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Six mois de gouvernement italien : l’analyse de l’expert Marc Lazar

Marc Lazar Expert ItalieMarc Lazar Expert Italie
Écrit par Vincent Rochette
Publié le 2 décembre 2018, mis à jour le 3 décembre 2018

Le gouvernement italien a été formé le 1er juin dernier. Le professeur Marc Lazar, spécialiste de la politique italienne, a accepté de livrer au petitjournal.com son analyse des six premiers mois du gouvernement de Giuseppe Conte. 

 

Lepetitjournal.com/Rome: Quelle est votre analyse de la situation politique italienne, six mois après la mise en place du nouveau gouvernement?

Marc Lazar : C’est un gouvernement qui a incontestablement marqué une rupture, parce que c’est la première fois dans un pays de ce que l’on a appelé dans le passé l’Europe occidentale que deux formations que l’on peut qualifier de populistes sont au pouvoir en position dominante. Dans beaucoup d’autres pays européens, les populistes, quand ils participent au pouvoir, sont dans une position minoritaire dans des coalitions où ils soutiennent des majorités parlementaires. 

Ici, ils sont pleinement au pouvoir, même s’il y a des ministres experts.  Ça rapproche l’Italie de ce qui se passe en Hongrie et en Pologne.  C’est vraiment un évènement historique, d’autant plus que l’Italie est l’un des pays fondateurs de la communauté européenne, la troisième puissance économique de l’Union européenne, la deuxième puissance industrielle.

Ce gouvernement a beaucoup parlé, il a aussi agi de manière spectaculaire sur les questions d’immigration en particulier, avec un décret qui réduit le droit d’asile. C’est essentiellement sur ces questions-là qu’il est intervenu. Ensuite, il a beaucoup parlé, mais pour le moment, la grande question, c’est celle du budget et cette question ouvre une confrontation rude avec la Commission européenne et divise le gouvernement. 

Quelque chose d’important à noter est la forte popularité de ce gouvernement même si depuis un mois et demi, on note une légère baisse. Mais pour le moment, ce gouvernement a una luna di miele (une lune de miel) avec ses électeurs.

 

Êtes-vous surpris que ce soit Matteo Salvini qui ait réussi à contrôler l’agenda gouvernemental?

Surpris oui. Il part après les élections du mois de mars avec un pourcentage de 17%, ce qui était déjà très bien pour sa formation, la Ligue. Mais, il s’est imposé très vite comme le ministre de l’Intérieur, vice-président du conseil.C’est l’homme clé, l’homme qui est présent partout, très peu au ministère. Il est en campagne politique permanente, tweetant énormément, communiquant énormément. On le voit partout!

Il a aussi dicté l’agenda pour une raison assez simple : son parti est relativement uni à la différence du Mouvement 5 étoiles (M5S).  Deuxièmement, il a une expérience politique incontestable, notamment par rapport à Luigi Di Maio qui s’est révélé de ce point de vue-là faible à la tête d’une formation qui est très divisée actuellement, le Mouvement 5 étoiles. 

Et puis, parce que le président du conseil (Giuseppe Conte), pour le moment, est un homme  qui semble extraordinairement faible parce qu’il n’a pas d’expérience politique, parce qu’il n’a pas de parti et pas d’expérience parlementaire.

Salvini avait un boulevard devant lui et il l’occupe!

 

Qu’est-ce que vous pensez de l’opposition?  

Ça aussi, c’est un évènement inédit parce que cette opposition est dans une crise totale.

D’un côté Forza Italia est extraordinairement affaibli. Il y a le problème de la succession de Silvio Berlusconi. Manifestement, Forza Italia essaie de tout faire pour que Salvini rompe avec le M5S. Forza Italia est inaudible actuellement et une grande partie de son électorat se rallie désormais à Matteo Salvini.  Aucune opposition de ce côté-là.

Aucune opposition non plus du côté de Parti démocrate, car les différents candidats à la direction du parti s’entretuent. Beaucoup d’électeurs de centre-gauche ne comprennent pas sur quoi portent les divergences. Ce parti est plus obsédé par ses questions intérieures que de mener une véritable opposition contre le gouvernement Conte.

Où sont les adhérents de gauche dans un pays qui a déjà eu le parti communiste le plus puissant d’Europe occidentale?

Le Parti communiste italien met fin à ses jours en 1991 et on se demande effectivement où sont passés tous ces électeurs communistes.  Il y a eu des changements démographiques importants depuis.

Il y a un très grand malaise avec un électorat de gauche qui ne se reconnait pas dans le Parti démocrate, qui n’est pas exactement un parti de gauche, mais un parti de centre-gauche. Il y a beaucoup d’interrogations et de doutes dans l’ancien électorat de gauche. Une partie qui continue à voter pour le Parti démocrate, une très infime minorité en mars dernier est allée vers le parti Liberi e Uguali, une formation de la gauche radicale.  Beaucoup se sont abstenus et une composante est allée vers le Mouvement 5 étoiles.   

D’où le fait que dans le Parti démocrate, il y ait le débat sur : est-ce qu’il faut s’allier avec le M5S  ou est-ce qu’il faut au contraire ignorer le Mouvement 5 étoiles et essayer d’attirer de nouveau ces électeurs vers le Parti démocrate.

Où sont passés les électeurs de gauche en Italie?  C’est une grande question qui pour le moment n’a pas de réponse.      

Avec la force de Salvini, peut-on penser que l’Italie pourrait envoyer, lors des élections européennes de 2019, le plus important contingent de députés d’extrême-droite au Parlement européen?

Si Matteo Salvini fait comme Matteo Renzi en 2014, s’il obtient 40% des voix, effectivement, il y aura un groupe de la Ligue au Parlement. 

La Ligue est dorénavant une formation qui se situe à l’extrême-droite, même si le projet de Matteo Salvini est d’essayer de former un parti politique ou un regroupement de partis qui irait de l’extrême-droite au centre-droit. Ça marquerait le parlement européen, comme celui de 2014, qui était marqué par l’importance du Parti démocrate.

La victoire du PD en 2014, le groupe italien était la plus grande composante du parti socialiste européen (PSE) puisque Matteo Renzi avait fait adhéré son parti au PSE. Si Salvini fait un résultat important et c’est ce qu’il espère, il pèsera au Parlement de Strasbourg.     

Diriez-vous que l’extrême-droite italienne est la plus forte d’Europe actuellement?    

Oui et non. Mon hésitation est que la Ligue se positionne sur l’extrême-droite, mais en même temps, même Salvini joue dans un registre d’extrême-droite sur les questions d’immigration en particulier, populiste par son style, de temps en temps tout de fois, comme en ce moment, il essaie de se montrer comme un homme responsable, qui peut-être accepterait un compromis avec l’Union européenne sur la question du budget. 

Il a cessé de critiquer, car il veut rassembler toute une partie de l’électorat centre-droit, pas uniquement d’extrême-droite.  Donc oui, c’est le regroupement le plus important avec le Rassemblement national de Marine Le Pen et évidemment le parti de Victor Orban en Hongrie qui est au pouvoir.  Incontestablement, Matteo Salvini était un leader régionaliste avec la Ligue du Nord est devenu un leader nationaliste avec la Ligue et il ambitionne de devenir un leader européen. 
 

Comment qualifiez-vous les électeurs du Mouvement 5 Étoiles?   

Le Mouvement 5 étoiles est unique en Europe, d’abord par sa structuration. Pas de siège de parti, il existe uniquement sur les réseaux sociaux avec une plate-forme qui est Rousseau. Il est horizontal du point de vue de la participation de ces membres, mais en même temps vertical, puisqu’il a été fondé par Beppe Grillo. 

Aujourd’hui, Beppe Grillo est beaucoup moins impliqué dans le mouvement et Luigi Di Maio a un problème pour affirmer son autorité.

C’était une formation qui regroupait incontestablement des électeurs venus de la gauche, des électeurs venus de la droite aussi, notamment dans la dénonciation de ce que le mouvement appelle le «business de l’immigration». Également, des électeurs très sensibles aux thématiques de l’écologie. Depuis qu’il est au pouvoir, le parti n’a absolument rien fait dans ce secteur. Les 5 Stelle au départ, c’est la question de l’environnement, de l’eau publique, des problématiques que l’on appelait en sciences politiques "post-matérialistes".  Ces problématiques ont beaucoup disparu  et puis le mouvement a attiré des électeurs qui jusqu’ici s’abstenaient. 
 

Pensez-vous que l’alliance entre les deux partis pourrait encore durer longtemps, considérant les divergences entre les deux formations politiques (M5S et Ligue)?   

C’est évident que l'alliance va se rompre à un moment donné. Parce que ce contrat de gouvernement rassemble deux personnes qui sont en compétition pour le leadership, Luigi Di Maio et Matteo Salvini, parce que les orientations politiques sont différentes, parce les intérêts sont également différents. Le M5S est plus dans une logique d’assistance, notamment envers son électorat du sud de l’Italie.  Le Ligue n’est pas du tout dans cette perspective.  Donc, ça va rompre, mais le problème, c’est de savoir quand. Qui prendra la responsabilité de cette rupture, compte tenu qu’une partie des Italiens apprécie ce gouvernement dans son unité ? 55% des Italiens soutiennent ce gouvernement, où Salvini est le plus populaire.

En même temps, ils ont au moins deux grands facteurs qui les rassemblent : d’abord, la prééminence de la souveraineté nationale par rapport à la question européenne, d’où la critique de l’Europe et également l’affirmation du peuple souverain sans limite.   

vincent rochette
Publié le 2 décembre 2018, mis à jour le 3 décembre 2018

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