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La lutte contre la covid 19 passera-t-elle par les tests rapides au Cambodge ?

Pascal Catry pharmacien patron de UCARE Pascal Catry pharmacien patron de UCARE
Pascal Catry, pharmacien patron de UCARE
Écrit par Lepetitjournal Cambodge
Publié le 12 juillet 2021

Pascal Catry, pharmacien, patron de UCARE, nous livre son analyse de la situation au Cambodge et propose des pistes pour améliorer le dépistage de la Covid et donc la lutte contre la pandémie.

 

 

A la suite de l’évènement du 22 février, par la faute de quelques individus ayant enfreint les règles de sécurité à l’entrée sur le territoire, la stratégie du gouvernement royal du Cambodge du « zéro cas communautaire » a volé en éclat, ce qui a remis en cause la situation particulièrement privilégiée du pays par rapport à la pandémie de Covid-19. Depuis, après un confinement instauré en urgence, et une campagne de vaccination massive lancée comme une course contre la montre face à la propagation du virus, les autorités peinent à contrôler l’augmentation des cas positifs. La récente utilisation des tests antigéniques rapides pourrait-elle contribuer à maîtriser l’épidémie au Cambodge ?

 

Une épidémie difficile à contrôler au Cambodge

Face à l’aggravation rapide du nombre de cas positifs sur Phnom Penh, le gouvernement a pris la décision en avril d’instaurer le couvre-feu, puis le confinement général. Cependant, dans le contexte du Cambodge, Il était difficile de prolonger au-delà de 3 semaines cette période d’isolement : mal vécue par beaucoup d’entre nous, celle-ci condamnait surtout une partie de la population, notamment tous les petits commerces de rue, à être privée de revenu. Depuis, le virus a diffusé dans les provinces, avec de nombreux foyers dans la plupart des grandes villes. Actuellement, près d’un millier de nouveaux cas sont répertoriés chaque jour, et le nombre de décès a rapidement augmenté pour passer de 0 à près de 800 cas en quelques semaines (ce qui correspond à 1% de la totalité des cas). Nous sommes aux portes des 60 000 cas, avec une montée régulière qui ne semble pas fléchir jour après jour.

 

Plusieurs facteurs rendent la situation compliquée à contrôler :

  • Les mouvements de populations : beaucoup d’habitants de Phnom Penh viennent des différentes provinces du Cambodge, et visitent régulièrement leur famille
  • La proportion de Cambodgiens travaillant dans les pays frontaliers, notamment la Thaïlande ; le gouvernement Cambodgien ne peut empêcher ses ressortissants de rentrer dans leur pays ;
  • Les frontières terrestres difficiles à surveiller ;
  • Les habitudes : il a fallu interdire les rassemblements pour les mariages, les cérémonies religieuses, quant à fermer les marchés bondés, cela reste une décision difficile à prendre, sachant qu’il s’agit du mode d’achat de nourriture le plus utilisé dans le pays ;
  • Les lieux de travail : outre les marchés où la promiscuité expose acheteurs et marchands à une contamination, les usines textiles où les travailleuses sont concentrées dans des espaces fermés représentent bien sûr de potentiels foyers d’infection.

 

Le risque majeur serait de se retrouver dans une situation où les capacités de prise en charge des cas graves par les structures de soin seraient dépassées, comme cela a pu se passer en Inde par exemple. Même si le Cambodge a reçu des aides pour s’équiper, notamment en respirateurs, il est évident que les moyens restent très limités, surtout en province. Le taux de mortalité élevé est également un signe inquiétant. Il serait sans doute plus lié à la fragilité des personnes dans les catégories à risques, en particulier les personnes âgées, mais on ne peut nier les limites de prise en charge de ces personnes lorsqu’elles sont atteintes du virus. D’autant plus que la décision d’aller à l’hôpital est souvent prise tardivement…

On peut enfin se poser des questions sur la présence au Cambodge du variant Delta, déjà détecté, mais en proportion limitée. S’il échappe au contrôle par l’isolement des cas, il pourrait aggraver la situation sanitaire du fait de sa très grande contagiosité.

Par chance, la campagne de vaccination s’est rapidement mise en place, et plus de 4,5 millions de Cambodgiens ont déjà reçu une première dose. Phnom Penh est l’une des capitales dont la proportion de personnes vaccinées est la plus importante. C’est un point fort, car même si les vaccins n’empêchent pas d’être contaminés par le virus, en revanche ils évitent de manière significative l’apparition de symptômes graves et réduisent le taux d’hospitalisation.

 

Les différents types de tests au Cambodge

Jusqu’à récemment, le seul test pratiqué au Cambodge était le test PCR, au départ réalisé uniquement par l’Institut Pasteur. Ce test nécessite un prélèvement de sécrétions nasales ou pharyngée pratiqué par du personnel formé, et demande du temps pour obtenir les résultats, plusieurs heures, voire plusieurs jours en fonction du nombre de tests pratiqués pouvant saturer le fonctionnement des appareils. Ce test reste la référence pour pouvoir voyager hors du pays.

 

Depuis quelques mois, le gouvernement a autorisé l’utilisation de tests rapides,

antigéniques. Ces tests sont pratiqués sur le même type de prélèvements que pour le test PCR, et donnent un résultat au bout d’une quinzaine de minutes. A ce jour, seuls 4 tests rapides ont été approuvés par l’OMS pour une utilisation en urgence au Cambodge. Ces tests n’ont qu’une valeur indicative, les cas positifs devant être confirmés par un test PCR.

 

Enfin, il existe des tests sérologiques, dépistant la présence d’anticorps dirigés contre le Coronavirus. Ceux-ci sont supposés permettre de savoir si la personne se défend bien contre le virus. Réalisés par le patient lui-même à partir d’une goutte de sang, leur utilisation est déconseillée par l’OMS, du fait de leur manque de spécificité et de l’absence de données quantitatives (la quantité d’anticorps détermine le niveau de protection).

 

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crédit Mufid Majnun

 

Vers une utilisation élargie des tests antigéniques

L’indication de l’utilisation de ces tests rapides antigéniques a d’abord été le dépistage massif par les équipes de lutte contre la Covid-19, au niveau des frontières terrestres, des usines textiles ou autres marchés. Ils ont également apporté une solution précieuse au problème du filtrage à l’entrée des hôpitaux et cliniques, pour éviter que des patients positifs et hospitalisés pour d’autres motifs, ne contaminent les structures de soins hébergeant des personnes particulièrement fragiles. D’où l’apparition de petites tentes à l’entrée des hôpitaux pour tester les nouveaux arrivants.

Depuis la semaine dernière, le gouvernement (via le ministère des Postes et Télécommunications) propose de fournir ces tests rapides aux entreprises afin que celles-ci se chargent elles-mêmes de tester leurs employés. Malgré la très forte demande et la nécessité de définir des entreprises prioritaires (nombre d’employés, zone d’implantation, …), plus de 46000 tests auraient déjà été vendus.

Enfin, il y a quelques jours, le Ministère de la Santé a encouragé les entreprises accueillant du public à tester les clients sur lesquels ils auraient des doutes.

Même si ce dernier communiqué suscite des interrogations sur la possibilité de tester des clients à l’entrée d’un magasin, ces récentes annonces montrent un changement dans la politique de gestion de la crise, passant d’un traçage systématique des personnes en contact avec des cas positifs, à l’application de la maxime : « plus on dépiste, plus on contrôle ». En limitant le nombre de personnes positives qui circulent sans le savoir, on limite le risque qu’elles contaminent d’autres personnes.

 

Encore faut-il :

  • Que les tests soient bien réalisés et interprétés, d’où une formation des équipes qui testent au sein des entreprises ou des commerces. Sans formation, impossible de réaliser un prélèvement nasal conforme, de la profondeur au nombre de rotations de l’écouvillon, quant à l’interprétation d’un test douteux (bande peu nette), elle est également dépendante de l’expérience de ceux qui réalisent des tests régulièrement.
  • Que les personnes testées positives soient bien prises en charge, ce qui nécessite de toute urgence un protocole clair que chacun pourra suivre. Actuellement, les structures d’accueil des cas positifs arrivent à saturation, il va absolument falloir faire un tri des cas pour réserver une prise en charge médicale à ceux qui en ont besoin, laissant les cas sans symptômes ou légers se soigner chez eux.

 

Pascal Catry pharmacien patron de UCARE

 

Des pharmacies cambodgiennes prêtes à participer au dépistage par test rapide ?

Outre cette situation épidémique que les autorités peinent à maîtriser, ce qui m’inquiète, c’est le risque lié à une utilisation inconsidérée et incontrôlée des tests disponibles sur le marché. Actuellement, la vente au public de ces tests n’est pas autorisée. Mais comme pour beaucoup de choses, il est très facile de s’en procurer dans les pharmacies locales ou même dans d’autres commerces, sans qu’il y ait aucune garantie que ces tests soient fiables. Le manque d’information ou de compréhension de l’usage des tests peut entraîner un réel risque pour la santé publique :

 

  • Utilisation de tests sérologiques pour savoir si on est immunisé, notamment après vaccination, entraînant l’abandon des mesures préventives, et augmentant le risque de transmission du virus, la vaccination n’étant pas une garantie de ne pas être porteur ; il est même arrivé, dans cette cacophonie ambiante où chacun pouvait se procurer toutes sortes de tests sur le marché parallèle, que certains utilisent des tests sérologiques pour savoir s’ils étaient positifs à la Covid, alors que ces tests ne permettent pas de le savoir…
  • Utilisation de tests antigéniques mal réalisés et/ou non fiables laissant l’utilisateur penser qu’il est négatif alors qu’il est positif
  • Attitude inappropriée de l’utilisateur suite à un test positif, par manque de consigne claire sur la conduite à tenir, ou par manque de responsabilisation.
  • Tests réalisés trop précocément suite à un contact avec une personne positive, dont le résultat négatif ne peut être pris en compte du fait de la période d’incubation.

 

Comme dans de très nombreux pays, je suis certain que les pharmacies peuvent apporter leur contribution à la lutte contre la Covid-19 au Cambodge. Le maillage du territoire est tel que chacun peut se rendre à une pharmacie non loin de chez lui. En France, dès 2020, de nombreux pharmaciens ont proposé le dépistage par test rapide. Et depuis cette année, ils participent également à la campagne de vaccination. Certes, le niveau de compétence et de professionnalisme des pharmacies au Cambodge est très hétérogène, et seul un certain nombre d’entre elles disposerait des moyens et de la structure pour réaliser des tests (la condition minimale étant la présence physique d’un pharmacien diplômé). Cependant, même avec une centaine de pharmacies, qui auraient validé une formation spécifique et qui auraient reçu l’approbation du ministère de la Santé, cela pourrait aider à prendre en charge une partie des personnes qui aujourd’hui risquent de propager le virus car elles ont peur d’aller se faire tester dans un centre avec d’autres cas positifs. De plus, s’appuyant sur leur proximité, les pharmaciens pourraient jouer un rôle de conseil sur l’attitude à adopter en cas de résultat positif, et de sentinelles pour remonter les informations auprès des autorités en assurant un comptage et un suivi des cas détectés.

Avec ses 19 pharmacies réparties sur Phnom Penh, Siem Reap, Kep, Kampot et Takmao, Ucare Pharmacy dispose d’un réseau de plus de 60 pharmaciens diplômés et formés qui pourraient contribuer au dépistage par test rapide.

Ayant exercé en officine pendant 20 ans en France, j’ai eu l’occasion de contribuer à y consolider le rôle du pharmacien en tant qu’acteur de santé publique. Depuis plusieurs années, grâce à l’appui de mes pharmaciens responsables, d’une part en charge de la formation de nos équipes sur la base des bonnes pratiques expérimentées en France, et également relais avec le monde hospitalier, nous proposons déjà au sein des pharmacies Ucare des dépistages et accompagnements (hypertension, diabète, obésité, sevrage tabagique). Nous sommes donc prêts à pouvoir proposer le dépistage Covid-19 par test rapide, dans l’attente d’une autorisation du ministère de la Santé.

 

Des raisons d’espérer…

Le Cambodge est aujourd’hui à une étape charnière dans sa lutte contre la Covid-19, qui devra s’appuyer sur trois piliers :

 

  • La vaccination généralisée, et optimisée (nombre d’injections à confirmer)
  • Le dépistage massif grâce aux tests rapides
  • La responsabilisation de chacun, pour les mesures préventives (masque, distance, lavage des mains, …) comme pour la conduite à tenir en cas de test positif.

 

Bonze recevant un vaccin

 

Autoriser les pharmaciens ayant reçu une accréditation à effectuer des tests rapides auprès de la population, et leur permettre ainsi de jouer leur rôle en matière de santé publique, par leur expertise, leur accompagnement des patients, et leur fonction de sentinelle en remontant des informations auprès des autorités de santé, pourrait grandement contribuer à gagner le combat. 

 

Pascal Catry

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