Washington taxe les produits cambodgiens à 49 %. Phnom Penh dénonce une méthode de calcul biaisée et craint des conséquences sur son économie.


L’annonce, faite le 3 avril (heure du Cambodge) par le président Donald Trump, s’inscrit dans une série de mesures tarifaires à l’échelle mondiale.
Cette décision a provoqué de vives inquiétudes au Cambodge : certains responsables alertent sur un risque de récession, de pertes d’emplois, d’instabilité sociale et de fuite des capitaux si la situation n’est pas rapidement maîtrisée.
Sous l’initiative baptisée “Liberation Day”, des niveaux de taxes variables ont été appliqués aux pays partenaires. Le Cambodge subit le taux le plus élevé d’Asie du Sud-Est, suivi du Laos (48 %) et du Vietnam (46 %). Singapour, en revanche, n’est taxé qu’à 10 %.
Donald Trump a présenté un graphique plaçant le Cambodge en tête des pays qui appliqueraient, selon lui, les taux de douane les plus élevés sur les produits américains. « Oh… regardez le Cambodge… 97 %. On va baisser ça à 49 %. Ils se sont enrichis grâce aux États-Unis d’Amérique », a-t-il déclaré.
Trump a justifié la réduction de 97 % à 49 % en déclarant que c’était par « gentillesse » pour le peuple cambodgien.
Un calcul critiqué et jugé trompeur
Ces « tarifs réciproques » reposent sur une méthode de calcul controversée. L’administration Trump ne s’est pas basée sur les droits de douane réels imposés par ses partenaires, mais sur un ratio fondé sur le déséquilibre commercial.
Mais de nombreux économistes et analystes critiquent cette approche, qu’ils jugent trompeuse, car elle ne reflète ni les droits de douane réels ni les dynamiques commerciales concrètes.
Pen Sovicheat, porte-parole du ministère cambodgien du Commerce, a réagi : selon lui, les accusations américaines selon lesquelles le Cambodge imposerait 97 % de taxes sur les produits américains sont infondées. Les données de 2024 montrent des taux réels de 29,4 %, dans une fourchette allant de 0 à 35 %, conformément aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Le marché cambodgien, avec ses 16 millions d’habitants, dégage un excédent commercial non seulement avec les États-Unis, mais aussi avec l’Europe, le Canada, le Royaume-Uni, le Japon et l’Australie.
« Le ministère du Commerce examine les taux de douane pour identifier les plus sensibles, en s’appuyant sur le système multilatéral de l’OMC, et explore des solutions de négociation pour protéger les exportations et les intérêts des exportateurs », a-t-il précisé.
La ministre du Commerce monte au créneau
Dans une interview accordée à la Télévision nationale du Cambodge (TVK), la ministre du Commerce Cham Nimul a tenu à rassurer la population : le gouvernement royal prend activement en charge les conséquences de cette nouvelle taxe, qui doit entrer en vigueur le 9 avril 2025.
Elle a souligné que le ministère de l’Économie et des Finances menait des consultations avec d’autres ministères ainsi qu’avec le secteur privé afin de recueillir des recommandations et garantir la stabilité économique du pays.
La ministre a également réfuté l’idée que le Cambodge applique 97 % de taxes sur les importations américaines. Le royaume, a-t-elle rappelé, respecte les règles de l’OMC et n’applique aucun taux supérieur à 29,4 %, bien en deçà du plafond autorisé de 35 %.
Selon elle, ces nouvelles taxes frapperont d’abord les acheteurs américains, qui devront faire face à une hausse des prix, avant de se répercuter sur les producteurs et les investisseurs cambodgiens, en particulier dans les secteurs du textile et de l’habillement.
Un groupe de travail interministériel, dirigé par le ministère de l’Économie et des Finances, est chargé d’évaluer les effets économiques potentiels et d’élaborer des stratégies pour maintenir la compétitivité du commerce extérieur.
Un risque de crise économique ?
La Chambre de commerce américaine au Cambodge a appelé à une levée rapide des sanctions. Elle exhorte les partenaires commerciaux à engager un dialogue proactif avec les États-Unis afin de répondre à leurs préoccupations économiques et sécuritaires.
Casey Barnett, président de la Chambre et conseiller du ministère cambodgien de l’Économie et des Finances en matière de comptabilité, cité par Cambodianess, alerte sur les conséquences : récession, licenciements, instabilité sociale, sortie de capitaux. Il suggère que le gouvernement permette l’importation sans taxes et délivre plus facilement des licences aux entreprises américaines, estimant que le coût pour le pays serait limité.
« Si rien n’est fait dans les deux prochaines semaines, cela détruira l’économie cambodgienne », a-t-il écrit sur LinkedIn. « Le gouvernement doit poser un geste fort, rapidement. »
Des effets limités mais à surveiller, selon des économistes
Hong Vannak, chercheur à l’Académie royale du Cambodge, se veut rassurant.
« Cela aura un impact sur notre économie, mais pas dramatique », estime-t-il. « Le pays, bien que petit, continue de résister. Les revenus des ouvriers seront touchés, mais je ne crois pas que le secteur textile va s’effondrer. »
Il plaide pour une solution diplomatique basée sur la réciprocité et l’intérêt mutuel. Il appelle aussi à une diversification des marchés vers l’Union européenne et d’autres pays, ainsi qu’à une réorientation vers des secteurs plus durables comme la technologie, l’automobile ou le tourisme.
« Les États-Unis aussi subiront des conséquences », ajoute-t-il. « Ils ne peuvent pas tout produire eux-mêmes. Ces taxes entraîneront une hausse des prix pour les consommateurs américains. »
Pas de lien direct avec la Chine, selon Phnom Penh
Si Pen Sovicheat, porte-parole du ministère cambodgien du Commerce, reconnaît que ces mesures auront un impact, il estime qu’il ne sera pas massif, d’autant que les effets de la politique tarifaire de Trump se font sentir à l’échelle mondiale.
Le Cambodge, assure-t-il, a déjà commencé à diversifier ses marchés et à explorer d’autres produits d’exportation, au-delà du textile, des bagages ou de la chaussure.
Interrogé sur un éventuel lien avec la montée de l’influence chinoise au Cambodge, il nie : « Le Cambodge accueille les investissements de tous les pays, y compris ceux membres du RCEP, dont fait partie la Chine. Mais les États-Unis restent notre principal marché. »
« Le gouvernement ne rejette pas ces mesures, mais les étudie avec sérieux et attention », a-t-il conclu.
De son côté, Hong Vannak, chercheur à l’Académie royale, pense que la présence industrielle chinoise au Cambodge est forte et difficile à ignorer. Il n’exclut pas que ces sanctions aient aussi une portée politique.
Des enjeux géopolitiques en toile de fond
Pa Chanroeun, président de l’Institut cambodgien pour la démocratie, évoque plusieurs raisons derrière ces taxes : réduction du déficit commercial, protection de l’industrie américaine, renforcement de la position des États-Unis dans les négociations, stratégie nationaliste, et rivalités géopolitiques.
« Les droits de douane sont un levier utilisé par les États-Unis pour influencer leurs partenaires commerciaux, exercer une pression politique sur leurs rivaux, et promouvoir des réformes sur les droits humains, la démocratie et la gouvernance dans les pays proches de leurs adversaires stratégiques », explique-t-il.
Un partenaire économique clé, malgré le déséquilibre
En 2024, les échanges commerciaux entre le Cambodge et les États-Unis ont atteint 10,18 milliards de dollars, soit une hausse de 11,2 % par rapport à l’année précédente. Les exportations cambodgiennes vers les États-Unis se sont élevées à 9,9 milliards (+11,4 %), tandis que les importations américaines vers le Cambodge n’ont représenté que 264,14 millions (+2,7 %), selon la Direction générale des douanes et accises du Cambodge.
Ces chiffres confirment l’importance stratégique du marché américain pour le Cambodge. Les principaux produits exportés sont les vêtements, les bagages, les pneus, les panneaux solaires, les chaussures, les pantalons, l’éclairage, le matériel de construction, les jouets et les textiles.
Le pays importe pour sa part des produits électroniques, des voitures familiales, du papier, des médicaments, de la nourriture, des camions, du soja, des câbles électriques, des produits laitiers et du tabac.
Sur le même sujet
