La série Toxic Town, disponible sur Netflix depuis le 27 février, retrace en quatre épisodes l’un des plus grands scandales environnementaux et sanitaires du Royaume-Uni : l'empoisonnement de la ville de Corby dans les années 1980 et 1990. Elle met en lumière le combat acharné et bouleversant de trois mères de famille dont les enfants sont nés avec des malformations congénitales causées par la mauvaise gestion des déchets toxiques d’une usine sidérurgique désaffectée. Face à l’accablante responsabilité du conseil municipal de Corby dans cette tragédie, elles ont lutté pour obtenir justice et reconnaissance.


Corby, une ville britannique marquée par son passé industriel et sidérurgique
Dans la seconde moitié du XXe siècle, l’industrie sidérurgique connaît un essor fulgurant à Corby, dans le Northamptonshire, au cœur de l’Angleterre. La construction de l'aciérie Stewarts & Lloyds, dans les années 1930, fait de la ville un des plus grands centres sidérurgiques d’Europe.
Cependant, en 1981, l’usine ferme brutalement ses portes par souci de rentabilité de ses propriétaires. Si le chômage devient alors la principale préoccupation des habitants et des élus locaux, une autre menace, bien plus insidieuse, plane sur la ville : les déchets industriels et toxiques accumulés durant des décennies sur le site de l’aciérie.
L’empoisonnement catastrophique de Corby dans les années 1980 et 1990
Dans les années 1980 et 1990, le conseil municipal de Corby entreprend la démolition et le réaménagement du site sidérurgique, abandonné et fortement pollué. De nombreux chômeurs et anciens ouvriers sont ainsi embauchés pour déplacer ces déchets jusqu’à une carrière au nord du site.
En revanche, sans aucune précaution et expertise en matière de déchets toxiques, les opérations se déroulent en dehors de tout respect des normes environnementales et sanitaires. Chaque jour, jusqu’à 200 transports de déchets ont lieu, libérant d’énormes quantités de poussières chargées de métaux lourds dans l’air et déposant des résidus toxiques le long des routes. Au fil des années, les habitants de Corby, y compris les femmes enceintes, inhalent ces particules nocives.
C’est dans ce contexte que l’on observe une augmentation alarmante des malformations congénitales : le taux de bébés nés avec des anomalies à Corby est dix fois supérieur à la moyenne nationale.

Toxic Town : le combat de mères éprouvées, mis en lumière par Netflix
Réalisée et écrite par Jack Thorne, Toxic Town est rapidement devenue la deuxième série la plus visionnée sur Netflix au Royaume-Uni. Elle débute dans les années 1990 avec les naissances de Shelby Ann, décédée tragiquement quatre jours après sa naissance en raison d’une malformation cardiaque, de Connor, né avec une main atrophiée, et d’un autre enfant souffrant d’un pied bot. Leurs mères, Tracey Taylor, Susan McIntyre et Maggie Mahon, respectivement jouées par Aimee Lou Wood, Jodie Whittaker et Claudia Jessie, se retrouvent démunies face à la souffrance de leurs enfants et l’absence de réponses.
Le rôle clé de la presse et l’enquête de Graham Hind et Stephen Bevan
Leur combat prend une ampleur nationale en 1999 grâce à la publication d’une enquête dans le Sunday Times, coécrite par les journalistes Graham Hind et Stephen Bevan. Ils y révèlent que les terrains de l’ancienne usine de Corby contiennent des niveaux alarmants d’arsenic, de zinc, de bore et de nickel, dépassant largement les normes autorisées, et ce même après la prétendue “décontamination” menée par le conseil municipal, et incluent également les témoignages de Tracey Taylor, Susan McIntyre et Maggie Mahon.
Une longue bataille judiciaire menée par Des Collins et les familles de Corby
L’avocat Des Collins, incarné par Rory Kinnear, s’engage aux côtés de ces mères de famille pour porter leur affaire devant la justice. Dix-neuf familles rejoignent finalement le recours collectif, visant à établir la responsabilité du conseil municipal dans la contamination de la ville. Avec le soutien d’autres lanceurs d’alerte, incarnés dans la série par le personnage fictif de Ted Jenkins (Stephen McMillan), la vérité éclate : la municipalité a sciemment ignoré les réglementations environnementales.
En 2005, une trentaine de mères témoignent devant la Haute Cour de Londres, ainsi que l’expert environnemental Roger Braithwaite, qui, dans un rapport, qualifie la situation de “négligence environnementale à grande échelle”.
En 2009, après dix ans de procédure, la justice condamne le conseil municipal de Corby pour sa négligence dans la gestion des déchets industriels toxiques des anciens sites sidérurgiques de la ville. La série illustre cette responsabilité à travers le personnage fictif de Roy Thomas (Brendan Coyle), qui cherche à maintenir la compétitivité économique de la ville au détriment de la santé des habitants.
En 2010, les familles obtiennent 14,6 millions de livres sterling pour couvrir les frais médicaux des victimes. Toutefois, l’avocat des plaignants souligne qu’aucune somme ne pourra jamais “compenser correctement les malformations et les handicaps dont les enfants touchés souffriront tout au long de leur vie”.

L’empoisonnement de la ville de Corby : un combat historique
Susan McIntyre, Tracey Taylor et Maggie Mahon, ont mené un combat historique. Dans une interview accordée à Tudum by Netflix, Susan McIntyre se souvient : “Je croisais à l’hôpital beaucoup d’autres femmes qui attendaient un enfant, et certaines d’entre elles accouchaient de bébés avec des malformations au niveau des membres. Quatre mois plus tard, j’accouchais d’un bébé qui souffrait exactement de la même chose. J’ai trouvé cela étrange”. À l’origine du mouvement, elle confie : “Tout ce que nous voulions savoir, c’était : ‘Pourquoi ? Pourquoi cela nous est-il arrivé ? Comment pouvons-nous empêcher que cela n’arrive à quelqu’un d’autre ?’” Tracey Taylor conclut : “Nous devions prouver que nous étions des femmes fortes et indépendantes, et que nous n’accepterions pas leurs mensonges.”
“Tout ce que nous voulions savoir, c’était : ‘Pourquoi ? Pourquoi cela nous est-il arrivé ? Comment pouvons-nous empêcher que cela n’arrive à quelqu’un d’autre ?’” Susan McIntyre
Leur combat est historique, car pour la première fois au niveau mondial, un lien est officiellement établi entre la pollution atmosphérique due aux déchets toxiques et les malformations congénitales. Un combat de David contre Goliath, reconnu à sa juste valeur grâce à Toxic Town.
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