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POLOGNE/HISTOIRE - Joanna Grundzinska raconte le K.O.R.

Il est des mouvements qui ont changé le cours d'une vie, d'une génération, d'un pays, et qui pourtant restent peu connus dans le monde. C'est le cas du KOR, le comité de défense des ouvriers (Komitet Obrony Robotników). Joanna Grudzinska a décidé de consacrer un film à ce mouvement de révolte qui a profondément marqué son entourage, sa famille et même, indirectement, sa vie

Née en 1977 en Pologne, Joanna Grudzinska a grandi en France après l'exil en 1981 de ses parents, eux-mêmes membres du KOR, à la suite de la déclaration de l'état d'urgence en Pologne. "A travers ce film, c'est un peu mon histoire, puisque les 5 années qu'a duré le KOR correspondent à la période que j'ai passée en Pologne, explique-t-elle. C'est une histoire que j'ai toujours connue sans vraiment savoir de quoi il s'agissait.?

En 1976, le prix des denrées alimentaires est de nouveau relevé en Pologne. Cela provoque la colère des ouvriers qui manifestent par d'importantes grèves. Le parti communiste répond par des licenciements massifs avec interdiction d'embauche pour les grévistes. C'est alors qu'un petit groupe de personnes créent le KOR, un mouvement de soutien qui vient en aide aux ouvriers opprimés. Non seulement, il leur fournit de l'argent, mais en plus il leur assure un jugement équitable et la possibilité de réintégrer leur poste de travail.

Joanna Grundzinska: "J'ai eu la chance de connaître des gens qui ont participé au mouvement, qui lui ont donné vie. J'aurais pu faire un livre ou une fiction, mais j'ai préféré faire revivre ce moment à travers les mots et les gestes de l'époque. Le but du film est de montrer les conditions de la création du mouvement à la suite des manifestations ouvrières notamment à Ursus et Radom qui ont été durement réprimées.? Il s'agit aussi de montrer que la naissance du premier syndicat libre Solidarnosci s'est faite grâce à un long travail de résistance, d'opposition et de propagande clandestine en amont.

Des intellectuels, des ouvriers, des gens de tout milieu se sont retrouvés dans une activité clandestine, dans un mouvement consensuel que n'avaient pas connu les précédentes manifestations de 1968 et 1970. Le KOR a développé une éthique bien à lui, le "christianisme sans dieu, une notion spécifique à l'époque qui reprend les valeurs de travail, de solidarité, mais sans l'aspect moralisateur. Les valeurs qui prévalent aujourd'hui sont celles du capitalisme, de l'argent, de la consommation. Ce n'est pas propre à la Pologne, c'est valable partout. Je suis aussi tout à fait consciente d'être moi-même dans cette mouvance. Je ne dis pas que c'est mal, je suis simplement critique. Je suis critique vis-à-vis de beaucoup de choses. Et je regrette peut-être l'absence de consensus aujourd'hui et la perte de cette notion d'héritage et de transmission".

Joanna est bien consciente que le résultat ne correspond pas vraiment aux normes télévisuelles actuelles ni au message véhiculé par la Pologne, et qu'en refusant d'utiliser la martyrologie, elle va plutôt à l'encontre de la tendance avec laquelle le pays fait généralement référence à son passé. Mais elle se réjouit de la liberté qu'elle a eu pour réaliser ce film. Le film s'est construit de lui-même, autour des trois personnages centraux: Henryk, Janek et Joanna. "Ils m'ont beaucoup transmis. C'est grâce à eux que ce film a pu naître sous cette forme. Je me suis rendue compte au fur et à mesure du film à quel point c'est difficile de transmettre".

Le film a été produit en Belgique par Derives Production, la société des frères Dardenne, et en Pologne par Camera Obscura. Pourquoi ont-ils choisi de produire ce film?

Jean-Pierre Dardenne : J'ai découvert une cinéaste très investie dans

son projet et j'ai été séduit par les trois protagonistes. Avant ce film, ma vision de la Pologne était: le ghetto de Varsovie, Wajda, Gombrowski... Même si la Pologne n'est pas à côté de la Belgique, elle a en est très proche, notamment en raison du nombre d'émigrés polonais. D'ailleurs, ce n'est pas notre premier film qui traite de la Pologne. Nous avons réalisé avec mon frère une série de 5 courts-métrages qui retracent les expériences d'émigration de cinq personnes au profil différent.

Alexandre Dayet, Joanna Grundzinska et Jean-Pierre Dardenne lors de la projection en avant-première du film (Photo: Wallonie-Bruxelles)

Alexandre Dayet : La coopération s'est faite naturellement. La production était d'abord belge avec Derives. Puis il a fallu trouver d'autres fonds pour mener le projet en Pologne. Ce film traite de l'histoire de la Pologne sous un angle très particulier lié à l'histoire personnelle de Joanna. En ce qui me concerne, je suis arrivé en Pologne il y a 15 ans, par intérêt personnel pour ce pays. Je m'intéressais à la politique de solidarité, à la langue, au côté "exotique"du pays, au sens de lointain. C'est pour cela que je me suis installé ici.

Destiné à la télévision, le film, dont la télévision publique belge RTBF est partenaire, cherche des distributeurs en Pologne. "Nous espérons aussi qu'il sera diffusé lors des festivals de films documentaires qui sont nombreux en Pologne" conclut Joanna.

Laurence Drier de Laforte. (www.lepetitjournal.com - Varsovie) vendredi 4 décembre 2009