Anne Genetet, ancienne Ministre de l’Éducation nationale sous le gouvernement Barnier, revient comme députée des Français de l’étranger. Elle nous partage ses projets pour 2025, en faveur des Français de la 11ᵉ circonscription, et revient sur ses trois priorités : “rehausser le niveau des élèves, ramener l'ordre dans les salles de classe et remettre de l'humain partout”.


En septembre 2024 vous avez été nommée Ministre de l’Éducation nationale, mais, suite à la censure du gouvernement Barnier, vous reprenez votre mission de députée de la 11ème circonscription des Français établis hors de France. Comment reconnectez-vous avec les Français de l’étranger, après plusieurs semaines dédiées à l’Éducation Nationale ?
Je ne me suis jamais déconnectée des Français de l'étranger. J'ai un excellent suppléant, Remi Provendier, qui a fait un très bon travail. Nous avons constamment travaillé ensemble et nous nous sommes vus plusieurs fois lorsque j'étais Ministre.
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Par ailleurs, le réseau des écoles françaises à l'étranger m'a beaucoup inspirée. Nous avons dans nos écoles des professeurs qui sont, pour un grand nombre d'entre eux, titulaires de l'Éducation nationale et qui arrivent à l'étranger avec la formation et les programmes français en tête. J'ai aussi vu suffisamment de réussite auprès d'élèves en difficulté qui, accompagnés par une équipe de professeurs, ont été remis dans une dynamique de réussite. Les rythmes scolaires, par exemple, à l'étranger sont intéressants et pourraient nous inspirer. Les écoles suivent les horaires 8h30-11h30 puis 13h-15h, du lundi au jeudi, avec un vendredi raccourci. En laissant un grand week-end de deux jours et demi, le temps d'activité périscolaire est plus important et permet de mobiliser un intervenant pendant 4 heures.
Nous avons créé un guide dédié au retour en France pour les personnels de l'Éducation nationale.
De plus, j'ai concrètement travaillé pour nos écoles. Avant 2019, nos professeurs détachés bénéficiaient de 2 fois 3 ans à l'étranger. Mais depuis la pandémie de Covid-19, certains pays comme la Chine ont vu leur vivier de professeurs se réduire et leur attractivité chuter. J'ai ainsi mis en place un système de dérogation possible pour des établissements donnés. Il s’agit d’une demande qui permet de rester dans le même établissement lorsque le chef de celui-ci juge que l'enseignant n'est pas remplaçable. Avec au minimum, une année supplémentaire, il est possible de la renouveler et de pallier aux difficultés de recrutement. Et pour ces enseignants qui rentrent en France il faut les accompagner dans leur retour et valoriser leur expérience. Nous avons d’ailleurs créé un guide dédié.
Laurent Saint-Martin est nommé Ministre délégué chargé du Commerce extérieur et des Français de l'étranger, qu’en pensez-vous ?
Nous avons déjà eu un rendez-vous avec Laurent Saint-Martin comme ministre du bloc central. Il a une expérience de parlementaire et est extrêmement sensible aux sujets qui concernent les Français à l’étranger, de par ses fonctions passées. Il est en contact permanent avec des Français qui se sont installés comme chefs d'entreprise à l'étranger. Je n’ai aucun doute quant à son aide, notamment sur les prélèvements sociaux hors Union européenne, et sur la résidence de repli.
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Le programme Actions extérieures à la France a subi un coup de rabot de plusieurs dizaines de millions d’euros. En revanche, la ligne budgétaire allouée aux Français de l'étranger et les démarches consulaires sont inchangées. Quel est votre positionnement sur le budget 2025 ?
Nous sommes dans une situation où chaque ministère doit évidemment participer à l'effort national, il était donc logique que les affaires étrangères y contribuent. Je salue le fait que les affaires consulaires et les Français de l’étranger n'aient pas été impactés. Nous sommes dans un moment où notre population à l'étranger est en dynamique de croissance : nous ouvrons des consulats à l'étranger (Melbourne, États-Unis). Il faut donc pouvoir rester dans cette dynamique de présence auprès de nos communautés qui grossissent lentement, mais sûrement.
Est-ce que le budget 2025 s'adapte bien dans un contexte de tensions internationales, notamment avec la Chine, les États-Unis et la Russie ?
C'est très compliqué à dire. Je crois que la France doit travailler avec l'ensemble de nos partenaires européens à des enjeux de souveraineté. Il faut étudier chaque chaîne de valeur et les faiblesses que nous pourrions avoir. Je veux saluer, d'ailleurs, la décision du président de la République et sa capacité à mobiliser des investissements de 109 milliards de dollars sur l’intelligence artificielle. Je vous rassure tout de suite, ces milliards n’ont pas été trouvés au budget français. Ce sont des investisseurs privés, étrangers ou français, qui vont soutenir cette dynamique.
Le budget est compliqué mais il est crucial de considérer les priorités pour renforcer nos éventuelles vulnérabilités, notamment économiques.
Il en va de même pour le sujet de l'armement. Nous avons besoin d'utiliser les fonds européens pour acheter des équipements uniquement produits en Europe, afin de soutenir l'économie et la sécurité de l'Union européenne. Le budget est compliqué mais il est crucial de considérer les priorités pour renforcer nos éventuelles vulnérabilités, notamment économiques.
Aujourd'hui, la part de marché des entreprises françaises en Asie du Sud-Est est estimée à 1,5%. La zone est très stratégique pour la France, comment faire progresser ce chiffre ?
Nous y travaillons en permanence avec à la fois le dynamisme des chambres de commerce et d’industrie (CCI), et de nos conseillers de commerce extérieur (CCE). Dans beaucoup de pays comme la Chine ou Singapour, ces réseaux sont extrêmement organisés et aptes à aider nos entreprises à s'implanter et à se développer. Je veux aussi saluer le travail de nos ambassadeurs qui soutiennent cet effort collectif. Rien n’est facile, mais la France y travaille. Nous ne sommes pas attendus, et le chiffre que vous avez cité le montre ; nous avons toutes nos preuves à faire. Ce n'est pas parce que nous sommes Français que les acheteurs se tournent vers nous. Ils le font parce que nous avons de bons produits, de bons services et que nous sommes excellents. Des partenaires étrangers m’ont souvent confié que nous étions fiables. La France sait converger sur des intérêts communs et non par intérêts propres. Ainsi, nous devons faire preuve de plus d’humilité, moins de certitudes, et l’envie permanente d'être meilleur. Parce que nous sommes capables de l’être.
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Vous êtes aussi Vice-présidente du Groupe d'Amitié France-Birmanie. Pouvons-nous en savoir plus sur la situation politique en Birmanie et s'il y a des projets spécifiques pour les expatriés Français sur place ?
Si nous n'avons pas d'ambassadeur sur place, nous pouvons nous appuyer sur un envoyé spécial de la France - notre ancien ambassadeur, Christian Lechervy - pour le soutien à la reconstruction internationale de la Birmanie. Je voudrais d'ailleurs saluer son travail ici.
J'ai rencontré, début février, un membre du gouvernement d’unité nationale (NUG), qui est Ministre des Affaires humanitaires. La situation est extrêmement difficile et délicate. Il faut un effort international, pas seulement français, qui permettra d'avancer et de reconstruire la Birmanie avec différentes ethnies qui se parlent de plus en plus. Le pays essaye depuis longtemps d'y parvenir. Mais l'étau est serré, entre la pression économique chinoise d'un côté et celle de la junte de l'autre La route va être longue et sinueuse mais la France soutiendra ces défis.
Je veux dire aux Français sur place que je suis particulièrement à leur écoute et je l'ai toujours été. En tant que membre du comité France-Birmanie, je rencontre régulièrement les forces démocratiques qui essayent de construire un avenir démocratique à la Birmanie, et elles auront toujours mon soutien. Pour ce faire, j’ai besoin de comprendre comment ils veulent reconstruire la Birmanie, tout en prenant en compte la diversité des peuples birmans, dont certains ont été en conflit, mettant en difficulté des communautés comme les Rohingyas. Il est important de soutenir ces efforts pour que tous les peuples de Birmanie puissent trouver un avenir commun et pacifique.

Vous avez récemment pris une position forte pour l’EVARS (Espaces vie affective, relationnelle et sexuelle). Ce type d’espace existe-t-il pour les Français de l’étranger ?
Ce programme, produit début février 2025, est national ; il s'applique dans toutes nos écoles françaises à l'étranger. Les trois séances obligatoires annuelles - réalisées par une infirmière scolaire ou un professeur - doivent être organisées à tous les niveaux : de la petite section jusqu'au baccalauréat ou au lycée professionnel. L’initiative est très importante et fondamentale parce que nous avons aujourd'hui, par manque de support fiable, des jeunes qui s'informent sur les réseaux sociaux et sur Internet. Je pense notamment à la consommation de sites pornographiques. Nous le savons, 1 jeune sur 3 de moins de 11 ans y a accès tous les mois. Les chiffres de l'ARCOM à ce sujet sont spectaculaires en France.
L’EVARS est un programme qui parle de sexualité aux plus grands, et de relationnel chez les plus petits : Quelle relation j'entretiens avec les autres ? Comment je comprends les émotions ? Comment je me respecte moi et les autres ? Comment j'apprends à dire non, parfois même à un adulte ? Comment j'apprends à donner mon accord et à qui je le donne ?
Aujourd’hui entre 2 et 3 élèves par classe sont victimes de sévices sexuels. Chez les tout petits, c'est forcément en famille. Il est important que ce travail soit fait à l'école.
J'ai à cœur de porter trois priorités, et je les porterai pour nos écoles à l'étranger : réhausser le niveau des élèves, ramener l'ordre dans les salles de classe et remettre de l'humain partout.
Avez-vous des priorités en 2025 en tant que députée des Français de l’étranger ?
Je pense que les trois mois passés au Ministère de l'Éducation nationale m'ont permis de m'ancrer dans le sujet des écoles, le premier service public de France, y compris à l'étranger. J'ai à cœur de porter trois priorités, et je les porterai pour nos écoles à l'étranger : rehausser le niveau des élèves, ramener l'ordre dans les salles de classe et remettre de l'humain partout. Je considère que, dans cette immense institution qui compte 1.200.000 agents, nous ne nous parlons pas avec suffisamment d'attention, d'empathie, de bienveillance et de courtoisie. Or, nous avons besoin, plus que jamais, de travailler ensemble.
Je voudrais souligner ce drame épouvantable qui s'est produit : l'assassinat de la petite Louise. Je souhaite qu'aucun élève, ni aucun professeur ne se sente en insécurité sur le chemin de l'école. J’avais lancé un chantier avec Bruno Retailleau qui s'appelle “La Sécurité sur le chemin de l'école”. Il est absolument crucial que tout le monde se mette autour de la table pour en parler : bien sûr, l'Éducation nationale, ses professeurs et agents, mais aussi les parents d'élèves, les collectivités locales - la mairie, l'intercommunalité, le département, la région - et même le ministère de l'Intérieur avec ses forces de l'ordre. Nous ne pouvons plus nous dire que ce n’est pas notre responsabilité. Il est temps de se parler et de se comprendre pour garantir la sécurité de nos enfants, des élèves, des professeurs, des parents. Ce drame nous rappelle que nous ne devons plus que jamais être solidaires et faire front commun.
Nous ne sommes pas une école d'excellence, mais d’exigence.
Mais l’exigence que je défends est aussi ailleurs. Dans nos écoles à l'étranger, le mot “excellence” est trop utilisé, je n’aime pas ce terme. Lorsque l’on dit qu'une école est une école d'excellence, cela veut dire qu'elle n'a pas de marge de progression. Je ne suis pas d’accord, il est toujours possible de s’améliorer. Nous avons toujours des marges de progression. Sur l'intelligence artificielle, par exemple, nos écoles à l'étranger doivent se saisir du sujet. Nous ne sommes pas une école d'excellence, mais d’exigence et nous devons le rester. En réhaussant constamment ce niveau d'exigence et en essayant d'aller toujours plus loin, nous serons l'une des meilleures écoles au monde.
Un mot particulier pour nos lecteurs lepetitjournal.com ?
Je leur souhaite à tous le meilleur là où ils sont en cette année du Serpent de bois : une année de créativité, d'innovation, de curiosité, où l’on est capable de s'intéresser à l'autre et encore une fois de se parler. Je leur souhaite de pouvoir rejeter la conflictualité. J'ai envie de les écouter et d'être à leur service, comme je l'ai fait au ministère de l'Éducation nationale et comme je continuerai à le faire. Ils sont formidables, ils ont plein d'idées, il faut pouvoir les connaître et les porter.
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