Quelques mois plus tôt, nous avions rencontré Matthieu Pallud l’entrepreneur, aujourd’hui nous rencontrons Matthieu Pallud, vice-champion de France d’escrime.
Interview réalisée par Luther Beaumont et Maël Narpon.
Le jeune homme de 18 ans, possédant les qualités cumulées de 23ème épéiste français et d’étudiant à l’Imperial College, a partagé avec nous sa récente participation aux championnats de France d’épée dans les catégories M20 et U23. Pour les non-initiés, ces deux dernières sont respectivement réservées aux escrimeurs et escrimeuses âgés de moins de 20 ans et de moins de 23 ans. Le principal concerné faisant l’objet d’un surclassement, il a pu prendre part aux deux compétitions.
Matthieu Pallud, de Grenoble à Londres, en passant par Levallois
Ce natif de la bien nommée capitale des Alpes a fait ses débuts en escrime à l’âge de 6 ans dans un club local, celui de Grenoble Parmentier. Il s’envole en 2015 pour Londres, dans l’année de ses 13 ans, mais conserve une licence française d’escrime tout en rejoignant le club londonien de Leon Paul. Il défend par la suite les couleurs du club de Clichy pendant 2 ans, sous l’égide duquel il participe à sa première compétition nationale. Il décroche ainsi une 8ème place aux championnats de France -15 ans, destinés seulement aux personnes nées en 2002 cette année-là.
Dans son club, il a l’immense honneur de pouvoir côtoyer nulle autre que Laura Flessel, quintuple médaillée d’or olympique et ex-ministre des Sports. Matthieu nous avoue avoir eu la chance de s’entraîner sous sa tutelle quelques fois, avant sa nomination dans le gouvernement d’Edouard Philippe. « Elle nous donnait de bons conseils alors c’est dommage pour moi qu’elle ait dû quitter le club, mais ce n’est pas un problème qui arrive à tout le monde », ajoute-t-il avec un sourire. En effet, peu de personnes peuvent se targuer d’avoir été entraînées par une future ministre des Sports.
Poussé par une envie de s’investir pleinement dans l’aspect compétitif, Matthieu décide de poser ses valises de bretteur au club de Levallois, spécialisé dans la discipline de l’épée (en opposition au fleuret et au sabre), et réputé très prestigieux. Deux des quatre membres de l’équipe d’épée masculine olympique à Tokyo sont d’ailleurs issus de ce club, une proportion qui fut à de nombreuses reprises à hauteur de 100% lors de précédentes olympiades, ce qui en dit long sur sa renommée.
Une pratique de l’escrime partagée entre Londres et Levallois
Au cours de ses années de première et de terminale, Matthieu s’entraîne au club de Leon Paul tout en étant membre de celui de Levallois. Il bénéficie d’une organisation bien huilée afin de pouvoir participer aux compétitions avec le club francilien. « Je partais le jeudi après-midi à Paris (depuis Londres) pour rejoindre le club de Levallois et prendre le train avec eux le vendredi car on avait compétition tout le week-end. Le dimanche soir je reprenais n’importe quel transport pour rallier Londres et reprendre les cours le lundi matin », nous explique-t-il.
L’approche de l’escrime est différente des deux côtés de la Manche.
En s’entraînant dans deux pays différents tout au long de l’année, Matthieu s’imprègne de deux, voire trois différentes façons d’aborder l’escrime. A Londres, c’est sous l’œil avisé du maître d’armes Kenichi Yamamoto, d’origine japonaise, qu’il pratique l’escrime tout au long de l’année. A Levallois, il est entraîné par trois coaches différents en les personnes de Georges Karam, Vincent Appolaire et Antoine Philippe.
« L’approche de l’escrime est différente des deux côtés de la Manche, encore plus dans le cas présent car Kenichi est japonais, il s’appuie donc sur une autre approche que les Anglais. Je pense que c’est un réel avantage pour moi de pouvoir m’imprégner de ces deux escrimes là, c’est un sacré plus. L’escrime française est beaucoup plus académique, précise, tandis que les escrimes japonaises et anglaises permettent de donner libre cours à la créativité, de faire de plus grands mouvements. J’essaie de prendre le meilleur de ces deux écoles », détaille le jeune tireur.
Deux visions différentes qui l’ont porté tout au long des championnats de France M20 et U23, malgré une préparation perturbée par la pandémie. Après deux phases d’arrêt d’environ 6 mois chacune depuis mars 2020, la première le forçant à passer de « 12h d’entraînement par semaine à être confiné dans [sa] chambre », il a pu finalement remettre la main sur une épée le 20 mai dernier. A peine quelques semaines plus tard, il apprenait la tenue des championnats de France et sa sélection pour y prendre part.
Comment s’est-il préparé pour ces compétitions nationales ?
« J’ai dû chercher des solutions pour me maintenir en forme durant le second confinement, je courais 20km par semaine. Côté escrime pure, ça a été plus compliqué de retrouver mes marques au début après cette longue période d’interruption », avoue-t-il.
Un travail de fond qui n’a pas été inutile, selon lui. Une fois un rythme normal retrouvé, il a récupéré ses automatismes et s’est même essayé à d’autres sports en vue de sa préparation, tel le hockey sur glace. « Je fais vraiment des sports que personne ne pratique », ajoute-t-il en riant.
La suite de sa préparation a été pour le moins surprenante et pousserait probablement quelques entraîneurs à s’arracher les cheveux. L’annonce tardive de la tenue des championnats de France, prévus pour les 3 et 4 juillet en U23 et les 10 et 11 juillet en M20, n’a pas empêché Matthieu de s’en tenir à son plan initial pour l’été : partir en vacances à Toulon avec ses amis. Il a seulement mis ses vacances en pause pour les week-ends durant lesquelles les deux compétitions se sont tenues.
Tout ça m’a permis d’arriver sur la compétition beaucoup plus détendu qu’à l’accoutumée.
De son propre aveu, le championnat de France U23, auquel il ne participait qu’en individuel, n’était qu’un bonus et faisait partie de sa préparation pour la compétition M20, sa vraie catégorie. Malgré cette préparation décousue, il décroche une belle 22ème place au championnat de France des moins de 23 ans à Colmar, perdant contre un tireur de l’équipe de France et futur 3ème de la compétition, avant de s’en aller gaiement reprendre ses vacances à Toulon.
Pas question cependant de négliger sa préparation pour la catégorie M20 dans laquelle il concourait en individuel et en équipe. « J’ai effectué beaucoup de travail au niveau des déplacements pendant cette semaine de vacances. J’ai réussi à conserver un bon rythme de sommeil, même si mes amis sortaient le soir. Tout ça m’a permis d’arriver sur la compétition beaucoup plus détendu qu’à l’accoutumée », développe-t-il.
Un choix payant au vu des résultats obtenus
Les championnats de France d’épée M20 prenaient place à Dax, dans le département des Landes, et s’étalaient sur le week-end du 10 au 11 juillet. Un contrôle sanitaire avait bien sûr été mis en place, les participants ont dû effectuer des tests Covid la veille de la compétition et le jour même, mais un public local avait été autorisé malgré tout.
Le premier jour se tenait la compétition individuelle, réunissant 84 compétiteurs parmi les meilleurs de la catégorie M20. Ceux-ci ont été répartis en poules de 7 à 8 tireurs et informés de la composition des groupes la veille de la compétition. A l’issue de cette phase de poules, un système de têtes de série a été appliqué en fonction des résultats obtenus par les différents épéistes, permettant à tous les participants d’accéder à la phase d’élimination directe.
Matthieu ne laissa filer qu’un seul match durant la phase de poules. Il se fraye ensuite un chemin jusqu’en quarts de finale où il est défait par le futur vainqueur de l’épreuve, non sans démériter. Peu de regrets du côté du Grenoblois d’origine qui se classe 5ème du championnat. « Je suis très content du résultat, même s’il y a une petite déception de ne pas être allé chercher la médaille et de perdre aux portes des demi-finales. Je perds contre Sacha Pianfetti, celui qui a fini champion de France par la suite, donc il y a eu moins de regrets à ce niveau-là », commente-t-il.
Pas le temps d’avoir des regrets quoi qu’il en soit, le jeune épéiste s’est immédiatement tourné vers l’épreuve par équipe du lendemain, dans laquelle les ambitions sont encore plus élevés : la médaille d’or ou rien. S’il préfère le format individuel, Matthieu apprécie néanmoins d’évoluer en équipe : « C’est un format que j’adore car c’est une manière super différente d’aborder ce sport, on communique beaucoup plus, c’est vraiment chouette. »
Dans ce format, les trois tireurs de chaque équipe se relaient à tour de rôle et chacun d’eux doit affronter les trois épéistes de l’équipe adverse, pour un total de 9 matches. L’équipe déclarée victorieuse est soit celle atteignant le score de 45 (correspondant au nombre de touches), soit celle avec le score le plus élevé à la fin du temps imparti.
Trêve de suspense : l’équipe de Matthieu s’est faufilée sans accrocs jusqu’en finale, où la tension était à son comble, avec pour enjeu un titre de champions de France d’épée M20. Levallois domine globalement les débats et mène d’une courte avance tout au long de la partie jusqu’à 11 secondes de la fin. Coup de théâtre : l’équipe adverse parvient à refaire son retard de 3 touches à 80 centièmes de seconde de la fin du temps imparti. L’affrontement doit donc se régler à la « mort subite », le premier des deux bretteurs qui touche l’autre offre la victoire à son équipe. C’est dans ce final irrespirable que l’équipe de Levallois est finalement vaincue, décrochant « seulement » la seconde place.
Pour Matthieu, « cette déception est moins bien passée que [son] élimination en simple ». Il reste lucide cependant : « La mort subite, c’est à celui qui aura le plus de chance ou le plus de mental. Ça reste un beau match malgré tout, nous avons tout de suite réconforté Kendrick (Jean-Joseph, champion du monde en titre de la catégorie, ndlr) car le rôle de finisseur n’est pas évident. On est vite passé au fait que nous avions pris la médaille d’argent en affrontant des équipes qui sur le papier devaient nous êtres supérieures. On est tout de même très content du résultat », ajoute-t-il, plein de philosophie et de maturité.
Des ambitions internationales pour le futur
Loin de s’apitoyer donc, Matthieu Pallud affichent de grands objectifs pour la saison prochaine. Le vice-champion de France aspire « à partir en coupe du monde ainsi qu’en sélection avec l’équipe de France ». En escrime, une coupe du monde se compose de différents circuits internationaux qui permettent d’accéder à un classement mondial.
Il nous explique qu’un tel classement ouvre les portes des championnats du monde pour lesquels ils deviendraient alors sélectionnables par la Fédération Française d’Escrime, faisant ainsi de l’accession à ce classement son but numéro un.
Le Grenoblois n’a décidément pas froid aux yeux et n’a pas peur de viser toujours plus haut. Il reste néanmoins conscient du chemin à parcourir et des objectifs à court terme qu’il doit se fixer : « Dans l’immédiat, mon but va être de faire un podium sur un circuit national, car c’est principalement ce qui ouvre les portes d’accès aux coupes du monde où il faudra faire de bons résultats pour être à nouveau sélectionné pour les suivantes. Et éventuellement réussir à accéder aux championnats d’Europe par la suite, ainsi qu’aux championnats du monde, même si les coupes du monde restent la priorité. »