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Chronique linguistique : Ciel, un dragon dans ma salade !

Que se cache-t-il derrière le basilic, la scarole ou encore le dragoncello ? Ouvrir un dictionnaire pour en savoir plus avant de manger, a de quoi rendre notre assiette (française ou italienne) plus goûteuse… Voici certains exemples à l’appui !

tranche de pain avec burrata tomates basilictranche de pain avec burrata tomates basilic
Photo de Marie Dehayes sur Unsplash
Écrit par Françoise Danflous
Publié le 22 novembre 2023, mis à jour le 29 décembre 2023

Une salade verte, bof et re-bof. Au regard d'autres assiettées de grand-mère ou de tables étoilées, cinq, six feuilles en bataille, avouons-le, c'est ennuyeux. Pourtant, une simple scarole, scarola disent les Italiens, pourrait tempérer notre mépris. Elle dérive d'un escarius latin signifiant comestible. Là, rien d'affriolant ni de bien méchant. Sauf que ce mot s'inspire lui-même d'un certain esca voulant dire nourriture puis, plus précisément, plus sournoisement, appât. C'est cette esca qui est remontée telle quelle jusqu'à l'italien, désignant le ver de terre des pêcheurs employé à faire mordre le poisson ou la chèvre attachée à son piquet pour appeler le loup du bois. Des appâts dans nos saladiers ? Mais quelle créature devrait donc tomber dans les filets ? Puceron ? Moucheron ? Limaçon ? Diable que non, la salade a de grandes aspirations !

Une branche d'estragon sur la salade la relève d'un subtil goût d'anis. Pourtant, un détour par l'italien retiendrait peut-être notre main. Car estragon se dit dragoncello et signifie, maintenant notre oreille l'entend mieux, petit dragon. Oh mais nous l'avons nous aussi ce gros reptile venu d'autres temps, même s'il reste caché derrière ses deux extrêmes, son nom populaire d'herbe dragon et le très scientifique Artemisia dracunculus de sa famille botanique. L'animal est débusqué, soit. Le rapport entre une plante aromatique et une créature mythologique ? En vertu d'une ancienne, contestée mais plaisante « théorie des signatures », l'apparence des végétaux instruirait sur leur fonction et parfois sur leur nom. Les cerneaux de noix, par exemple, rappellent un cerveau et ils auraient, selon ce principe, des effets bénéfiques sur la mémoire ; une carotte coupée en deux montre dans sa tranche le dessin d'un œil, signe que sa consommation améliorerait la vue. Ici, tout se jouerait sur le même renvoi : les racines de l'estragon entremêlées en serpentine rappellent un dragonnet et elles guériraient les morsures des serpents. Une once de magie au bout de nos fourchettes ? Eh bien voilà : tout n'est pas à mettre au panier de la monotonie !

Le dragon n'est pas le seul clandestin des salades. Gare à nous l'été si nous avons pris goût au basilic, basilico, si prisé de la cuisine italienne, qu'il orne une insalata caprese (tomates, mozzarelle, basilic) ou s'incarne dans le célébrissime pesto. Prudence prudence, car deux mots couvent sous un seul : le basilic est à la fois une herbe aromatique et un reptile, encore un, arrivé de terres lointaines. Comme souvent, l'explication revient par l'étymologie : la plante descend d'un basilikon grec voulant dire « plante royale » et l'animal d'un basiliskos grec, proprement « petit roi ». Le roi des serpents, en effet, c'est le surnom qu'on lui donne parce qu'il porte sur la tête une image ressemblant fort à une couronne. Certaines langues comme l'italien ont cependant gardé deux mots distincts, sage précaution, la plante basilico, le serpent basilisco. Quel que soit pourtant le mot qui les désigne, un même sang bleu court dans leurs gènes étymologiques et les rendent, tous deux, extraordinaires. De vieilles croyances encouragent d'ailleurs à porter sur soi un brin de basilic pour conjurer les mauvaises choses alors que l'animal aurait la faculté de pétrifier proies, agresseurs et importuns d'un seul regard. Bon, bien sûr, il vaudrait mieux ne pas se tromper de basilic !

 

 

Basilic : deux mots couvent sous un seul

La salade sait s'agrémenter d'une faune plus familière. C'est le printemps, on ajoute un brin de pissenlit pour faire champêtre ? Le pissenlit (de «pisse-en-lit» et piscialletto, c'est clair, pour ses bontés diurétiques), c'est le fait du lion. Écoutons l'italien : pour lui, couramment, c'est plutôt dente di leone selon son appellation savante taraxacum dens leonis, inspirée des contours dentelés de ses feuilles. La dent de lion nous l'avons mais moins souvent. Le pissenlit, donc, a très bonne presse, de nombreux bienfaits l'accompagnent dont un, énigmatique et ludique. Un indice ? Les Italiens le nomment également soffione, qui veut dire soufflet. Ah oui, souffler sur ses aigrettes en formulant un vœu, les enfants le font partout depuis toujours. Et c'est avec le même geste que la dame dessinée sur les Larousse "sème à tout vent" tous les mots de ses livres !

Ouvrir un dictionnaire pour en savoir plus avant de manger une salade. Un peu lourdingue ? Cela dissiperait le cliché de nourriture tartignolle qui l'afflige et montrerait qu'elle sait gronder, siffler et même rugir. Notre assiette n'en deviendrait-elle pas plus goûteuse ?

 

 

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