

Inconnu il y a encore moins d'un mois, Francesco Schettino est devenu en quelques jours l'homme le plus détesté et le plus convoité d'Italie. De son village natal de Meta di Sorrento jusqu'à la catastrophe du Costa Concordia, des journalistes venus de l'Europe entière retracent le parcours de cet homme très controversé. Un commandant habile et prudent pour certains, un "chauffard marin" pour d'autre
Franscesco.Schettino.worldpress.com
L'histoire débute vendredi 13 janvier 2012, comme le signe d'un mauvais présage déjà annoncé. Il est 21 h 40 quand Francesco Schettino, le commandant du Costa Concordia, décide de s'avancer près de la côte pour faire l'Inchino, une révérence tous feux allumés devant l'île du Giglio. A ce moment-là, le bateau heurte le rocher de la Scole, au sud de Porto Giglio. Eventré, le paquebot continue de naviguer sur une centaine de mètres avant de faire demi-tour puis s'échoue sur l'île toscane, ce qui lui permet de ne pas chavirer. A 23 h 10, les premiers passagers sont évacués. 5 h 30 plus tard, la Guardia di Finanza annonce la fin des opérations.
"Vada a bordo, Cazzo !"
Il est minuit passé lorsque Schettino affirme à Gregorio De Falco, le commandant de la capitainerie de Livourne, qu'il ne reste qu'une centaine de personnes à bord du Costa Concordia, avant de déclarer : "nous ne pouvons plus monter à bord car le navire est en train de se cabrer côté poupe ». « Commandant, vous avez abandonné le bateau ?", demande alors abasourdi De Falco. "Non non, évidemment que non !" rétorque Schettino. Une heure plus tard, un second échange beaucoup plus musclé a lieu entre les deux hommes. "Remontez à bord, bordel de merde...Maintenant, c'est moi qui commande. Vous remontez à bord ! C'est clair? c'est clair ?" répète-t-il à maintes reprises. En vain, car Schettino ne remontera jamais sur le Concordia.
L'épave du Concordia. (© AFP)
Alors à quelle heure précise a-t-il abandonné le navire et quel ont été ses responsabilités dans la catastrophe ? L'enquête devrait nous révéler ces précisions dans les semaines à venir. De premiers indices ont déjà filtré. Dans une conversation téléphonique intercepté par la police le lendemain de la catastrophe, Schettino confie à un ami avoir subi des pressions pour effectuer la révérence devant l'île du Giglio. "Ils m'ont cassé les couilles, vas-y, passe par là, passe par là" raconte-t-il en parlant de ses supérieurs. Il nie également avoir abandonné les passagers à leur sort et affirme même avoir "sauvé des milliers de vie"en effectuant une man?uvre pour ramener le bateau vers la côte. Or, les enquêtes de la capitainerie de Livourne montrent que celle-ci n'était en rien volontaire puisque les moteurs étaient complètement inondés et en avaries. Difficile également de croire en l'héroïsme du commandant quand on sait que ce sont les membres de l'équipage qui ont procédé à l'évacuation des milliers de touristes, avant même l'ordre officiel de Schettino.
Un homme très controversé
Chez les Schettino, la marine est une affaire de famille. Francesco ne fait pas exception. Diplômé de la prestigieuse école navale de Sorrento, il embarque chez Costa comme second sur le Serena après cinq années passées chez le croisiériste Renaissance. Terenzio Palombo, son commandant sur le Serena, se souvient de lui comme d'un "crâneur". "Plusieurs fois, j'ai dû le remettre à sa place » confie-t-il à nos confrères du Point. Certains membres de l'équipage l'ont également décrit dans la presse italienne comme un homme "autoritaire avec lequel il est difficile de discuter".
Un portrait qui contraste avec les propos tenus récemment par Pier Luigi Foschi, le PDG de Costa Croisière. Ce dernier parle d'un excellent marin "techniquement très fort et qui n'avait jamais démérité". Dans son village natal de Meta de Sorrento, au sud de Naples, où il est assigné à résidence, il fait toujours l'unanimité. "Tenez bon capitaine" peut-on lire sur un drap étendu en face de sa maison. Et ils ne sont pas les seuls à le soutenir. Dans une interview parue dans le Corriere della sera datant du 20 janvier, une jeune Moldave de 25 ans, Domnica Cermotan, invitée personnelle de Schettino, qualifie ce dernier "de héros". 4 jours plus tôt, elle assurait déjà à la télévision roumaine qu'il avait sauvé "plus de trois mille personnes".
Que risque-t-il ?
Contrairement à une idée reçue communément admise, le commandant n'a pas l'obligation de sombrer avec son paquebot, ni celle de monter le dernier dans un canot de sauvetage. Il s'agit plus d'un engagement moral dans la mesure où il est responsable des biens et personnes à bord. Néanmoins, il a le devoir d'assurer la sécurité des passagers au mieux de ses compétences professionnelles, si l'on s'en réfère à la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie en mer. Un impératif auquel Schettino a refusé de se soumettre dès lors qu'il a décidé de ne pas retourner auprès du bateau comme lui ordonnait Gregorio De Falco. Une lourde faute qui lui vaut d'être poursuivi par la justice pour homicides multiples par imprudence, naufrage et abandon du navire. Le marin quinquagénaire risque jusqu'à 15 ans de prison.
Laurent Maurel (www.lepetitjournal.com/milan) jeudi 2 fevrier 2012

















































