Un demi-siècle après le génocide khmer rouge, Anne Yvonne Guillou explore la mémoire cambodgienne des victimes et la reconstruction sociale à travers son ouvrage ethnographique.


Comment une société se reconstruit-elle après un génocide ? Quelles traces cette violence laisse-t-elle dans la mémoire collective et individuelle ? Quelle place ces « morts sans sépulture » trouvent-ils dans la vie des populations locales ?
La lecture occidentale médiatique du génocide perpétré par les Khmers rouges entre 1975 et 1979 découle d'une certaine vision de la souffrance d'autrui, très éloignée de l'expression propre aux Cambodgiens. En s'appuyant sur une longue enquête ethnographique, l'autrice entend ici prendre en compte leur ressenti, leur vécu et leur singularité, grâce à une familiarité construite sur plusieurs décennies.
Près d'un quart de la population a été décimée par le régime de Pol Pot, mais les corps des victimes n'ont jamais été restitués aux familles. Ces morts sont pourtant loin d'être absents. Pour l'Etat, ils sont devenus des preuves que l'on montre - notamment dans l'exposition controversée de restes humains au musée du Génocide de Phnom Penh. Les villageois et les fidèles bouddhistes, quant à eux, les « rencontrent » lors de la cérémonie annuelle des défunts : là, tous les morts, quels qu'ils soient, sont « soignés » par les vivants et invités à rejoindre le flux du cycle des renaissances.
De même, des fosses communes sont assimilées à des lieux puissants, abritant des esprits tutélaires de territoire et conservant les traces du passé. Ce dispositif permet de prendre en charge des morts anonymes en instaurant un dialogue ritualisé avec eux. Ainsi s'établit une cohabitation originale entre habitants vivants et défunts.
Au fil de l'ouvrage apparaissent les mécanismes de réparation sociale et symbolique d'un monde marqué par plusieurs années d'une destruction de masse extrêmement violente. Alors que notre époque voit ressurgir des conflits sanglants de grande ampleur, les pratiques cambodgiennes, largement méconnues, apportent un nouvel éclairage sur les capacités humaines de résilience.
Un regard inédit sur la mémoire du génocide
Le 17 avril 1975, les Khmers rouges prenaient Phnom Penh, déclenchant une tragédie qui coûta la vie à près de deux millions de Cambodgiens. Dans Puissance des lieux, présence des morts, l’anthropologue Anne Yvonne Guillou analyse la manière dont les survivants intègrent cette violence dans leur quotidien et leurs rites.
Les morts, toujours présents
Contrairement aux représentations occidentales du génocide, où l’absence des corps symbolise la perte irrémédiable, au Cambodge, les victimes ne disparaissent pas totalement. À travers des pratiques bouddhistes et animistes, les morts sont honorés lors de cérémonies et les fosses communes deviennent des lieux spirituels essentiels.
Une mémoire entre rites et politique
L’ouvrage met en lumière l’ambivalence de la gestion des traces du génocide. L’État cambodgien instrumentalise les restes humains dans des expositions officielles, tandis que les communautés locales s’approprient différemment ces mémoires en établissant des relations rituelles avec les défunts.
Une recherche de terrain approfondie
Spécialiste du Cambodge, Anne Yvonne Guillou s’appuie sur plusieurs décennies d’enquêtes ethnographiques en immersion. Son analyse nuance la perception occidentale du traumatisme et apporte un éclairage inédit sur la résilience sociale face aux génocides.
Informations pratiques :
- Puissance des lieux, présence des morts
- Collection « Recherches sur la Haute Asie » – Société d’ethnologie
- 242 pages, 21 €
- ISBN : 978-2-36519-076-3
- Parution : 20 mars 2025
Disponible en ligne : www.lcdpu.fr
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