Tous les guides s’évertuent à le répéter : « l’aventure commence en bas de chez vous ». Mathieu Mouillet a pris cet adage au pied de la lettre et s’est lancé dans un grand périple au travers des territoires les plus mal-aimés de la France : la diagonale du vide. Pendant un an et demi, tantôt à pied, tantôt à vélo, il part à la rencontre des Français qui vivent dans ces territoires reculés, et qui le vivent bien. Qui aurait pu croire que la France soit un pays aussi exotique ?
La diagonale du vide, un voyage exotique en France est un livre enthousiasmant, plein d’espoir et de poésie, qui réchauffe le coeur. Mathieu Mouillet mène plusieurs projets de front, et c’est aujourd’hui sur son blog, lesvoyagesdemat.com, que vous pouvez le retrouver et suivre ses prochaines aventures à pied, en train et à vélo.
Qu’est-ce que la diagonale du vide ?
La diagonale du vide est une bande de terre qui va des Ardennes au Pays Basque, traversant la France en diagonale. Sa définition se fait aussi en termes de démographie : la densité de population y est moindre, par rapport au reste de la France : 110 habitants au km2 en moyenne, contre 55 dans ces territoires, voire parfois 4 habitants pour un kilomètre carré.
Le terme est apparu dans les années 1950, et a quelque peu évolué depuis. Il a notamment acquis une lecture politique lors des Gilets jaunes en 2018, car la plupart des contestataires venaient de la Diagonale du vide. Ce sont des territoires où de nombreux enjeux politiques sont présents, et ressortent à chaque campagne électorale : déserts médicaux, accès aux services publics …
Malgré tout, on trouve une grande diversité de situations le long de cette ligne. Dans le Nord, des villes comme Charleville-Mézières perdent chaque année des habitants, alors que dans le Sud on parle de Silver belt grâce aux retraités qui viennent y vivre. La natalité varie beaucoup selon les territoires mais l’appellation reste pertinente car elle traduit toujours une forme d’exception par rapport au reste de l’Hexagone.
Qu’est-ce qui vous a poussé à faire ce voyage extraordinaire et à le raconter ?
Au départ, je voulais voyager en France en évitant les tartes à la crème des itinéraires français. Je travaillais alors dans le tourisme et dans chaque guide on dit que le voyage commence en bas de chez soi : j’ai voulu voir si c’était réellement le cas. J’ai alors cherché des itinéraires qui sortaient des sentiers battus : j’étais déjà convaincu qu’on pouvait faire des voyages pas loins, pas chers et être tout à fait émerveillé.
La Diagonale du vide était parfaite : lorsqu’on pense à la Meuse, on pense plutôt à la Première Guerre mondiale qu’à batifoler dans les champs. Le peu de fois où ces régions sont mentionnées, c’est toujours dans un contexte négatif, sous l’angle de la dureté de la vie. Parfait ! J’allais alors m’attacher à raconter de belles histoires, et à montrer aux gens à quel point ces territoires peuvent être des potentiels laboratoires d’innovations sociales et politiques.
Ce voyage vous a-t-il fait changer de vision sur la France ?
Non, il m’a plutôt convaincu dans mon idée : nous avons tout chez nous, ce n’est qu’une question de curiosité. En revanche ce qui m’a étonné, c’est la diversité des paysages et des cultures que j’ai traversées. Entre les Ardennes et le Pays basque, il n’y a pas le même accent, les mêmes habitudes, des mots différentes, une gastronomie différente ! J’avais déjà cela en tête, ayant déjà voyagé en France, mais j’ai été frappé par la force de cette diversité.
Mon parti pris, lors de ce voyage, était d’aller uniquement rencontrer des gens qui allaient bien. Je voulais qu’on entende les gens qui ont choisi de rester ou de s’installer dans ces territoires et qui en parlaient avec des étoiles dans les yeux. J’aurais aussi très bien pu faire un voyage à l’écoute des « oubliés de la République », mais j’avais fait un choix d’emblée, et je l’ai respecté.
La Diagonale du vide est-il un guide ?
Je ne voulais pas écrire un guide qui indique aux gens où manger et où dormir. Grâce aux années passées à voyager, j’ai compris que ce que j’aimais dans le voyage était précisément se perdre, laisser les choses venir à soi plutôt que suivre les panneaux indicateurs. J’avais envie de susciter chez les gens l’envie de se laisser aller. Certaines adresses sont listées sur la carte et au fil du texte : je voulais laisser quelques indices aux lecteurs. L’idée principale est de donner envie aux gens d’avoir l’impulsion de ce type de voyages.
Pour en avoir rédigé vous-même, comment voyez vous les guides de voyage aujourd’hui ?
Un guide est un objet rassurant qui permet de se projeter dans le pays lorsqu’on est encore chez soi. Il est important de repérer les ressources, de lire les pages culturelles et historiques pour comprendre le pays où l’on va. Cela étant dit, il y a des années que je n’utilise plus réellement de guide : je me laisse mener par les gens que je rencontre. Quand on y pense, absolument tout dans un pays ou une région est à voir, surtout quand on n'y a jamais mis les pieds. On découvre des choses tous les jours.
Ce que je préfère, et de loin, c’est rencontrer les gens. C’est comme cela que l’on comprend réellement le lieu, et pas en visitant simplement le vieux monument du village. Je trouve que cela rend les voyages plus vivants, et c’est ce qui me correspond le mieux.
Est-ce le guide (le seul?) qui fait réellement sortir des sentiers battus ?
J’espère que ce n’est pas le seul, mais oui, il fait réellement sortir des sentiers battus dans le sens où ces sentiers dépendent de la propre boussole de chacun. Ce que je trouve génial dans ces rencontres, c’est que lorsque vous parlez avec des gens, vous chaussez leurs lunettes. Je suis alors passé de maire à ornithologue à entrepreneur : ils m’ont tous permis de voir leur environnement avec un regard que je n’aurais pas eu seul. Cela apporte, selon moi, une forme de justesse.
Une chose incroyable avec cette manière de voyager est que chaque périple sera ainsi unique, et complètement dépendant des rencontres. J’ai déjà voyagé avec d’autres gens, et lors du même séjour, nous en avons tiré des conclusions tout à fait différentes, ce qui montre bien que ce sont des sensations uniques. Il ne tient qu’à chacun de sortir des sentiers battus.
Une rencontre vous a t-elle marqué particulièrement ?
Par hasard dans la Nièvre, j’ai rencontré Jean Bojko, un metteur en scène et poète qui travaillait alors au Conseil général de la Nièvre. Ce département était le seul où je n’avais absolument aucun contact et ce fut une bonne occasion de vérifier si le voyage était aussi intéressant alors qu’on n’avait rien de prévu. Je suis tombé par hasard sur une plaque bleue inscrite : « cabinet de poésie générale » sur un bâtiment. Je suis rentré dans la boutique, qui était chez un épicier multiservice (poste, gîte etc.) et je me suis renseigné. Le monsieur m’a alors délivré une ordonnance poétique. C’était une manière humoristique de mettre le doigt sur le fait que la Nièvre est un désert médical. Jean Bojko avait alors installé des cabinets de poésie générale, là où il n’y avait plus de cabinet de médecine générale. Je suis allé rencontrer ce personnage. Il oeuvrait sur toutes les thématiques peu glamours de la diagonale du vide : le vieillissement de la population, l’accès à la culture etc., et le tout avec beaucoup de poésie, de modestie et de pertinence. Il faisait du bien aux habitants, avec sa fourgonnette ressemblant à une épicerie ambulante. Il est malheureusement décédé en 2018 mais cela a été une très belle rencontre.
Dans les rencontres notables également, il y a Kat, avec qui j’ai vécu une histoire d’amour pendant six ans, et à qui le livre est dédié.
Quel projet menez-vous aujourd’hui ?
Je travaille d’arrache-pied sur une nouvelle version de mon blog, ce qui explique qu’il paraisse inactif depuis quelque temps. J’ai passé beaucoup de temps, depuis la sortie de mon livre, à en faire la promotion, ce qui m’a éloigné de ce que je préférais faire. Je ne me suis cependant pas arrêté de voyager, j’ai fait beaucoup de petits séjours que j’ai photographiés et racontés, et qui attendent sagement sur un disque dur d’être publiés. J’ai écrit un guide éthique et durable sur la Champagne, et je suis retourné voir quelques personnes citées dans le guide, avec qui j’avais envie de passer du temps.
Parmi les prochains projets excitants : je repars le 1er juillet pour attaquer l’écriture du livre sur le tour du monde des musiques que j’ai fait à vélo il y a quelques années. Je vais l’écrire en partie dans les Vosges et en partie dans le train. Je pars deux mois à l’aventure, muni simplement d’un billet interrail (ndlr: qui donne accès illimité aux trains en Europe). Je souhaite ne plus voyager en avion que pour des raisons exceptionnelles - et auquel cas réfléchir à des réelles manières de compenser son impact en CO2, et pourquoi pas écrire dessus.