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FOMO : la génération Z espagnole face à la tyrannie de la vie idéale

La FOMO (“fear of missing out”), cette angoisse de passer à côté de quelque chose, est devenue le mal du siècle pour la génération Z. Entre réseaux sociaux, pression de vivre des expériences parfaites et peur de ne pas être à la hauteur, cette crainte envahit le quotidien de millions de jeunes. Une course effrénée pour être "partout à la fois" qui, loin d’être anecdotique, impacte sérieusement leur santé mentale. Et si ce phénomène est mondial, il prend en Espagne une tournure particulièrement marquée. Décryptage.

des jeunes filles et garçons de la generation z en espagne assis devant une bibliothequedes jeunes filles et garçons de la generation z en espagne assis devant une bibliotheque
Cottonbro studio, Pexels.
Écrit par Juliette Brunel
Publié le 3 avril 2025, mis à jour le 5 avril 2025

Vous avez déjà ressenti cette angoisse diffuse en scrollant sur Instagram, cette sensation que pendant que vous êtes chez vous, d’autres vivent des moments inoubliables ? Ce sentiment a un nom : la FOMO, pour Fear of Missing Out, ou la peur de manquer quelque chose. Ce phénomène, loin d’être une impression passagère, est une forme d’anxiété sociale qui touche particulièrement la génération Z, ultra-connectée et en quête perpétuelle d’expériences "à ne pas rater". Apparu dans les années 2000, théorisé en 2004 par Patrick J. McGinnis, le concept s’est enraciné avec l’explosion des réseaux sociaux. 

En 2013, une étude menée par Andrew Przybylski, chercheur à l’Université d’Oxford, a mis en évidence que la FOMO est fortement corrélée au mécontentement général et qu’elle affecte particulièrement les jeunes hommes. Aujourd’hui, cette peur ne se limite plus aux sorties entre amis ou aux festivals : elle s’infiltre dans tous les aspects de la vie, du choix des études à la carrière professionnelle, en passant par les relations amoureuses et les voyages.


Vivre à fond ou sombrer : l’Espagne face à l’angoisse FOMO

En Espagne, la FOMO prend une dimension encore plus marquée. La culture du partage et des interactions sociales y est forte, et les réseaux sociaux y occupent une place prépondérante dans le quotidien des jeunes. 

D’après une étude relayée par Cadena SER, les Espagnols passeraient en moyenne six heures par jour sur leur téléphone, et les membres de la génération Z dépasseraient les sept heures, dont près de quatre sur les réseaux sociaux. Une hyperconnexion qui alimente le sentiment de comparaison permanente, et renforce cette angoisse de passer à côté de moments exceptionnels.

 

 

 

 

Stress et anxiété : les Espagnols au bord de la crise de nerf

 

 

 


 

Toujours plus, toujours mieux : la pression d’un quotidien exceptionnel

L’un des contextes où la FOMO est la plus présente en Espagne, c’est dans le cadre du programme Erasmus. L’Espagne est l’une des principales destinations d’échange universitaire en Europe, et la pression sociale y est immense : sortir tous les soirs, rencontrer un maximum de personnes, collectionner des souvenirs à poster sur Instagram tous les jours. La peur de rater une soirée mémorable ou une expérience qui "fait partie du package Erasmus" est omniprésente. 

 

 

 

 

Erasmus en Espagne : l’aventure inoubliable

 

 

 

Mais ce phénomène ne concerne pas que les étudiants internationaux : les jeunes Espagnols eux-mêmes sont pris dans cette spirale de la mobilité et du voyage constant. La montée en flèche du workation (travailler tout en voyageant), la popularité du télétravail et l’essor des influenceurs "digital nomads" nous poussent à croire qu’un quotidien sédentaire est synonyme d’échec. Résultat ? Une angoisse de ne jamais en faire assez, d’être toujours "en retard" sur les expériences qu’il faudrait avoir vécues à 25 ans.

 

 

 



 

La FOMO épuise une jeunesse espagnole déjà à bout

Cette course effrénée contre l’ennui a un prix : la santé mentale des jeunes Espagnols est plus fragile que jamais. Selon le baromètre de l'opinion de l'enfance et de l'adolescence 2023-2024, publié par UNICEF Espagne et l'Université de Séville, 41,1 % des adolescents espagnols âgés de 13 à 18 ans déclarent avoir eu ou penser avoir eu un problème de santé mentale au cours des douze derniers mois. Mais fait encore plus alarmant : plus de la moitié (51,4 %) n’a pas cherché d’aide, souvent par crainte de la stigmatisation !

 

 

 

jeune femme espagnole epuisée et deprimee
Ron Lach, Pexels.  / La jeunesse espagnole traverse une crise silencieuse, marquée par une hausse inquiétante des troubles dépressifs.

 

 

 

L’anxiété et la dépression explosent chez les 18-25 ans, en partie à cause de cette pression sociale constante. La FOMO crée un sentiment de vide, une peur de l’isolement et une difficulté à apprécier l’instant présent. Pire, elle s’accompagne souvent d’une FOBO ("Fear of a Better Option"), cette peur de faire un mauvais choix et de passer à côté d’une meilleure opportunité, rendant chaque décision encore plus angoissante.


 

 


 

L’Espagne face au mal-être de sa génération Z

Face à cette détresse, des initiatives commencent à émerger en Espagne. Par exemple, à Palma de Majorque, la Conselleria de Salut a lancé le Programme de Suport a la Xarxa d'Inclusió Social, visant à améliorer la coordination entre les services de santé mentale et les structures d'inclusion sociale, en particulier pour les jeunes confrontés à des problèmes graves de santé mentale.

Par ailleurs, le système de santé public espagnol tout entier met progressivement en place des cellules de soutien psychologique accessibles via les centres de soins primaires. Enfin, sur les réseaux sociaux, de plus en plus d’influenceurs dédiés à la slow life et au bien-être mental tentent de contrebalancer cette culture de l’instantané et de la performance sociale.

Mais le chemin est encore long. Si pour certains la FOMO est une source de motivation pour se dépasser et avancer sans se poser de limites, pour la grande majorité, elle agit comme un frein. Elle emplit d’anxiété et de peur les personnes concernées, les bloquant face à ce qu'ils devraient affronter sans trop de difficultés en temps normal.

 

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