sur les magasins de proximité, naturellement pour s’efforcer de raccourcir les temps de parcours, mais aussi le temps passé en magasin.
Tous ces changements nécessitent de l’adaptation de la part des acteurs du retail. Chez Carrefour, on en a profité pour accélérer l’e-commerce et les magasins de proximité, deux axes majeurs de notre stratégie dans le monde entier, et en Italie en particulier.
Carrefour a récemment fêté ses 61 ans de présence en Italie. Que pèse la filiale dans la Péninsule ?
En 2019, Carrefour Italia a réalisé plus de 5 milliards de chiffre d’affaires, compte près de 17.000 employés et un peu moins de 1.500 magasins. Parmi eux, il y a une petite cinquantaine d’hypermarchés, près de 500 supermarchés et 950 magasins de proximité. Et au sein de ce réseau, environ 1.000 magasins sont animés via des franchises, le reste du périmètre l’est dans un format intégré.
En comparant à vos nombreuses expériences développées à l’étranger, quelle particularité distingue le marché du détail en Italie ?
Je me rends compte que l’Italie a effectivement une réelle particularité. Elle compte un nombre impressionnant d’enseignes, c’est comme nulle part en Europe et encore moins en Amérique du Nord, avec plus de 300 enseignes ! Il s’agit du marché le plus fragmenté, local et régionalisé que j’ai été amené à rencontrer. Et cela, juste à côté de la France ! Ce sont certes des pays proches, aussi culturellement, mais pour autant extrêmement différents sur le plan de la GDO. L’Italie est pratiquement à elle seule une vingtaine de pays avec ses 20 régions, avec des chaînes régionales et locales très compétitives sur leur marché. Ils obligent les acteurs plus globaux, qu’ils soient nationaux ou internationaux, à développer leur mission régionalement et localement. Ce qui est un challenge passionnant car il nous incite à aller toujours davantage dans le détail des terroirs. Et on sait combien l’Italie est riche dans la diversité de ses produits traditionnels et de qualité.
Aussi, la stratégie du groupe Carrefour développée à l’international depuis janvier 2018, prend tout son sens en Italie. La transition alimentaire pour tous prend en compte tous les changements sociétaux et environnementaux. Le but est de faire en sorte que notre transformation bénéficie bien évidemment à nos clients, mais également à la planète. Le local est donc un axe fort de développement.
Mais comment entendez-vous répondre plus spécifiquement à la particularité du marché italien ?
Dans ce marché atomisé, il y a une culture très forte de l’entrepreneuriat, de la petite et moyenne entreprise. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. L’Italie compte un taux d’entrepreneurs et de PME bien plus élevé que ses voisins. Notre manière de nous adapter réside dans le développement de la franchise, encore plus qu’ailleurs. En profitant de cet esprit entrepreneurial, notre ambition est de devenir le meilleur franchiseur d’Italie, sachant qu’aujourd’hui nous sommes par la taille, le plus important sur le monde de la proximité et du supermarché (Carrefour Market et Carrefour Express).
Le but est donc d’être là où sont nos clients. Les franchiseurs implantés localement, sont en outre capables de travailler l’assortiment local. Ils ont cette connaissance du territoire, des terroirs locaux et des distributeurs avec lesquels construire des partenariats localement. Cela afin que nos clients nous considèrent véritablement comme un acteur de territoire, quand bien même Carrefour est une marque internationale.
Au niveau des produits disponibles dans les différents magasins à travers la Péninsule, comment cette ambition se traduit-elle ?
Notre autre manière de nous différencier, c’est par nos produits, nos marques propres pour cultiver cette importance du territoire et du terroir italien. De plus en plus de produits Carrefour bio sont ainsi originaires d’Italie. Les produits Filière qualité carrefour sont exclusivement produits en Italie. Et les produits Terre d’Italia sont par nature des recettes traditionnelles italiennes, donc 100% issus des terroirs italiens. On s’efforce d’ailleurs de développer toute cette gamme de produits pour renforcer notre axe de différenciation et assurer de nos convictions sur la transition alimentaire pour tous.
Le biologique est une tendance qui se démocratise, aussi en Italie. Quelle est la position de Carrefour dans ce domaine ?
Nous agissons activement en faveur de cette démocratisation du bio, en faisant en sorte de rendre les produits accessibles au plus grand nombre. Nous avons repositionné nos prix entre l’été et septembre dernier, afin d’optimiser le juste rapport qualité-prix et ainsi pouvoir rémunérer équitablement les producteurs, notamment locaux. J’invite d’ailleurs tous nos clients ou anciens clients à revenir dans nos magasins Carrefour pour constater cet abaissement des prix !
Au niveau du groupe, notre ambition est de devenir le leader du bio dans le monde : un objectif de 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires à l’horizon 2022. Et l’Italie ambitionne de développer l’organique à un rythme plus important encore que par le passé afin d’offrir un assortiment complet. Aujourd’hui, nous avons à peu près 1.900 références bio dans nos magasins, dont 360 produits à notre marque Carrefour bio, que l’on souhaite développer sur l’ensemble de nos canaux de distribution (e-commerce, hypermarchés, supermarchés et magasins de proximité).
Dès lors que votre axe de développement est largement centré sur le local, quel est le poids des producteurs italiens dans les produits de marque Carrefour ?
La grande majorité de notre assortiment est d’origine italienne. Si on parle par exemple uniquement de la Filière Qualité Carrefour, tous les produits que l’on développe (environ 600 références), concernent 9.000 petits producteurs locaux italiens. Sans rentrer dans le détail des éleveurs, 1.000 entreprises fournisseurs nous permettent de fabriquer tous nos produits Filiera Qualità Carrefour, une partie de nos produits Carrefour bio, et entièrement nos produits Terre d’Italia. Au même titre que l’Italie profite de certains produits Carrefour bio d’Espagne ou de France, nous faisons bénéficier aux autres filiales du groupe à l’étranger des produits Terre d’Italia ou de certains produits Filiera Qualità Carrefour, exportés. Chaque année, ce sont globalement 180 millions d’euros que le groupe Carrefour en Italie permet d’exporter à l’étranger pour les producteurs italiens. C’est important et cela procède de la dynamique de développement et d’accompagnement de ces producteurs italiens avec lesquels nous avons des partenariats sur plusieurs années.
Carrefour Italia a récemment signé la charte contre le gaspillage alimentaire, lancée par la startup Too good to go. Quelles sont vos initiatives pour respecter cet engagement ?
Au même titre que le respect de l’environnement, la diversité, l’inclusion, ou encore la déforestation, la lutte contre le gaspillage alimentaire fait partie des enjeux inscrits dans l’ADN de la transition alimentaire pour tous.
C’est un combat pour lequel on se mobilise depuis de nombreuses années. Dans tous nos magasins, les produits qui approchent de la date d’échéance sont situés en toute transparence dans des bacs à moins 50% (un réduction prix unique).
Par le biais d’initiatives pédagogiques, on souhaite également éduquer nos clients à mieux lire les étiquettes, car un produit sec pour lequel il est indiqué « meilleur avant telle date », est souvent encore bon des semaines plus tard. L’adage « Je suis ce que je mange » est senti de plus en plus fortement par nos clients. Et cela implique davantage de devoirs pour nous.
Les consommateurs sont plus avertis, intéressés par la traçabilité des produits, par l’impact des aliments sur leur santé. En ce sens, on travaille sur des outils technologiques comme la blockchain pour assurer un suivi total des produits. Nous collaborons aussi à chaque fois que cela est possible avec des startups ou de jeunes entreprises pour développer des activités nouvelles et différenciantes. C’est notamment le cas avec « Chi è il padrone !? » : le consommateur décide du contour du produit et de son prix afin que chaque acteur soit rémunéré de manière équitable. Cette jeune entreprise en Italie s’inspire d’une vraie success story en France.
Et c’est aussi pour répondre à cette logique que vous avez institué la semaine de la transition alimentaire, lancée en novembre dernier ?
Cette semaine a effectivement été mise en place avec l’ensemble des pays du groupe au mois de novembre, regroupant une coopération de 19 de nos plus gros fournisseurs. Pour chacun d’entre eux, on choisissait un produit emblématique de la transition alimentaire, de la qualité et du côté durable. Cela procède aussi d’une logique pédagogique pour expliquer ce que l’on cherche à mener. Il est fondamental que les grandes entreprises soient acteurs dans le combat du réchauffement climatique. Le groupe Carrefour a souhaité prendre ce combat à son compte et essaye d’embarquer tout l’écosystème.
On entend renouveler cette semaine deux fois cette année. Les deux premières, en les développant avec nos fournisseurs internationaux, la troisième 100% italienne, avec nos producteurs locaux uniquement. Car c’est aussi ça Carrefour en Italie, axée sur le local, les terroirs et territoires.