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La gréviculture à la française vue de l’étranger

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Écrit par Justine Hugues
Publié le 30 avril 2018, mis à jour le 3 décembre 2020

Tandis que la SNCF entame son deuxième mois de grève perlée, le mécontentement des cheminots et usagers est observé de près au-delà de nos frontières. Entre soutien, ironie, dénonciation et analyse des enjeux pour le gouvernement Macron, les médias européens multiplient les chroniques sur les conflits sociaux qui parcourent l’Hexagone. 

Les Français sont-ils les champions du monde de la grève ? De la chaine de télé suédoise SVT jusqu’à Euronews, en passant par le quotidien Handelsblatt, de nombreux médias étrangers ressortent des cartons l’étude publiée en 2016 par l’institut de recherche allemand WSI, pour contextualiser la grève en pointillé conduite par la SNCF depuis le 3 avril. Avec une moyenne de 132 jours de grève par an pour 1000 salariés, la France exploserait les records face à 14 autres pays. Pas vraiment de quoi crier cocorico, raillent certains confrères journalistes étrangers. Quoi qu’il en soit, comme c’était le cas lors de la campagne présidentielle l’an dernier, la convergence des mécontentements est scrutée depuis des semaines par nos voisins.  

 

Chronique d’un chaos annoncé

Il aura suffi à l’agence Associated Press (AP) de parler de « chaos du rail » et « plus encore à venir » pour que quelques titres étrangers fassent des grèves françaises un scénario catastrophe.  Un correspondant du journal suisse Luzerner Zeitung décrit ainsi la gare de Lyon, le premier jour de la mobilisation. « Un train de banlieue est arrivé, dans lequel les gens étaient serrés comme des sardines. Les voyageurs ont sauté sur les voies, tandis que d’autres ont dû emprunter des passerelles étroites, donnant l’impression d’être des funambules de cirque ». 

« Vraiment c’est la catastrophe », s’alarme une voyageuse citée dans la dépêche d’AP. « Vous auriez dû voir ce qui s’est passé dans le train. Des gens sont tombés, des femmes pleuraient. Des enfants. Ce n’est pas normal », poursuit celle qui se décrit comme une « victime ». 

C’est donc avec emphase qu’une partie de la presse étrangère a fait ses choux gras du désordre et de l’agacement des usagers, observés dans les gares françaises en temps de grève. Les adeptes des revues de presse étrangère se remémoreront certainement les Unes de type « Paris brûle » et autres cartes de France en feu, qui avaient, en 2005, accompagné, dans les médias américains, les émeutes en cours dans les banlieues de l’Hexagone.

 

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Les européens divisés

Des journalistes étrangers donnent la parole à ceux qui défendent les mobilisations en cours, ou questionnent le rythme des réformes engagées par le gouvernement Macron.  C’est par exemple le cas de Marisa Rodriguez Palop, qui confie devant les caméras de RTVE que «  la réforme la plus problématique, c’est la suppression du statut des cheminots pour les nouveaux travailleurs ». Toujours chez notre voisin espagnol, le journal izquierda diarioqui ne cache pas son orientation politique, dénonce «  des mesures répressives qui expriment un désir clair de la part du gouvernement d’intimider ceux qui luttent et montrent le chemin pour affronter les attaques du président Macron ». 

Le quotidien économique allemand Handelsblatt s’alarme du rythme des réformes et du manque d’explications concomitant. « Souvent, le gouvernement se borne à dire qu’il a un mandat pour moderniser le pays. C’est vrai, mais cela ne dispense pas d’expliquer précisément chacune des réformes », déplore son correspondant à Paris.  D’autres médias étrangers, sans aller jusqu’à dénoncer la réforme du rail récemment votée à l’Assemblée, alertent des potentielles conséquences négatives de l’ouverture à la concurrence. Hausse incontrôlée du prix des billets, trains supprimés, réduction du personnel : au Royaume Uni et en Allemagne par exemple, les réformes ne se sont pas nécessairement traduites par une amélioration de la qualité du service ferroviaire. 

Pour autant, dans l’autre camp, bon nombre de nos voisins estiment que le péril encouru est  nécessaire, pour le bien des voyageurs et de l’économie française.  Dans les colonnes du Zurcher Zeitung, on peut lire que « les syndicalistes français se livrent encore à des formes d’action exceptionnellement enragées, des barrages sauvages à la prise d’otages de chef d’entreprise ». Et le quotidien suisse de voir dans les grèves une contestation et un orgueil systématiques bien français : « il est souvent difficile de prédire quand et pour quelle raison le coq gaulois gonfle sa crête ».

Sur itv news, le journaliste britannique James Mates déclare, depuis la gare Montparnasse, que « ce sont les syndicats qui depuis des années refusent de faire le moindre effort pour réformer », faisant écho à Jim Bittermann, correspondant de CNN, selon lequel « le monde entier se demande pourquoi les français n’arrêtent pas de pleurnicher au lieu de travailler ». Pour le journaliste américain, « les français pensent que leurs droits ne peuvent jamais être abandonnés. Tout ça peut donner l’impression que la France n’est pas un bon pays pour faire du business ». 

Dans un éditorial intitulé « le train réformiste français », le quotidien espagnol El Pais estime le contexte actuel en Hexagone comme une « grande opportunité pour que Macron puisse mener à bien les réformes tant de fois repoussées et dont la France a tant besoin pour gagner le futur ».

 

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Quelle portée politique donner au bras de fer entre les grévistes et le gouvernement ? 

Emmanuel Macron avec une permanente, balayant de son sac à main les manifestants de la CGT. La caricature comparant le président français à Margaret Thatcher, en Une de The Week, résume l’interrogation dominante de la presse britannique : le président français réussira-t-il à terrasser les manifestants ? Test pour Macron, avenir du service public : à l’instar de The Week ou du Guardian, qui évoque dans un édito des « enjeux très élevés pour Emmanuel Macron », la presse étrangère se passionne pour la portée politique de ce long épisode gréviste. 

« Si les contestations en France ont des causes disparates, elles ont un commun la vénération française de l’idée d’un Etat protecteur et la permanente résistance à la réforme », affirme The Week, tandis que dans d’autres titres, on associe également le débat en cours à la remise en cause du modèle du service public à la française. « Dans ce conflit, il s’agit de défendre un symbole du modèle social français et du service public auquel les Français tiennent particulièrement », peut-on lire dans Die Tageszeitung. Pour le quotidien allemand,  “s’il cède, le président Macron pourrait voir sa position grandement affaiblie et son calendrier des réformes en péril ». Handelsblatt corrobore, en qualifiant la période actuelle de moment décisif du quinquennat. « Il s’agit de bien plus que de la réforme de la SNCF. Les syndicats et le gouvernement en sont parfaitement conscients : en cas d’échec, c’est aussi l’image du gouvernement et du chef de l’État qui seront écornées. »

Justine Hugues
Publié le 30 avril 2018, mis à jour le 3 décembre 2020