Traduire, c’est trahir, dit le proverbe. Heureusement, certains termes espagnols échappent à toute traduction. Ces perles linguistiques emportent avec elles un bout d'âme, un morceau d’Espagne. Parce que parfois, un simple mot suffit à résumer tout un monde. Inventaire.
Madrugar : se lever tôt, mais pas que
Demain, vous vous levez à 5 heures du matin. Vous lancez un désinvolte mais sonore : “Je vais madrugar.” Plus que l’aiguille de votre réveil, l’expression désigne un acte de bravoure assumé. Et disons-le : elle n’est pas exempte d’une pointe de fierté, voire d’une once d'arrogance. Vous appartenez à l’Espagne qui se lève tôt, vous ! Alors que les oiseaux dorment encore et que vos voisins flemmardent sous la couette, vous vous apprêtez à affronter l’aube comme un guerrier part au front. Cet héroïsme (très) matinal méritait bien son verbe.
Enmadrarse, l'Œdipe à la sauce espagnole
Il existe des pépites idiomatiques dans toutes les langues. Le verbe enmadrarse en est une en espagnol. Il décrit l’attachement - un peu, beaucoup, passionnément, à la folie - excessif d’un enfant envers sa mère. C’est le bambin qui ne quitte pas maman d’une semelle, quoi qu'il arrive. “Depuis que son père est parti, il s’est enmadrado : sa ‘mamá’ est devenue l’alpha et l’oméga de sa vie”. Enmadrarse montre à quel point la relation mère-enfant est sacrée... et parfois très envahissante. Oedipe, quand tu nous tiens !
Sobremesa : le plaisir des repas qui s’éternisent
En Espagne, un repas ne se conclut jamais avec la dernière bouchée. Souvent, après le déjeuner dominical, on reste des heures à table, à refaire le monde, à rigoler et à débattre de tout et de rien ! Ce temps suspendu, cette parenthèse légère, qu'accompagnent les volutes des cigares ou les arômes des chupitos, a un nom : la sobremesa. Ce moment de digestion convivial et partagé est intraduisible en français. Et c’est sans doute pour cela qu’il est l’un des charmes de la vie espagnole !
El duende, ou la magie de l’instant
“Un pouvoir mystérieux que tout le monde sent, mais qu’aucun philosophe n’explique”. C’est ainsi que le poète Federico García Lorca décrit le duende lors d’une conférence en 1930. Ce mot espagnol, impossible à traduire en français, est intimement lié à sa terre, l’Andalousie. Le duende, c’est ce “charme mystérieux et indicible” qui, lorsqu’il se manifeste, transforme un moment en quelque chose de vibrant et d’unique. C’est cet instant de grâce qui vous prend aux tripes et vous donne la chair de poule. Bien sûr, on l’associe au flamenco - quand la musique et la danse touchent au sublime -, mais le mot ne se limite pas à ça. Cette émotion brute nous plonge dans les racines profondes de l’Espagne. Le duende, c’est l’âme à nu, sans fard, qui s’invite à la fête.
Chapuza : l’art espagnol… de l’à-peu-près
Bravo, vous êtes enfin propriétaire de votre maison de rêve en Espagne ! Mais ne vous emballez pas trop vite… Place maintenant aux rénovations, et à leur cortège de désillusions. Le maître d’œuvre, comment dire… ne met pas beaucoup de cœur à l’ouvrage. Il essaie de vous rassurer, mais devant l’état de votre plafond – plus proche des grottes de Lascaux que de la chapelle Sixtine – le mot vous échappe : c’est de la chapuza !
En français, vous pourriez tout aussi bien dire du “travail de cochon” ou “de sagouin”, mais aucune de ces expressions ne parviendrait à saisir l’attitude décontractée et presque satisfaite de l’ouvrier. Car oui, au risque de vous surprendre, il y a tout un art de la chapuza : devant une peinture qui dégouline ou une étagère qui menace de s’effondrer à la moindre secousse, votre artisan bricole quelque chose et s'exclame, le sourire aux lèvres et la fierté sur le visage : “Ça devrait faire l’affaire… enfin, pour l’instant !”
Desvelar, ou l’insomnie en un mot
Parfois, Morphée nous snobe royalement et on se retrouve à fixer le plafond pendant des heures, en attente d’un sommeil qui ne vient pas. C’est là que desvelar entre en scène. Ce petit verbe espagnol qui n’a l’air de rien résume cette sensation agaçante de ne pas réussir à dormir, souvent à cause d’un élément extérieur qui vient ruiner votre nuit. Desvelar, c’est la frustration cristallisée en un mot : “Si je bois du café le soir, je me desvelo”. Une petite gorgée d’expresso à 20h, et hop !, vous voilà réduit à compter les moutons jusqu’à l’aube, incapable de fermer l’œil, alors que vous vouliez simplement passer une nuit tranquille.
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Chapuzón : un petit plongeon pour l'homme, un grand rafraîchissement pour l'été
C'est l'été, il fait chaud, et vous êtes littéralement en train de fondre comme un loukoum. Coup de chance, votre ami vous invite dans sa villa avec piscine. Vous n’y tenez plus : en un éclair, vous plongez ! Ce petit plouf dans l’eau s’appelle le chapuzón. En français, on pourrait dire “se baigner”, mais soyons honnêtes, le verbe manque singulièrement de punch et d’énergie. Chapuzón, c’est le bain express, celui qu’on prend sans réfléchir, juste pour éviter de finir en flaque de sueur après une journée de marche sous un soleil de plomb. C’est le plongeon de survie, rapide, rafraîchissant, et surtout, ultra-réconfortant.
Trasnochar : la nuit blanche version Espagne
Les noctambules espagnols ont un verbe taillé sur mesure pour leurs nuits trop courtes : trasnochar. “Après la soirée d’hier, j’ai trasnochado et aujourd’hui, je ressemble à un zombie”, ai-je entendu récemment dans le métro de Madrid, de la part d’un adolescent cerné. Mais attention aux contresens ! Cette expression ne veut pas dire qu’il n’a pas dormi du tout, bien plutôt qu’il a veillé jusqu’à une heure tardive, pour faire la fête ou préparer son bachillerato (oui, je sais, je suis naïf). Traduction : j’ai dormi trois heures, mais c’était pour la bonne cause. Trasnochar, c’est un art de vivre que les Espagnols maîtrisent à la perfection, un peu comme un super pouvoir qui leur permettrait de survivre avec deux heures de sommeil, sans jamais perdre le sourire.
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Consuegro et consuegra : la belle-famille a aussi droit à son mot !
En espagnol, il y a un mot pour tout, même pour désigner les parents de votre gendre ou belle-fille. Oui, oui, consuegro et consuegra servent à cela ! En français ? On se complique la vie avec un fastidieux “père du gendre” ou “mère de la belle-fille”. Franchement, qui a le temps pour ces périphrases ? Avec consuegro et consuegra, les Espagnols nous rappellent que pour eux, la famille, c’est du sérieux, et pas seulement celle du noyau dur, non, tout le monde a une place et un nom bien définis !
Morbo, ou l’irrésistible tentation de l’interdit
Voilà un mot qui n’a pas d'équivalent direct dans notre langue. Le terme morbo évoque cette fascination étrange pour l'interdit, l’immoral, ou tout ce qui flirte avec les limites du décent et du convenable. En français, on pourrait parler de curiosité morbide ou malsaine, mais ce ne serait pas rendre justice à cette touche séduisante, presque irrésistible, qu’implique le mot. Cette petite voix intérieure qui vous souffle de regarder, même quand vous savez pertinemment que vous ne devriez pas. Par exemple : “Cette série a beaucoup de morbo, elle traite de sujets tabous et controversés”. Autrement dit, vous ne pouvez pas vous empêcher de continuer à la regarder, même si c'est carrément gênant... et c’est bien pour cela que vous adorez !
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Estrenar : la magie de la première fois
C’est la période des soldes, et vous avez fait un carnage dans les boutiques. Vient le moment tant attendu : porter vos vêtements pour la première fois. Ce t-shirt, là, qui vous sied tant. Vous vous admirez dans le miroir, guettant d’un œil l’approbation de votre conjoint. Que ce soit pour enfiler une nouvelle tenue ou présenter une pièce de théâtre, estrenar exprime à merveille cette excitation de la nouveauté. La magie d’un instant volé, et qui par définition ne reviendra plus.
Bon, d’accord, le verbe a son équivalent en français : étrenner. Mais avouez qu’il s’emploie moins, en tout cas dans ce sens courant. Avec estrenar, tout prend une autre allure : “Demain, je vais estrenar mes nouvelles chaussures”. C’est comme si vous fouliez le tapis rouge de Cannes sous les flashs des paparazzis, même si en réalité, vous descendez juste acheter du pain. Ce mot rend chaque première fois un peu plus spéciale, et transforme une chose banale en petit événement du quotidien.