Face à l'inflation galopante au Royaume-Uni, deux Youtubeurs britanniques se sont rendus en Pologne afin de faire leurs courses de tous les jours. Au-delà du buzz qu’a suscité cette information, elle a également pas mal agacé. C’est pourquoi, Lepetitjournal.com Varsovie a décidé de mener l’enquête afin de se pencher d’un point de vue économique sur la démarche des deux jeunes anglais en analysant les impacts de l’inflation sur le coût actuel de la vie quotidienne dans le pays - l’occasion de rappeler que les prix sont indexés sur les salaires ! L’Eldorado des uns, peut donc être beaucoup moins rose pour les autres… Qu’en est-il de la part du revenu alloué à l’alimentation en comparant les salaires en Pologne et au Royaume-Uni ? Que se passerait-il si l’expérience des youtubeurs devenait un phénomène européen ? Décryptage.
Au cœur de la polémique : l’expérience de jeunes youtubeurs britanniques
Les Youtubeurs Josh et Archie se sont récemment rendus en Pologne pour faire leurs courses dans le but de montrer la flambée des prix au Royaume-Uni, munis de la liste des 135 produits de référence du gouvernement britannique.
Près de Londres, le montant total est de 164,47 £, soit 188,77 € ou 839,50 zł, budget à ne pas dépasser, trajet et logement inclus.
A Poznan, avec 47 £ de transport aller-retour et un bagage en soute au retour pour l’un des deux, les 8,55 £ de logement, environ 1 £ de bus et 96,75 £ de courses . Le pari est donc réussi pour les deux amis, puisqu’il leur reste au final 11,14 £ à leur retour à Londres.
Une démarche qui visait à souligner « le ridicule de la situation »
Les deux youtubeurs, interrogés par la presse, témoignent. En effet, après avoir dit que leur expérience était irréaliste à reproduire, les deux hommes déclarent : « ça prouve que l’inflation dans ce pays [au Royaume-Uni] est bien plus forte que n’importe où ailleurs et que jusqu’à ce que le taux d’inflation diminue, tout le monde continuera de lutter. Ce n’est pas une solution utile. »
Si l’expérience est concluante d’un point de vue économique, qu’en est-il du point de vue moral et éthique ?
Les deux youtubeurs devaient initialement loger chez un habitant de Poznan qui leur avait offert une chambre gratuitement. Cependant, une fois arrivés chez l’habitant, ils ont invoqué une « urgence familiale » et sont partis, admettant un peu après dans la vidéo qu’ils ne voulaient pas rester en raison de l’état de l’appartement. Ils ont finalement loué un hébergement à l’hôtel. Ce comportement a déplu aux spectateurs : « Tu aurais pu supprimer cette partie de la vidéo au lieu de te moquer du type qui t’a offert l’hospitalité gratuitement. »
Passons aux choses sérieuses : la réalité de l’inflation en Pologne
Si d’une part un vol low cost polluant n’est pas un mode de transport adapté pour remplir son panier, Archie et Josh semblent également avoir oublié que le Royaume-Uni n’est pas le seul pays qui subit l’inflation. Le coût de la vie et les salaires sont interdépendants, se calculant de l’un par rapport à l’autre constamment. Pourtant, qui n’a pas déjà fait l’expérience, un peu gêné d’entendre des étrangers arrivant sur le sol polonais s’exclamer : « ça ne coûte rien de vivre ici ! » ? Il est temps de se pencher réellement sur le coût de la vie en Pologne.
Que comprendre ?
La valeur de référence donnée pour la période de comparaison est 100. Ainsi, si le chiffre de la valeur comparée est supérieur à 100, c’est que les prix ont augmenté, s’il est inférieur à 100 c’est que les prix ont baissé.
Les colonnes à la loupe
- Colonne 1 - septembre 2023 :
Par rapport à septembre 2022, les prix en nourriture et boissons non alcoolisées ont augmenté de 10,4 %. Au total, les prix ont en moyenne augmenté de 8.2 % entre septembre 2023 et septembre 2022.
Par rapport à décembre 2022, les prix en nourriture et boissons non alcoolisées ont augmenté de 4,3 %. Au total, les prix ont en moyenne augmenté de 5,1 % entre septembre 2023 et décembre 2022.
Par rapport à août 2023, les prix en nourriture et boissons non alcoolisées ont baissé de 0,4 %. Au total, les prix ont en moyenne baissé de 0,4 % entre septembre 2023 et août 2023.
- Colonne 2 - 3e trimestre 2023 :
Par rapport au 2e trimestre de 2023, les prix en nourriture et boissons non alcoolisées ont augmenté de 12,9 %. Au total, les prix ont en moyenne augmenté de 9,7 % entre le 3e trimestre de 2023 et le 3e trimestre de 2022.
Par rapport au 3e trimestre de 2022, les prix en nourriture et boissons non alcoolisées ont baissé de 1,9 %. Au total, les prix ont en moyenne baissé de 0,3 % entre le 3e trimestre de 2023 et le 2e trimestre de 2023.
- Colonne 3 - janvier à septembre 2023 :
Par rapport à la période de janvier à septembre 2022, les prix en nourriture et boissons non alcoolisées ont augmenté de 18 %. Au total, les prix ont en moyenne augmenté de 13,2 % entre la période de janvier à septembre 2023 et celle de 2022.
- Colonne 4 - impact des changements :
Par rapport à août 2023, les prix en nourriture et boissons non alcoolisées ont en moyenne baissé de 0,11 %, quand les boissons alcoolisées et produits du tabac ont augmenté de 0,2 %.
Le tableau à la loupe
Voici mois par mois, l’évolution des prix des biens et services de consommation par rapport à la période précédente. C'est-à-dire : par rapport à janvier 2022, les prix ont baissé de 0,3 % en février 2022.
De même, par rapport à décembre 2022, les prix en janvier 2023 ont augmenté de 2,5 %.
Les constatations d’Archie et Josh sont-elles correctes ?
En Pologne, le taux d’inflation par rapport au même mois de l’année précédente en septembre 2023 est de 8,2 %.
Au Royaume-Uni, le taux d’inflation par rapport au même mois de l’année précédente en septembre 2023 est de 6.3% d’après Office For National Statistics.
Revenons sur les affirmations de nos youtubeurs : « ça prouve que l’inflation dans ce pays est bien plus forte que n’importe où ailleurs et que jusqu’à ce que le taux d’inflation diminue, tout le monde continuera de lutter. Ce n’est pas une solution utile. »
Donc, si on considère uniquement le taux d’inflation pour la même période l’année précédente, ils ont tort. L’inflation est plus élevée en Pologne qu’au Royaume-Uni. Mais si l’inflation est plus forte en Pologne qu’au Royaume-Uni, il faut tout de même vérifier que le niveau de vie au quotidien, par la part du revenu allouée à l’alimentation, est plus élevée en Pologne aussi, car dans le cas contraire, même si l’inflation est plus élevée en Pologne, la situation serait plus difficile à vivre au Royaume-Uni.
Qu’en est-il de la part du revenu alloué à l’alimentation en comparant les salaires en Pologne et au Royaume-Uni ?
En prenant les chiffres de l’expérience de nos youtubeurs pour le panier moyen britannique de 135 produits, gardons en tête que les habitudes de consommation sont différentes en Pologne et au Royaume-Uni.
Ce panier moyen coûte, d’après nos youtubeurs, 164,47 £ au Royaume-Uni et 96,75 £ en Pologne, soit avec le taux de change au moment des faits (vidéo publiée le 2 novembre 2023, nous prendrons le taux de change du mois d’octobre, à 1 zloty = 0,20 £ le 17 octobre) 490,04 zł.
En comparant les salaires entre la Pologne et le Royaume-Uni, il faut se rendre compte que le taux de change peut perturber notre appréciation des chiffres. Le 17 octobre 2023, 1 zloty valait 0,20 livre sterling.
Un SMIC polonais de 3.760 zł équivaut à environ 745 £.
De même, un SMIC britannique de 1 806,13 £ équivaut à environ 9.118 zł
Guide 2023 des salaires en Pologne
Maintenant, prenons le salaire minimum dans les deux pays
En Pologne, le SMIC est à 23,50 zł par heure, soit 3.760 zł par mois (brut pour un 40h)
Au Royaume-Uni, le SMIC est récemment (octobre) passé à 10,42£ par heure, soit environ 1 806,13£ par mois (brut) pour un 40H.
- On considère que le panier de 135 produits est une consommation hebdomadaire.
- En Pologne, le montant mensuel des courses s’élève à 1960,16 zł.
- Au Royaume-Uni, il s’élève à 657,88 £.
- La part du revenu consacrée à l’alimentation en Pologne est d’environ 52% si l’on considère que le ménage n’a qu’un seul revenu et qu’il est au SMIC.
- La part du revenu consacrée à l’alimentation au Royaume-Uni est d’environ 36% si l’on considère que le ménage n’a qu’un seul revenu et qu’il est au SMIC.
Donc, en résumé, le taux d’inflation est plus fort en Pologne, et la part du revenu allouée à l’alimentation aussi. Par conséquent, sans diminuer l’importance du message de nos deux youtubeurs qui veulent alerter sur la situation d’urgence et de difficulté vécue au Royaume-Uni, leurs affirmations sont d’une part erronées et d’autre part, ils ont oublié de vérifier la réalité du niveau de vie polonais autant au sur le poste de l’inflation que sur celui du budget.
Que se passerait-il si l’expérience des youtubeurs devenait un phénomène européen ?
- La Loi de l’offre et de la demande :
En économie, le marché concurrentiel est théorisé par la loi de l’offre et de la demande. Sachant que d’autres théories ont précisé celle-ci, qu’en réalité le marché n’est pas en concurrence pure et parfaite et qu’il y a des biais dans l’économie, la Loi de l’offre et de la demande reste l’outil le plus efficace pour démontrer simplement ce que nous cherchons à expliquer.
Donc, sur un marché, dans notre cas, celui de la Pologne d'un point de vue alimentaire, il y a une offre, c'est-à-dire la quantité de biens qu’un producteur propose sur le marché pour un certain prix. Plus le prix est élevé, plus la quantité offerte est grande.
Il y a aussi, sur ce marché, une demande. La demande, c’est la quantité de biens qu’un consommateur est prêt à acheter pour un certain prix. Plus le prix augmente, plus la demande baisse.
L’offre (O) et la demande (D) se rejoignent en un point appelé l’équilibre (E), où les prix (P*) et quantités (Q*) offertes sont tous achetés.
Maintenant, on ajoute une demande extérieure au marché polonais initial, c’est à dire, la demande des étrangers venant en Pologne pour faire leurs courses, car l’inflation chez eux rend le coût de la vie trop chère, à l’image de nos deux youtubeurs.
On se retrouve dans une situation de choc de demande positif. Le choc de demande positif est un événement qui provoque une augmentation de la quantité globale demandée sur le marché pour tout niveau de prix. La courbe va donc se déplacer vers la droite, avec :
P le prix
Q la quantité
O l’offre
D la demande
D’ la demande après ajout de la demande étrangère
E l’équilibre
E’ l’équilibre après ajout de la demande étrangère
P* le prix d’équilibre
P’ le prix d’équilibre après ajout de la demande étrangère
Q* la quantité d’équilibre
Q’ la quantité d’équilibre après ajout de la demande étrangère
Ainsi, lorsque s’ajoute à la demande du marché polonais, la demande étrangère, les quantités offertes augmentent, mais les prix aussi.
Or, comme partout ailleurs dans le monde, les prix sont calculés en fonction du revenu de la population.
Si les prix augmentent sans que le revenu n’augmente, purement à cause de la demande étrangère sur le sol polonais, les Polonais ne pourront pas accuser l’augmentation des coûts, d’autant que leur budget est déjà largement amoindri par l’inflation. De même, ce comportement ne serait même plus rentable pour les étrangers venant faire leurs courses en Pologne, puisqu’eux aussi seraient touchés par les prix qui augmentent sur le marché polonais de l’alimentaire et que les marchés du transport et de l’hôtellerie vont connaître le même phénomène.
Des conséquences désastreuses sur le portefeuille des Polonais
Ainsi, d’un comportement qui, à l’échelle individuelle, est avantageux, se dégagent des conséquences à la fois désastreuses pour le portefeuille des Polonais, mais aussi à moyen terme, inutiles puisqu’il ne va que très peu de temps être profitable pour ceux qui l’appliquent.
Tout cela, sans prendre en compte les conséquences sur l’économie des pays d’Europe dont la population partira faire ses courses en Pologne (baisse du PIB, potentielles pertes d’emploi dans le secteur alimentaire, etc.)
Et l’impact écologique dans tout ça ?
Il convient aussi de mentionner qu’une multiplication de comportements comme ceux de nos deux youtubeurs auraient des conséquences sur l’environnement.
Leur voyage aller-retour en avion, pour 2 personnes et sans compter le supplément bagage au retour, équivaut à 0,468 tonnes de CO2 par personne, sachant que la moyenne carbone d’un habitant en Grande-Bretagne en 2021 était de 5,2 tonnes de CO2 par an. Un seul de ces voyages équivaut à environ 9% de leur empreinte carbone totale, chacun.
En effectuant un voyage par semaine, sans compter le temps et l’organisation que cela demande - sachant qu’il y a 52 semaines par an, l’empreinte carbone passerait à 24,336 tonnes uniquement pour les vols aller-retour sur une année.
Et vous, comment vivez-vous l’inflation en Pologne ? Lepetitjournal.com Varsovie enquête afin de savoir comment les jeunes polonais et les moins jeunes vivent au quotidien la flambée des prix sur les produits alimentaires et de première nécessité et quel impact cela a dans leur vie à court et moyen terme.