L’expatriation peut être synonyme de conditions sanitaires difficiles et services de santé moins accessibles. Faute de trouver le bon médecin, certains ajournent leur consultation, voire organisent un retour en France. Pourtant, les institutions de télémédecine se multiplient, tout comme les pratiques des assureurs en matière de remboursement évoluent positivement. Tour d’horizon.
Un thérapeute à des milliers de kilomètres joignable en un clic. Une ordonnance délivrée en deux. Impensables il y a quelques décennies, les téléconsultations sont aujourd’hui monnaie courante, surtout chez nos voisins suisse et scandinaves où cette pratique médicale à distance a fait des millions d’adeptes. Si la télémédecine à la française reste très marginale, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 laisse entrevoir l’émergence d’un cadre financier favorable au développement du secteur.
Les entreprises à la conquête de l’ « e-santé »
Face aux délais d’attente pour consulter un spécialiste, Marie, expatriée dans un village au nord de Milan, a utilisé l’application Hellocare. « L'opportunité d’avoir un premier accompagnement avant le rendez-vous du spécialiste nous a permis d'être rapidement rassurés et orientés vers le bon professionnel de santé ». Union entre un médecin généraliste et un spécialiste de l’e-commerce, Hellocare offre un service de mise en relation 24h/24 et 7j/7 par visioconférence, entre patients et médecins français. A l’heure actuelle, seuls 3% des milliers d’utilisateurs de l’application sont localisés à l’étranger : Maghreb en tête, suivi par l’Europe. Des chiffres qui pourraient rapidement évoluer, selon Alice Boisseau, chargée de communication au sein de l’entreprise.
Mesdocteurs, Eutelmed, Médecindirect, FrenchMedicine… A l’instar d’Hellocare, les applications qui offrent aux expatriés des services de télé-conseil par vidéo ont récemment essaimé. Terminée l’angoisse de l’autodiagnostic sur doctissimo. Grâce à ces nouveaux-venus de la santé numérique, les patients peuvent recevoir des conseils en matière de dermatologie, gynécologie, gastroentérologie par exemple, et se voir prescrire des médicaments, de confort essentiellement. En effet, l’impossibilité de mesurer les constantes (température, tension, fréquence cardiaque) rend difficile la détermination précise du traitement.
C’est pour cette raison que l’entreprise H4D a voulu aller plus loin. Fondée en 2008 par le Dr. Baudino, cette start-up a développé la « Consult Station », un cabinet médical connecté d’environ 2 m², doté d’un équipement certifié (stéthoscope, tensiomètre, otoscope…) qui permet au médecin de réaliser en visioconférence la quasi-totalité des actes normalement effectués dans son cabinet. Avec une cinquantaine de stations implantées en France et, de façon plus marginale, au Portugal, en Italie, à Dubaï, ou aux Philippines, H4D entend bien couvrir, demain, la demande expatriée.
Pour Eric Laporte, directeur commercial d’H4D, la principale barrière à la généralisation de son dispositif auprès des expatriés est le coût. « Il y a une notion de taille critique », nous dit-il, « si une entreprise a 50 expatriés français, cela ne justifie pas la présence d’une cabine. Dans ces cas, on peut plutôt penser à l’implanter dans des lieux mutualisés, des ambassades par exemple. Elle pourrait alors être utile à toute une population d’expatriés ».
Des pratiques de remboursement à la traîne
La sécurité sociale et les assureurs privés restent pourtant relativement frileux. A la CFE par exemple, les seuls actes remboursés sont les séances d’orthophonie à distance. Chez Humanis, les téléconsultations pouvant donner lieu à des prescriptions ont été inclues depuis septembre dernier dans les nouvelles offres collectives pour expatriés. Pour Alexis de Saint Sabin, directeur du développement international, « c’est aujourd’hui utilisé pour du conseil et de l’accompagnement en automédication essentiellement. Nous souhaitons progressivement l’étendre aux autres contrats collectifs ».
« En France, on a tellement bridé les expérimentations et eu peur de l’impact sur les comptes de la sécurité sociale qu’en 8 ans, il ne s’est quasiment rien passé », rappelle Eric Laporte. « Le nouveau gouvernement affiche une volonté de déverrouiller la télémédecine. On espère qu’on en verra la traduction dans les textes législatifs ».
Allô docteur robot ?
Nombreux sont les détracteurs de la télémédecine à invoquer des aspects éthiques. Les téléconsultations à distance participeraient à faire de la santé un bien de consommation comme un autre. Ils ouvriraient aussi la voie à une médecine dominée par l’intelligence artificielle.
Il y a toujours un échange exclusif et sécurisé entre le médecin et le patient . La machine ne fait aucun diagnostic ; elle est une interface
M. Laporte compare les objections actuelles faites à la télémédecine à celles observées lorsque le stéthoscope est né. « Beaucoup de médecins voulaient continuer de coller leur oreille à la poitrine du patient. Ils trouvaient que l’appareil déshumanisait la relation ».
Par ailleurs, la télémédecine fait craindre le développement d’une médecine à plusieurs vitesses et le renforcement d’une discrimination dans l’accès aux soins, par des dispositifs couteux et des pratiques de remboursement hétérogènes. Le débat n’est pas tranché.