Journaliste française, Anne Tréca Perissich est installée depuis plus de 20 ans en Italie. Dans son dernier livre, Métamorphoses en Italie depuis 1945, elle donne la parole à dix grands témoins de l'évolution de la société italienne. Lepetitjournal.com a eu l'occasion de la rencontrer à Rome, sa ville d'adoption.
Lepetitjournal.com : Pouvez-vous rappeler votre parcours au lecteur du petitjournal.com?
Anne Tréca : J'ai commencé mes études à la faculté de droit de Paris. J'ai continué au collège d'Europe, à Bruges, dans une école d'administration européenne qui prépare les fonctionnaires européens. Finalement, je ne suis ni avocate, ni fonctionnaire européenne mais journaliste. J'ai toujours été passionnée par l'Europe. J'ai fait un stage à la Commission européenne à Bruxelles avant de travailler pour une agence de presse internationale. J'ai aussi été correspondante pour des médias français accrédités auprès des institutions européennes. Cela a commencé par de la presse régionale : le Télégramme, l'Indépendant, FR3 ? Et trois ans plus tard, Europe 1 m'a contactée et m'a offert un poste de correspondante permanente à Bruxelles.
Donc vous avez enchaîné pas mal de petits boulots avant de travailler pour Europe 1?
Oui, les jeunes journalistes à l'étranger sont obligés de cumuler les correspondances pour s'en sortir. L'agence de presse était à temps plein mais trop mal rémunérée. Je voulais aussi me faire connaître pour signer dans de plus grands journaux. J'ai d'ailleurs continué à le faire en même temps qu'Europe 1 pendant une dizaine d'année à Bruxelles. Ensuite, j'ai rejoint le siège de la rédaction à Paris.
Quel était votre rôle à la rédaction d'Europe 1?
Je m'occupais d'une chronique matinale sur les droits des consommateurs. C'était un sujet passionnant car c'était à la fois juridique et social. Il s'agissait de défendre des gens qui se font plumer. Et j'adore défendre les gens « faibles » quand ils sont en face de choses qui les dépassent. Mais cette période n'est pas mon meilleur souvenir. Ayant vécu des années à l'étranger, j'ai eu du mal à m'accommoder à la vie parisienne. Donc je suis repartie dans les pays de l'Est, et en Allemagne, où j'étais responsable de la formation des radios étrangères du groupe Lagardère Active. Je travaillais principalement en anglais et en allemand et cela me convenait très bien.
Vous avez aussi travaillé pour la Cinq à ce moment-là ?
Oui quand j'étais à Bruxelles. C'est une chaîne privée que Silvio Berlusconi a lancée en France. Quand il s'est rendu compte que son business ne tenait pas la route, il l'a revendu à Jean-Luc Lagardère. Il avait déjà eu un énorme succès en Italie. C'était le roi de la télévision. Il faisait un chiffre d'affaires que personne ne pouvait égaler en Europe. Lorsqu'il est arrivé en France, pour la Cinq, il a choisi des commentateurs et des journalistes qu'il a couverts d'or. On n'avait jamais vu des salaires aussi mirobolants! Il a essayé de diffuser des shows à l'italienne. Or, ce qui fonctionnait en Italie n'a pas du tout séduit en France. Donc il s'est rapidement retiré en revendant la chaîne à Lagardère, qui pensait sans doute faire mieux. Mais la Cinq a rapidement fait faillite.
Qu'est-ce qui vous a amenée en Italie?
Dès la naissance de mon premier enfant, nous avons décidé de nous installer en Italie, d'abord à Milan puis à Rome. L'idée était de réunir toute la famille auprès de mon mari qui ne voulait pas quitter son pays. A Rome, j'ai d'abord trouvé un poste d'enseignante à la Luiss. En même temps, je faisais toujours quelques déplacements en Roumanie pour le compte de Lagardère Active. Ensuite, j'ai intégré La 7, une chaîne de la télévision italienne, pour y faire une revue de presse internationale. Très vite, on m'a demandé de présenter le journal et une émission le matin. À la suite d'un changement de direction, six ans plus tard, j'ai été licenciée. J'ai retrouvé Europe 1 mais cette fois-ci en tant que correspondante en Italie. Maintenant je suis free-lance, je travaille notamment avec RTL.
Vous êtes donc à Rome depuis plus de 15 ans. Que pensez-vous de la « Cité éternelle » ?
Je trouve que la ville se dégrade de plus en plus. D'abord, à cause de l'incompétence des services publics à conserver la ville dans son état initial. Rome est de plus en plus sale et je trouve cela odieux. Ensuite, les transports en communs sont devenus cauchemardesques. Les déplacements en deux roues sont trop dangereux à cause des nids de poule. En somme, la vie quotidienne à Rome est devenue difficile. À tel point que les habitants ont perdu de leur humour et de leur gentillesse. Il suffit de voir leur agressivité au volant. Rome est devenue une ville stressante, désagréable, ce qu'elle n'était pas quand je suis arrivée...
Vous avez avoué être passionnée par l'Europe. Que pensez-vous de l'évolution de la société italienne au sein de l'Union Européenne?
Les Italiens ont perdu leur ferveur européenne. Lé début du désenchantement est en lien avec l'introduction de l'euro. En Italie, les opérateurs ont augmenté le prix de consommation moyen sans que cela ne soit contrôlé par l'état. Résultat, le prix des produits de consommation courante comme le café ou la pizza a doublé. En même temps le prix du pétrole augmentait. Le coût de la vie a augmenté. Ensuite, la crise économique de 2007 est arrivée. Les Européens ont demandé à l'Italie de restreindre ses dépenses publiques au moment où les Italiens, eux, auraient voulu un soutien de l'État. Il y a eu le sentiment que l'Allemagne prospère imposait à l'Italie une discipline budgétaire qui ne faisait qu'étouffer encore plus le pays déjà en panne. Les Italiens ont par ailleurs été très frappés de voir la Grèce mise à genou par cette discipline budgétaire. Ils se sont d'ailleurs dit qu'ils seraient les prochains. En plus de cela, l'Italie a été abandonnée par ses partenaires dans la gestion et l'accueil des migrants. Tous ces facteurs font qu'il existe un réel désamour pour l'Europe en Italie.
Métamorphoses de L'Italie depuis 1945 : 10 grands témoins racontent.
Dans cet ouvrage, Anne Tréca interroge 10 grands témoins des 70 dernières années, qui ont vécu de près les changements sociaux, politiques et économiques de l'Italie. Ces récits nous éclairent sur la mutation profonde de la société italienne, font la part belle aux femmes avec notamment Emma Bonino et Cécile Kyenge, abordent le berlusconisme grâce à Dario Rivolta et la grande opération « Mains Propres » contre la Mafia avec Gherardo Colombo. Un récit captivant, qui se lit d'une seule traite.
Valentin Basso (Lepetitjournal.com de Rome) - Mardi 5 septembre 2017
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