En juillet 2024, Eléonore Caroit est réélue députée de la deuxième circonscription des Français de l’étranger (Amérique latine et Caraïbes). Avocate spécialisée en droit des affaires, la députée Renaissance est revenue sur la nomination de Michel Barnier mais aussi sur sa volonté de rendre la scolarité française plus accessible aux Français tout en évoquant la situation politique du Venezuela, devenu “un pays extrêmement violent”, et son souhait de créer un label entreprise “Français de l’étranger”.
Quel est votre sentiment sur la nomination de Michel Barnier au poste de Premier ministre ?
La situation politique a été particulièrement complexe, et beaucoup de Français n’ont pas saisi l'enchaînement des événements qui nous ont conduits à cette situation. Cela a également surpris un grand nombre de parlementaires. Nous avons vécu une dissolution, et il s’agit pour moi de la troisième élection en deux ans. Depuis 2022, les Français de ma circonscription ont été appelés aux urnes neuf fois.
Concernant le choix du Premier ministre, l’enjeu était important. Il fallait essayer de trouver une personnalité qui n'avait pas une majorité contre elle, avec une Assemblée qui n'a jamais été aussi fragmentée dans notre Ve République. Finalement, j'ai été très surprise de voir émerger une personnalité de droite alors que le bloc de gauche était arrivé en tête, même si je comprends la logique arithmétique et institutionnelle qui a conduit à choisir quelqu'un qui ne sera pas censuré immédiatement après sa nomination.
J'attends de Michel Barnier qu'il réussisse à composer dans ce climat totalement inédit. Il est encore un peu tôt pour évaluer pleinement la situation, mais je reste optimiste. Notamment parce que Michel Barnier semble s’intéresser aux Français de l'étranger.
Avez-vous échangé avec des Français de votre circonscription suite à cette nomination ?
Les habitants de la 2ème circonscription des Français établis hors de France souhaitent évidemment des explications sur la situation et sur les raisons de ce choix de personnalité. Leurs attentes sont plutôt bienveillantes, mais aussi vigilantes. Ils désirent sortir de cette impasse pour pouvoir avancer. À ce sujet, j’ai mis en place un système d'échanges par zoom (lien partagé sur son profil Instagram, @eleonore_caroit, le jour de la réunion). Ces échanges ont lieu une fois par mois avec tous les Français qui le souhaitent.
Vous militez pour que les élèves français aient une priorité d'accès dans les lycées français de l'étranger. Pourquoi est-ce important et comment pourrait-on mettre en place cette priorité ?
Je pars du constat que beaucoup de Français de classe moyenne ne sont pas éligibles aux bourses, mais n'ont pas non plus les moyens de payer les lycées français de l'étranger. J'ai réalisé toute ma scolarité au lycée français de Saint Domingue. À l'époque, il y avait des tarifs qui étaient dégressifs et qui permettaient aux Français de s’inscrire dans l’établissement.
Le réseau des lycées de l'AEFE (Agence pour l'Enseignement Français à l'Étranger) doit servir d'outil d'influence, mais aussi – et surtout – permettre aux Français de suivre une scolarité française où qu'ils se trouvent dans le monde. Il est crucial que chaque établissement adapte ses politiques en fonction de ses capacités financières, qu’il s’agisse d’un établissement en gestion directe (EGD), d’un établissement conventionné ou d’un simple partenaire.
Il est important pour les Français d'avoir la possibilité de scolariser leurs enfants en langue française."
Lorsque les lycées sont trop éloignés, il est nécessaire de développer les dispositifs FLAM (Français Langue Maternelle) et CNED (Centre National d'Enseignement à Distance). Tous les Français, où qu'ils soient et quels que soient leurs moyens financiers, doivent avoir la possibilité de maintenir ce lien culturel, éducatif et linguistique avec la France.
Quelle est votre position sur la situation actuelle au Venezuela ?
J'ai été très impliquée dans le processus qui a mené aux élections présidentielles du 28 juillet. J’ai notamment pris part à la séquence de négociations entre l'opposition et le régime vénézuélien au Forum de Paris sur la paix en 2022. La nuit du 28 juillet, en découvrant la non-publication des procès-verbaux, des « actas » de l'élection, et en voyant la multiplication des contestations, j’ai été très inquiète. Le régime a ensuite proclamé sa victoire sans fournir les preuves de cette prétendue victoire. Mon inquiétude n'a cessé de croître depuis lors.
Le principal opposant à M. Maduro lors cette élection, Edmundo Gonzalez Urrutia, a été contraint de s'exiler en Espagne. Les procès-verbaux de l'élection n'ont toujours pas été publiés. Malgré les nombreux appels de la communauté internationale, le régime demeure inflexible. On dénombre près de 3 000 arrestations arbitraires, et tout amène à croire qu'elles sont injustifiées. Des journalistes ont été arrêtés et des dizaines de personnes ont perdu la vie. Je suis en contact direct avec les Conseillers des Français de l'étranger sur place pour mieux comprendre la situation. Bien qu'ils ne perçoivent pas de danger immédiat pour leur sécurité personnelle, ils sont très préoccupés par l'évolution de la situation politique.
J'essaie d'être force de proposition et d'inciter la communauté internationale à ne pas abandonner le Venezuela ni les Vénézuéliens.
Je continue de me mobiliser pour exiger à minima des preuves concernant les résultats de cette élection. Tant que ces preuves ne seront pas fournies, il est impossible de reconnaître la victoire, dans un sens comme dans l'autre. Bien que certains annoncent Edmundo González comme vainqueur et suggèrent d’intervenir par la force, ce n'est pas du tout ma position. Je milite pour un processus transparent.
Je prévois de déposer une proposition de résolution, qui sera, je l’espère, transpartisane, afin de condamner la situation au Venezuela, de demander un arrêt de la répression et d’exiger la publication des procès-verbaux. À l'exception de LFI, qui continue de soutenir ouvertement le régime de Maduro, et du Rassemblement National, presque tous les autres groupes parlementaires que j'ai consultés sont plutôt favorables à cette démarche.
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Vous avez donc discuté avec des Français sur place, au Venezuela ?
J'ai des échanges assez réguliers avec eux. Ils sont tous assez lucides sur la situation et pratiquement tous considèrent Edmundo González comme le vainqueur de ses élections. Souvent binationaux, ils redoutent la répression, mais il y a une réelle volonté de trouver un chemin pour une éventuelle transition. Je me suis rendue il y a deux ans au Venezuela, où se trouve un magnifique lycée français, qui, après avoir rencontré de nombreuses difficultés, se porte désormais mieux. Il est crucial d'éviter à tout prix une crise politique ou sécuritaire. Le Venezuela est un pays extrêmement violent et les conditions de vie des Vénézuéliens continuent de se dégrader.
Lors des élections législatives 2024, vous évoquiez la création d'un statut spécifique pour les entrepreneurs français à l'étranger ? En quoi consiste ce statut et comment avance le projet ?
Nous avons progressé sur ce projet. Cependant, la dissolution a entraîné l'arrêt de nombreux sujets qu'il faudra reprendre et ré-impulser politiquement. Si certaines entreprises françaises ont des filiales à l'étranger, la grande majorité des Français vivant à l'étranger, en tous cas dans ma circonscription, ont créé leur propre entreprise ou travaillent dans des sociétés étrangères ; ils sont souvent auto-entrepreneurs.
J’aimerais reconnaître la force de cet entrepreneuriat français à l'étranger, même lorsque la structure juridique n'est pas une filiale ou une succursale d'une entreprise française."
Pourquoi ? Tout d’abord parce qu'il est extrêmement difficile de se financer à l'étranger. Dans certains pays, les taux d'intérêt sont prohibitifs pour les étrangers, et il existe des restrictions légales ou réglementaires. J'aimerais qu'un label « Entreprises des Français de l'étranger » (EFE) soit créé, qui offrirait à minima une reconnaissance officielle et, potentiellement, une forme d’ouverture et de bienveillance de la part des institutions bancaires internationales et françaises, facilitant ainsi le financement de ces projets. En remplissant certains critères, les entreprises pourraient être reconnues comme EFE, ce qui pourrait encourager les institutions financières à accorder des prêts.
Ce statut permettrait également d'accéder au système des Volontaires Internationaux en Entreprise (VIE). Bien que ce dispositif existe déjà, il n'est pas accessible à toutes les entreprises. J'aimerais donc étendre ce dispositif. Il s'agit d'une initiative conjointe de la CCI et des conseillers des Français du commerce extérieur. Il est crucial d'adapter ce dispositif aux réalités de terrain de chaque entreprise. Nous avions entamé un recensement des EFE par secteur, car la véritable difficulté est de les identifier. Une fois dans le listing, ces entreprises pourraient se rencontrer, même avant la création du label, pour faire du networking, collaborer, et offrir des stages aux élèves du lycée français.
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Comment se passe le recensement des EFE ?
Nous avons mis en place un questionnaire, transmis aux différentes Chambres de Commerce et d'Industrie (CCI) de notre circonscription, afin de recenser les entreprises et leurs besoins. L'idée est de l'élargir, nous y travaillons encore. Je prends acte des difficultés - dont la crainte de dévoiler certaines informations ou la mise en place de financements - et je souhaite avancer par étape.
Avez-vous d'autres projets de loi, et actions dont vous souhaitez nous parler en cette rentrée parlementaire et scolaire ?
J'ai plusieurs sujets récurrents, mais malheureusement, le contexte politique et budgétaire rend difficile leur réalisation. Par exemple, les Français vivant hors d'Europe sont soumis à la contribution CSG-CRDS, bien qu'ils n'aient pas accès à la sécurité sociale française, sauf s'ils reviennent vivre en France. Cette situation crée une forme d'injustice, car ces prélèvements obligatoires sont relativement élevés sur tous les revenus français. J'aimerais voir la suppression de ces contributions pour les résidents étrangers. De la même manière, je souhaiterais améliorer l'implication des Français de l'étranger dans le tissu associatif.
J'espère également que le nouveau gouvernement sera sensible à la création d'un statut particulier pour les résidences en France des Français de l'étranger."
Pour le moment, ce bien est traité sur le plan juridique, réglementaire et fiscal comme une simple résidence secondaire ; ce qui ne correpond pas à la réalité. Il est important de reconnaître que pour les Français résidant à l'étranger, leur bien immobilier en France a une valeur particulière. Ce bien représente un lien essentiel avec la France. Une réflexion approfondie doit être menée sur ce lien, qui va au-delà du simple bien matériel.
Je milite pour la création d’un statut juridique spécifique qui permette de rendre compte de la réalité et de maintenir le lien avec la France. Une autre question se pose lorsque vous vous trouvez dans un pays en crise politique majeure, nécessitant une évacuation rapide, comme ça a été le cas pour Haïti dans ma circonscription. Il est crucial d’adopter un traitement différencié pour ces biens immobiliers afin de faciliter leur accès en situation d'urgence.
Il y aura donc une réflexion sur la résidence d’attache ou de repli cette année ?
Nous avons des avis très divergents entre les députés. Nous avons appelé cela la résidence d'attache ou de repli. Déjà dans la sémantique, vous avez différentes approches. « Repli », c'est vraiment l'idée de l'urgence et je trouve qu’« attache », c'est beaucoup plus parlant, c'est ce qui vous attache à la France. Nous avons toujours cette idée de lien, de continuité. Est-ce uniquement pour les pays dans lesquels il y a une crise ? Je ne pense pas. Une crise peut surgir n'importe où. Où mettons-nous le curseur tout en étant conscient que nous ne pouvons pas créer de régimes dérogatoires qui ne soient pas justifiés ?
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Avez-vous d’autres engagements pour la suite de votre mandat ?
Au-delà de mes engagements en faveur des Français de l'étranger, j'ai été reconduite dans mon poste de vice-présidente de la commission des Affaires étrangères. Je travaille beaucoup sur les questions internationales et écologiques, telles que la protection des océans, de l'Amazonie, et la coopération en matière environnementale. Ces enjeux sont également pertinents pour les Français de l'étranger, car de nombreuses entreprises françaises sont engagées dans ces domaines.
Le 4 septembre 2024, j'ai également participé à une manifestation en soutien à Paul Watson. Cette année étant celle des océans, la protection des milieux marins sera beaucoup abordée dans nos réseaux d'alliances de lycées français. En juin 2025, je prendrai part à la Conférence des Nations Unies sur l'Océan à Nice, et je lance une initiative pour les bases maritimes et les aires marines protégées. L'idée est de rassembler autour de cette idée de la protection des océans, et de parvenir à une forme de convergence de nos législations pour adopter le BBNJ, le traité de protection de la haute mer, qui vient d’être signé après des décennies de négociations. Ce traité doit maintenant être ratifié par 60 pays pour entrer en vigueur.
Après la mobilisation d’aujourd’hui, Paul Watson n’a pas été extradé. Le combat se poursuit : nous devons continuer à oeuvrer pour sa libération complète. #FreePaulWatson@Canopee_asso @SeaShepherdFran pic.twitter.com/75mB4x3JXV
— Eleonore Caroit (@CaroitEleonore) September 4, 2024