Avec les récentes éruptions signalées en Islande, sur la péninsule de Reykjanes et en Italie avec l’Etna, les volcanologues sont plus que jamais au cœur de l’actualité. Un métier que pratique Aline Peltier depuis plusieurs années, en plus d’être directrice de l'observatoire volcanologique du Piton de la Fournaise. Elle nous raconte sa passion pour les volcans, mais aussi les enjeux de son métier de volcanologue sur l’île de La Réunion : “Nous sommes le premier maillon d'alerte vers les autorités”
D'où vous est venue cette passion pour les volcans ?
Cette passion pour les volcans m'est venue très jeune. J'étais en 3e lors d'une colonie de vacances lorsque j'ai eu la chance de voir l'Etna et le Stromboli en éruption. Depuis cette période, j'ai tout fait pour transformer cette passion en métier.
En quoi consiste votre métier mais aussi votre poste en tant que directrice de l'observatoire volcanologique du Piton de la Fournaise, sur l'île de La Réunion ?
Il est difficile de déterminer mes missions au jour le jour. Ce qui est bien avec ce métier, c’est qu’il n’y a pas de journée typique car nous dépendons de l'activité du volcan. J'ai plusieurs casquettes. Avant d'être directrice, je suis une scientifique qui travaille à l'observatoire. Mon rôle est d'étudier le volcan. Je suis spécialisée en géodésie, c'est-à-dire qu'à partir de capteurs qui sont installés sur le volcan, notamment des GPS, je vois comment le volcan se déforme avant, pendant ou après une éruption. J'essaie de modéliser les sources qui sont à l'origine de ces déplacements et cela donne des renseignements sur comment sont agencés les réservoirs en profondeur, par où passe le magma…
En plus de ce rôle de chercheuse, j'ai également une casquette de directrice. Cette dernière consiste à s'occuper de tout ce qui est la gestion de personnel, la gestion de budget et surtout la gestion des éruptions avec les autorités locales, si cela vient à se produire. Je dois gérer la crise avec les autorités, leur dire en temps réel ce qui se passe. Nous sommes le premier maillon d'alerte vers les autorités car nous pouvons voir survenir une éruption plusieurs dizaines de minutes à plusieurs heures, même parfois plusieurs semaines avant qu'elle n’arrive en surface.
Pourquoi le Piton de la Fournaise bénéficie d’autant d’attention et de personnes travaillant autour ?
Nous sommes en France, donc il y a un système où nous disposons des moyens financiers pour pouvoir surveiller le Piton de manière correcte. Il est l’un des volcans les mieux instrumentés au monde. Nous avons un réseau de surveillance aussi bien que l’Etna en Italie ou que le Kilauea à Hawaï, mais sur un volcan qui est plus petit. Cela nous permet vraiment de voir des choses beaucoup plus fines.
Il est souvent dit que le Piton de la Fournaise est un volcan laboratoire pour les scientifiques car il est très bien surveillé et il est très actif. Ce n’est pas le plus actif au monde puisqu'il y a des volcans qui sont en éruption permanente. Mais depuis l'arrivée de l'homme sur l'île, il rentre en éruption en moyenne 2 fois par an. Il y a donc un engouement autour de ce volcan. Depuis que l'observatoire existe, la plupart des éruptions ont lieu dans une zone qui n'est pas habitée. Ce qui diffère par rapport à des volcans plus explosifs, notamment dans les zones de subduction. Donc, souvent, une éruption à La Réunion est un peu le spectacle, cela ne représente pas de danger. Je parle bien sûr des éruptions récentes, il ne faut pas perdre de vue qu'un jour ou l'autre, la lave pourrait sortir dans une partie habitée.
Comment trouver l’équilibre pour éviter de s’exposer aux dangers tout en prenant des risques pour se rapprocher d’une coulée de lave/d’un volcan ?
Pour surveiller le volcan, il y a des capteurs qui sont en permanence dessus. Il y en a une centaine un peu partout sur le volcan qui envoient les données en temps réel à l'observatoire. Nous n’avons donc pas besoin de nous rendre sur le volcan, les données arrivent toutes seules. Avant une éruption, nous gérons tout derrière nos écrans d'ordinateur. Nous ne sommes pas les plus utiles en étant sur site en début de crise mais en interprétant les signaux pour voir où est le magma, où est-ce qu’il va sortir, le tout plusieurs heures avant, et ensuite donner les informations aux autorités.
Quand nous allons au plus près, cela va plus concerner des travaux de recherche ou de suivi de l'éruption au cours du temps. Nous essayons de ne pas prendre de risque. En fonction des enregistrements, s’il y a un regain d'activité par une augmentation de la sismicité par exemple, nous n'allons pas nous rendre sur site. Mais une fois sur place, il ne faut pas marcher sur des coulées trop chaudes mais être bien équipé pour s'affranchir des risques liés au volcan.
Quel est l’équipement pour se protéger quand vous êtes à proximité d’une coulée de lave ?
Les combinaisons ignifugées sont l'équipement le plus important. Les coulées de lave sont à 1.200 degrés donc il faut se protéger. Les combinaisons nous protègent de la chaleur mais en cas de chute dans la coulée, elles ne vont pas nous sauver. Il faut donc faire très attention. Pour cela, nous sommes souvent en binôme, voire même en trinôme pour être vraiment très attentif à soi et à l'autre. Notre équipement est le suivant : une combinaison ignifugée (pantalon et veste), un heaume qui est un casque recouvert d'une partie ignifugée et un masque à gaz. Bien sûr, nous avons aussi des gants ignifugés pour porter la perche qui va nous aider à faire des prélèvements de lave et à récupérer des échantillons.
Est-ce qu’il y a un volcan qui vous passionne particulièrement ?
Le Piton de la Fournaise. Mais mon regard est un peu biaisé car je suis tombée dedans lors de mes études. Je suis vraiment tombée amoureuse de ce volcan et de l'île de La Réunion. Sinon, j'aime beaucoup le Kilauea, sur lequel j’ai beaucoup travaillé avec mes collègues hawaïens. Ce volcan est en quelque sorte une réplique du Piton, mais à l'américaine, donc plus grand. J'ai aussi beaucoup aimé travailler au Vanuatu sur le Yasur qui est un volcan en activité permanente depuis plusieurs centaines d'années. Il fait des explosions toutes les 5 à 10 minutes avec des gerbes de lave qui font 300 mètres de haut.
Est-ce que vous pouvez expliquer ce qu’est un supervolcan ?
Les supervolcans sont des volcans qui peuvent avoir un impact planétaire. Il y en a plusieurs sur Terre, les plus connus sont Yellowstone (États-Unis), Taupo (Nouvelle-Zélande), il y en a aussi en Indonésie (Toba, situé sur l'île de Sumatra - ndlr)... Leurs éruptions ont des conséquences planétaires. D’après les observations faites par le passé, ils peuvent avoir des conséquences sur les extinctions d'espèces... Voilà pourquoi ils s'appellent supervolcans. Ce n'est pas juste une éruption qui va avoir une conséquence pour les populations locales ou pour une région. Les conséquences sont mondiales avec des panaches de cendres qui vont changer le climat pendant plusieurs années, voire pire.
Heureusement, plus un événement est catastrophique, plus il est rare. La statistique qu’il y ait une éruption de l’un d’eux dans les 100 prochaines années est faible. Des volcans comme Yellowstone ont des taux de récurrence, pour des éruptions à conséquences planétaires, de plusieurs dizaines voire centaines de milliers d'années.
Est-ce que vous pouvez nous parler des différents états d’un volcan ?
Un volcan a trois stades. Il peut être en activité éruptive, en sommeil ou éteint. Un volcan est en activité quand il fait des éruptions, comme le Piton, tous les X mois. Des volcans en sommeil, comme les volcans d'Auvergne ou le Piton des neiges, ici à La Réunion, n'ont pas donné d'éruptions depuis plusieurs milliers d'années. Mais ils ne sont pas considérés comme éteint puisqu'ils peuvent de nouveau entrer en éruption un jour ou l'autre. Voilà pourquoi ils sont également suivis. Enfin, les volcans éteints sont vraiment ceux qui ne se réveilleront jamais. En général un volcan est considéré comme éteint lorsqu'il n’y a pas eu d'éruption depuis 50.000 ans.
Ensuite, il y a différentes sortes d'activités. Il peut y avoir une activité effusive lorsque la lave s'écoule. Par exemple avec les volcans de type point chaud comme à La Réunion, ou lorsqu'il y a des dômes de lave qui croissent, mais sans exploser sur les volcans de subduction. Sinon il y a aussi des phases plus explosives, ce qui peut aussi arriver au Piton de la Fournaise, même si cela est rare. Un volcan est classé selon un type d'activité qui lui est propre. La majorité de ces éruptions sont de types effusives, comme ici à La Réunion avec des coulées de lave et des fontaines de lave qui ne sont pas très dangereuses. Mais, quelquefois, il peut avoir une activité explosive mais beaucoup plus rare.
Est-ce qu’il y a d’autres types spécifiques de volcans comme les supervolcans ?
Chaque volcan est un petit peu unique et dispose d’une spécificité, même si nous cherchons toujours à classer les volcans. Il y a effectivement les supervolcans qui sont hors cadre puisqu'ils sont vraiment gigantesques. Après, nous classifions les volcans suivant leur type de magma émis donc suivant s'ils sont en limite de plaques, en centre de plaques...
Mais il y a aussi beaucoup de volcans sous-marins. Par exemple, depuis La Réunion, nous surveillons également le volcan de Mayotte. Il est situé à 50 km au large de Mayotte et il a pointé le bout de son nez en 2018. Étant donné qu'il n'y avait pas d'observatoire sur place, car il n'y avait pas eu d'éruption depuis plusieurs milliers d'années, il a fallu gérer sa surveillance. Il y a donc un consortium de scientifiques qui s'est mis en place. La partie opérationnelle est mutualisée ici à La Réunion et nous surveillons à la fois celui-là et le Piton de la Fournaise.