Dans Evasion de la prison d’Iran, Massoumeh Raouf raconte l’incroyable histoire de son incarcération et de son évasion des geôles du régime des mollahs. Son récit poignant, qui est également celui de sa famille, mais de tant d’autres, souligne le génocide des opposants iraniens. L’auteure également de la BD Un petit prince au pays des mollahs a accepté de répondre à nos questions.
En réalité, je ne savais pas grand chose sur le sort de mon frère. La dernière fois que j'ai vu Ahmad, c'était deux jours avant mon arrestation par le régime des mollahs en 1981
Plus de 30 ans après les faits, comment avez-vous vécu l’écriture de votre histoire et de celle de votre famille ?
Pour faire la lumière sur le massacre de 1988 en Iran dont mon frère est une victime, j’ai participé à plusieurs projets de recherche sur les prisons du régime de Khomeiny. Les livres Massacre des prisonniers politiques et Des héros enchaînés sont le résultat de cinq années de travail pendant lesquelles j’ai réussi à recueillir les témoignages d’anciens compagnons de cellule de mon frère, et donc des informations sur ses conditions d’incarcération. En réalité, je ne savais pas grand chose sur le sort de mon frère. La dernière fois que j'ai vu Ahmad, c'était deux jours avant mon arrestation par le régime des mollahs en 1981.
En 2017, pour rendre hommage à mon frère, j’ai publié son histoire en persan. J’ai eu un très bon retour des mes lecteurs, grandement touchés par sa personnalité et sa résistance. L’une des mes amies, Summer Harman, scénariste et dessinatrice, m’a proposée de travailler ensemble sur une bande dessinée en français et anglais. Ce n’était pas facile. Quand vous écrivez pour un lecteur iranien, il y a une histoire et une culture communes, mais quand vous écrivez pour un lecteur français ou occidental, tout est différent, vous devez rapporter tous les événements et trouver un langage compréhensible. Après tout, le français n'est pas ma langue maternelle. Alors j'ai dû m'adapter à la culture et au lecteur français.
Nous avons travaillé sur Un petit prince au pays des mollahs pendant plus d’un an. Sa version française a été publiée aux éditions de la Société des Écrivains, fin 2018. Il est aussi publié en anglais, allemand, italien, norvégien et persan. Un petit prince au pays des Mollahs est disponible dans les librairies sur commande et aussi sur internet. Dans sa préface, Ingrid Betancourt, note à juste titre que « l’histoire d’un petit prince au pays des mollahs nous livre sans aucun maquillage le drame humain de millions d’Iraniens ».
Après publication de mon livre BD, mes amies et aussi les lecteurs que j’ai rencontrés en différentes occasions lors de salons du livre, m’ont demandée de raconter ma propre histoire et mes souvenirs de prison. Alors en premier confinement, je me suis mise à écrire et à finir mon livre Evasion de la prison d’Iran (éditions Balland), qui est disponible en librairie en France, Belgique, Suisse et Canada. Je considère mon nouveau livre comme le deuxième tome de mon livre BD Un petit prince au pays des mollahs, même s’il ne s’agit pas d’une bande dessinée.
Toute ma vie s’est trouvée changée du fait de cette épreuve
Vous écrivez dans votre livre : « je n’ai passé que quelques mois dans les cachots des mollahs iraniens. Pourtant il me semble que j’y ai passé presque toute ma vie ». Pourquoi ?
Toute ma vie s’est trouvée changée du fait de cette épreuve. J’ai été arrêtée en septembre 1981 et condamnée à 20 ans de prison en 10 minutes dans un simulacre de procès, sans avocat et sans aucun droit à la défense. Mais au bout de 8 mois à l’aide de mes compagnons de cellule, j’ai réussi à m’échapper. Quand les pasdaran (le corps des Gardiens de la révolution islamique, ndlr) ont compris mon évasion, toutes les filles de la cellule ont été torturées et transférées dans diverses prisons. Beaucoup d’entre elles ont été exécutées dans le massacre de 1988, que je leur rends hommage dans mon livre. Le régime s’est aussi vengé sur ma famille. Ils ont arrêté ma mère, qui avait un cancer. Faute de soins, elle est décédée peu après sa libération. Mon frère cadet Ahmad qui avait 16 ans à l’époque et avait été arrêté avant ma fuite, a été accusé de complicité dans mon évasion, et de nouveau a été interrogé et torturé. Enfin, il a été exécuté en 1988 avec 30.000 autres prisonniers Moudjahidine du peuple d’Iran sur l’ordre et la fatwa de Khomeiny.
En 1991, les agents du renseignement du régime ont apporté quelques vêtements de mon frère et ont dit à mon père qu’ils l’avaient exécuté dans la prison d’Oroumieh, dans le nord-ouest de l’Iran, mais ils n’ont pas dit où il était enterré. Encore aujourd’hui, après 33 ans, nous – les familles des victimes - ne savons pas où Ahmad et tous les autres ont été enterrés, mais leurs bourreaux sont toujours en place.
Les crimes contre l’humanité commis dans le passé ou actuels en lien avec les massacres perpétrés dans les prisons en 1988 restent impunis
Vous vous battez pour que le massacre de 30.000 prisonniers politiques en 1988 soit reconnu. Pourquoi pensez-vous que ces crimes ne sont toujours pas punis ?
Simplement par ce que c’est la réalité. J’attire votre attention sur le rapport d’Amnesty international qui parle de « la crise de l’impunité en Iran » : « Les autorités ont continué de commettre des crimes contre l’humanité en dissimulant systématiquement le sort réservé aux milliers d’opposants politiques victimes de disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires secrètes en 1988. Des fosses communes qui contiendraient les restes de ces personnes ont continué à être détruites …. »
Aucun responsable public n’a fait l’objet d’une enquête ou été amené à rendre des comptes pour les crimes d’homicide illégal, de torture et de disparition forcée ni pour les autres violations graves des droits humains.
Les crimes contre l’humanité commis dans le passé ou actuels en lien avec les massacres perpétrés dans les prisons en 1988 restent impunis, et un grand nombre de responsables impliqués dans ces événements occupent toujours de hautes fonctions dans l’appareil judiciaire ou au sein du pouvoir exécutif. C'était le cas notamment du responsable du pouvoir judiciaire et du ministre de la Justice.
Des centaines de signataires, dont des prix Nobel, ont exhorté jeudi 27 janvier dans une lettre ouverte le Conseil des droits de l'Homme des Nations unies à lancer une enquête internationale sur le massacre
« Les hautes fonctions dans l’appareil judiciaire » dont parle Amnesty fait référence à Ebrahime Raïssi. Depuis juin 2021, il est devenu président du régime des mollahs. Ebrahim Raïssi, est un ultraconservateur qu’Amnesty International veut juger pour crime contre l’humanité. Raïssi était membre de la « commission de la mort » et l’un des principaux instigateurs. Ils ont envoyé à la mort plus de 30.000 prisonniers politiques en 1988 dont mon frère. Mais ironie de l’histoire, l’arrivée d’Ebrahim Raïssi, a focalisé les attentions sur ce crime odieux. Et notre combat dans la poursuite des commanditaires et des exécutants du massacre de 1988 prend désormais une nouvelle dimension. L’ouverture en Suède du procès d’un tortionnaire iranien depuis le 10 août 2021 est une bonne nouvelle pour nous, familles des victimes. Il est accusé d’exécutions de masse en 1988. Ce procès n’est qu’un début.
Des centaines de signataires, dont des prix Nobel, ont exhorté jeudi 27 janvier dans une lettre ouverte le Conseil des droits de l'Homme des Nations unies à lancer une enquête internationale sur le massacre de milliers de prisonniers politiques en Iran en 1988. Vous pouvez les rejoindre. Cette lettre est coordonnée par l'association «Justice pour de Victime de Massacre en Iran» (JVMI), dont je suis membre.
C’est désormais à l’ONU de jouer son rôle ! Comme le souligne Amnesty International, « l'ONU et la communauté internationale ont gravement manqué à leur devoir envers les familles et les victimes et doit mener une enquête indépendante sur ces crimes contre l’humanité ».
Il est temps que la France prenne l’initiative d’une nouvelle politique
Comment jugez-vous la relation de la France avec l’Iran ?
Il est temps que la France prenne l’initiative d’une nouvelle politique. Il faut montrer de la fermeté face au terrorisme d’Etat des mollahs, leurs prises d’otages et leur chantage. L’époque de l’illusion d’une réforme de la dictature religieuse est terminée.
La seule politique qui garantit les intérêts à longs termes de la France, est une politique fondée sur les aspirations du peuple pour instaurer une véritable démocratie.
Le programme du CNRI pour une république démocratique, respectueuse de l’égalité, de l’indépendance de la justice, de l’abolition de la peine de mort et de la séparation de la religion et de l’Etat va dans ce sens.
Le régime iranien considère le peuple comme son ennemi
Comment voyez-vous l’Iran aujourd’hui ?
La situation de la société iranienne est explosive. Depuis 2018, il y a eu huit grands soulèvements en Iran. Les grèves et les manifestations des ouvriers, des enseignants, des infirmières et des retraités se multiplient dans le pays. La grande majorité des Iraniens vivent sous le seuil de pauvreté. Les richesses sont monopolisées par le guide suprême et ses pasdarans.
Pour la nouvelle année iranienne, Raïssi a augmenté le budget des Gardiens de la révolution de 240 %. Mais les budgets pour l’enseignement ou la santé n’ont pas bougé, malgré la pandémie. Les institutions militaires et de répression forment plus de 34 % du budget total. Le régime a investi énormément dans les programmes d’arme nucléaire, de missiles balistiques, et des guerres dans la région et commet des détournements de fonds. Tout cela a ruiné l’économie. Le régime est confronté à une société explosive. C’est pourquoi, il considère le peuple comme son ennemi. Malgré la répression et les arrestations, le régime n’arrive pas à arrêter la multiplication et la montée en puissance des unités de résistance.
Les activités des « unités de résistance » à l'intérieur de l'Iran deviennent de jour en jour plus fortes et plus spectaculaires au niveau national. Cela montre que la peur à changer de camps. Ce régime ne tardera pas à s’effondrer et si le régime des mollahs tombe, il existe d’ores et déjà une alternative crédible : le Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI) qui est présidé par une femme formidable - Mme Maryam Radjavi. Elle possède un programme politique déjà défini qui bénéficie d’une reconnaissance internationale. Le CNRI milite en faveur d’élections libres permettant au peuple iranien de se choisir des représentants politiques dignes, à l’opposé de la dictature religieuse que nous subissons.