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Des centres extraterritoriaux pour les réfugiés arrivés par voie illégale ?

Priti Patel au G6 2021, elle souritPriti Patel au G6 2021, elle sourit
Priti Patel - Flickr
Écrit par Marie Benhalassa-Bury
Publié le 1 juillet 2021, mis à jour le 1 juillet 2021

Le nouveau plan pour l’immigration proposé par Priti Patel entend durcir les lois migratoires, notamment en ce qui concerne le droit à l’asile à l’arrivée sur le territoire. Dans ce cadre, elle entend mettre en place des centres pour les demandeurs d’asile, sortes de camps implantés dans d’autres pays d’Europe ou même d’Afrique.

 

Soumettre les demandeurs d’asile à des conditions bien plus strictes, tel est le projet politique porté par la secrétaire d’Etat à l’Intérieur, laquelle est sous les feux de la rampe du fait des convictions qu’elle y assume. Les immigrants arrivés illégalement sur le territoire britannique seraient, selon la loi envisagée par Priti Patel, renvoyés vers des centres extraterritoriaux le temps de traiter leur situation.

La loi pour la nationalité et les frontières : Une volonté affichée de renvoyer les réfugiés illégaux hors du Royaume-Uni

Le projet est le suivant : les immigrants qui entrent au Royaume-Uni via des moyens dits « illégaux » pour ensuite demander l’asile n’auraient plus les mêmes droits qu’auparavant et seraient accompagnés dans des centres « au large », en Europe voire en Afrique. Ils se verraient donc refuser systématiquement l’accueil en raison de cette non-conventionalité de leur déplacement. Cette « loi pour la nationalité et les frontières » ne découle pas d’une initiative nouvelle, mais était suggérée par certains décisionnaires du ministère de l’intérieur depuis des décennies. L’idée était débattue à l’échelle européenne sans jamais qu’un consensus n’émerge.

La proposition étant jugée « inhumaine » par ses détracteurs, la fervente admiratrice de Margaret Thatcher se défend en tentant d’expliquer qu’elle souhaite « protéger les plus vulnérables » des « gangs organisés » que constituent les réseaux de passeurs. « Ce nouveau plan éradiquera ces organisations criminelles. Les passeurs se fichent des vies qu’ils mettent en danger », a-t-elle affirmé sur Twitter. Ce à quoi nombre d’internautes, dont l’activiste Femi Oluwole, se sont empressés de lui rétorquer qu’elle ne s’en préoccupait guère plus puisque, si tel était le cas, elle créerait des voies de transports pour que les migrants puissent demander l’asile en toute sécurité et légalité.

Une opposition ferme d’une multitude d’acteurs

 

Montage du tweet de Priti Patel et de commentaires d'autres utilisateurs lui répondant
  • « Si VOUS aviez de la compassion pour leurs vies, pourquoi ne vous concentrez-vous pas sur la création de routes sécuritaires pour que les réfugiés puissent venir ici, au lieu d’envoyer quiconque réussit ce trajet dans des camps au large ? »
  • « Dans ce cas, créez des routes sans risques pour les demandeurs d’asile. »
  • « Peut-on aussi ajouter quelques clauses à la loi pour se débarrasser des criminels au sein du gouvernement aussi, s’il vous plaît ? »
     

Ces injonctions sur les réseaux sociaux trouvent racine dans le fait que Priti Patel avait elle-même reconnu en mai dernier que de telles “routes sans risques” n’existent pas encore. Accusée de violer la convention de Genève au travers de cette “loi pour la nationalité et les frontières”, elle avait donc admis devoir travailler à leur mise en place pour les départs en provenance de pays en guerre. Aussi, le gouvernement britannique avait déjà été épinglé en avril dernier pour son annonce de reprise des procédures d’expulsion des réfugiés auxquels l’asile n’a pas été accordé. Une décision décriée pour son manque de considération du contexte sanitaire.

Le " Joint Council for the Welfare of Immigrants ", une charité indépendante qui se positionne et lutte contre ce type de projets depuis 1967, a lui aussi réagi, demandant « Quand Priti Patel arrêtera-t-elle de jouer au football politique avec la vie des gens ? » , rappelant dans le même temps que ces camps sont généralement des lieux de négligence totale, et qu’il n’existe aucune garantie du bien-être des réfugiés en leur sein.

D’autres organismes et avocats ont épinglé un risque extrême de « traumatisme » pour les concernés. Le parti travailliste, quant à lui, a annoncé faire front à cette initiative.

Une secrétaire qui ne se laisse pas impressionner et entend bien mener ce projet targué d’« inhumain »

La loi en question devrait être introduite la semaine prochaine. La secrétaire est déjà en pourparlers avec le Danemark, en plein durcissement de sa politique migratoire lui aussi, afin de partager l’un de ces camps en Afrique. Mette Frederiksen, la première ministre scandinave, indiquait déjà converser à ce propos avec certains pays, très possiblement le Rwanda. Or, ce pays accueille d’ores et déjà presque autant de réfugiés que le Royaume-Uni, pour une population approximativement 5 fois moins importante. Les pays d’Europe, notamment la France, n’ont trouvé aucun accord avec l’archipel pour établir un tel camp sur leurs territoires.

Priti Patel n’entend pas donner raison à ses détracteurs, qu’ils soient humanitaires ou juristes. Elle continue d’affirmer que ses discussions avec les pays européens demeurent d’actualité, sans pour autant citer un seul pays potentiellement désireux de s’allier avec le Royaume-Uni sur cette initiative.

Pourtant, certains membres de cette opposition comme le susmentionné « Joint Council for the Welfare of Migrants » s’inscrivent dans une logique de protection du droit des réfugiés, et ce de manière historique. L’œuvre avait en effet beaucoup agi dans ce sens, y compris pour l’accueil et la protection des migrants en provenance d’Ouganda dans les années 70… à savoir, un combat pour des acquis sociaux précieux, ceux-là même ayant permis aux parents de la ministre d’émigrer dans l’archipel.

Elle avait été confrontée à ce sujet par le journaliste Nick Ferrari, en 2020, la sommant de reconnaître qu’avec de telles mesures à cette époque, « elle ne serait pas là aujourd’hui ». Elle avait alors rétorqué « Certes, mais il faut rappeler que nous n’entendons pas changer notre approche aux réfugiés et aux demandeurs d’asile, il s’agirait là d’une toute autre question ». Une phrase qui, une pandémie plus tard, n’a pas vraiment bien vieilli.