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Isolement, rejet culturel, regrets…les travers de l’entre-soi en expatriation

« Tous les biais cognitifs nous amènent, en tant qu’humain, à rester dans notre zone de confort ». Ainsi, l’entre-soi en expatriation reste une pratique répandue. Qu’il soit subi ou choisi par l’expatrié, si ce regroupement peut attester d’un besoin de soutien et de solidarité, il peut aussi s’illustrer comme un frein à l’intégration et à la découverte des cultures locales.

L'entre soi en expatriation.L'entre soi en expatriation.
Écrit par Elena Rouet-Sanchez
Publié le 16 juillet 2024, mis à jour le 2 août 2024

 

 

Entre isolement et confort sécuritaire, l’expatriation peut se vivre au sein de communautés fermées. Pourtant, derrière ces enclaves dorées se cache parfois une réalité d’entre-soi, qu’il soit subi ou voulu, où naviguent soutien communautaire et isolement culturel. Loin des clichés, explorer l’altérité reste un défi essentiel pour enrichir l’expérience internationale. À travers les témoignages de divers expatriés, venus des quatre coins du monde, mais aussi les conseils de Cécile Lazargues-Chartier, consultante interculturelle, et autrice du live nous essayons de comprendre ce phénomène d’entre-soi en expatriation.

 

Choc, retour, enfants… Ce qu'on ne vous a jamais dit sur l’expatriation

 

Pourquoi partir, si c’est pour rester entre expatriés ?

L'expatriation peut susciter de nombreuses inquiétudes, surtout lorsque la destination choisie présente des défis quotidiens importants. Alors certains expatriés choisissent de se regrouper ensemble, dans des quartiers privés par exemple. Derrière cette décision se révèle une recherche de soutien, de sociabilité, de réconfort et la sécurité. Cécile Lazargues-Chartier, consultante en interculturel, explique ce besoin par la neuro-sciences : « Tous les biais cognitifs nous amènent, en tant qu’humain, à rester dans notre zone de confort et à échapper au risque du danger, comme un phénomène d’auto-défense. Ces biais cognitifs sont nos meilleurs ennemis : ils nous préservent et nous enferment à la fois. ». 

 

 

J’ai été élevée dans un véritable cocon : un « compound ».

 

Un phénomène de regroupement plutôt fréquent aux Émirats Arabes-Unis notamment, où 89 % de la population totale est étrangère. Parmi elle, la communauté française ne représente qu’un petit pourcentage de la population : soit 0,03 %. Anaïs en est témoin. Partie très jeune à Dubaï, où elle y a vécu jusqu’à ses 18 ans, elle raconte : « J’ai été élevée dans un véritable cocon, un « compound » plus précisément. J'ai fréquenté une école française avec d'autres expatriés. Plus tard, quand je suis rentrée au lycée, nous avons quitté le compound avec ma famille, mais nous avions notre petite maison entourée d’amis expatriés, dans un quartier résidentiel, avec bowlings, bars, restaurants et piscines. J’ai beaucoup apprécié avoir des amis venus des quatre coins du monde, mais il est vrai que sommes toujours restés ensemble, entre expatriés. ». Si Dubaï se démontre comme une ville cosmopolite, elle accueille en vérité une grande majorité d’Indiens (à 79,8 %), suivi du Pakistan (à 12 %). Les pays d’Europe et d’Amérique restent donc mineurs.

La vie « en condominium », en « compound » ou « en bunker », comme l’appelle communément le dessinateur de presse Nicolas Vadot. Une alléchante cage dorée presque coupée du monde et de la civilisation extérieure, qui propose des activités diverses et variées pour les expatriés y habitant. 
À l'intérieur de ces quartiers fermés, les expatriés bénéficient de divers services : écoles, supermarché, installations sportives, entretien des espaces verts, maintenance, service de navettes, et bien d’autres. Un véritable eldorado de l’expatriation.

 

Les risques de l'entre-soi en expatriation.

 

 

"Il y avait des soirées toujours très arrosées, comme si l'alcool était le seul échappatoire à l'ennui.

 

Quand l’entre-soi est subi par sécurité… ou rejet

Si l’entre-soi peut relever d’un choix conscient, dans d’autres cas, il peut être subi par l’expatrié. Quand Alice* a suivi son mari au Nigéria avec son nouveau-né, elle se souvient d’une vie très différente de ce qu’elle imaginait : « Il y avait des activités organisées : des « coffee morning » chaque matin à côté de la piscine, avec café ou mimosa, plutôt mimosa d’ailleurs… Puis il y avait des déjeuners préparés par la « nanny », et des soirées toujours très arrosées, comme si l’alcool était la seule échappatoire à l’ennui. ».

 

Bien que le phénomène d’entre-soi en expatriation soit une réalité, il semble prendre une dimension particulièrement marquée selon le genre. C’est ce que révèle Claire Casquer, chercheuse spécialisée dans l’expatriation aux Émirats Arabes-Unis. Selon ses diverses enquêtes, elle constate que la majorité des femmes expliquent leur expatriation à Dubaï par les choix professionnels de leurs conjoints. Ainsi, « les femmes d’expat’ » sont souvent les premières à se retrouver confronter à l’isolation dans un pays étranger, notamment par le manque d’activités professionnelles et extérieures : « Si peu de femmes sont professionnellement actives, elles sont aussi davantage dépendantes des institutions françaises, notamment du lycée français, pour trouver un emploi […]. Certaines femmes comblent ce vide avec des activités associatives intenses, des cours, du sport, une fréquentation assidue du spa, des malls ou des Coffee Mornings et tissent de nouvelles sociabilités féminines avec d’autres « femmes d’expat’. ».

 

Comment éviter et faire face à un choc culturel violent en expatriation ?

 

Un entre-soi féminin subi, aussi synonyme de soutien émotionnel et de réconfort, que l’on retrouve dans d’autres pays aux grandes différences culturelles ; comme ce qu’a pu rechercher Delphine, lorsqu’elle a suivi son conjoint en Inde, pour une expatriation de deux ans. « L’Inde n’est pas un pays facile, nos cultures sont très différentes. Il était donc important pour moi de me rapprocher de la communauté française, et c’est ainsi que j’ai rencontré un groupe de jeunes mamans très soudées qui se voyaient tous les jours entre elles. Un jour, j’ai déjeuné avec elles et elles exprimaient une grande colère envers leur vie en Inde, rejetant presque ce pays d’accueil. Elles critiquaitent tout dans le restaurant, se moquant des attitudes et des tenues des Indiens, et observant avec dédain ceux qui mangeaient avec les mains. Je me suis sentie très mal à l’aise et j’ai donc décidé de prendre mes distances, car, contrairement à elles, j’étais curieuse de découvrir ce pays fascinant. Avec le temps, j’ai remarqué que leur groupe devenait de plus en plus fermé, attendant une opportunité de partir d'Inde. Un jour, l’une d’elles a été exclue du groupe. Je me suis toujours demandé si c’était parce qu’elle avait décidé de s’ouvrir à l'autre ».

 

 

S'ouvrir aux autres durant l'expatriation

 


S’ouvrir aux autres : le défi de l’expatriation 

Si l’entre-soi en expatriation peut être synonyme de point d’ancrage, il peut également devenir une prison dorée, isolant les expatriés de la richesse culturelle de leur pays d’accueil. S’ouvrir à l’altérité, c’est non seulement embrasser l’aventure et la découverte, mais aussi briser les barrières de l’isolement. « Finalement, c’est très humain, et en même temps, cela nous gâche une partie des possibles de notre aventure internationale. Si on ne profite pas positivement à fond, on est nécessairement amputé d’une partie de l’expérience à notre retour en France. », justifie Cécile. 

 

On n'apprend pas des autres par de beaux discours, mais en allant tout simplement acheter sa baguette à la boulangerie du quartier.

 

Mais comment aller au-delà de cette peur ? Après avoir vécu à travers différents pays du monde, de l’Australie à la Belgique, Nicolas Vadot explique ne jamais s’être identifié à « l’expatrié » : « J’ai toujours été un peu étranger partout où j’allais, je ne connais donc pas cet entre-soi d’expat’. Je me suis toujours mêlé à la population qui m’entourait. En tant que dessinateur de presse notamment, j’ai toujours eu ce réflexe de tendre l’oreille peu importe où j’étais. Dans la file d’attente d’un supermarché ou dans un café, j’enlève mes AirPods et j’écoute les discussions qui m’entourent. On n'apprend pas des autres par de beaux discours, mais en allant tout simplement acheter sa baguette à la boulangerie du quartier. C’est ainsi que l’on s’ouvre aux autres et que l’on se saisit de l’altérité. ».

 

Retour d'expatriation, parcours de 7 femmes qui ont su rebondir

 

Après plus de 23 ans d’expatriation au Québec, Cécile est de retour en France. C’est sur ce point qu’elle insiste lors de ses interventions dans diverses écoles, où elle conseille les étudiants désireux de tenter l'aventure au Canada. Un mot clef : la préparation. « Il faut sortir de sa zone de confort culturelle, ce qui peut demander beaucoup de temps et d’espace mental. Trouver un vecteur qui vous plaît est un très bon début. Vous partez en Argentine et vous êtes passionné de football ? Regardez les matchs sur la télévision argentine, sous-titrée en français si besoin. Si c’est la Corée du Sud qui vous branche, écoutez de la K-pop ou intéressez-vous aux K-dramas. Il faut s’immerger dans le pays en amont : montrer à la population son effort d’intégration et de valorisation de la culture locale. Il est important de conserver notre culture française, qui appartient à notre intégrité, tout en comprenant qu’il est aussi primordial d’intégrer autre chose. ». 

 

Si l’entre-soi en expatriation offre un certain confort et soutien, il est essentiel de se rappeler que la véritable richesse de l’expérience à l’étranger réside dans l’ouverture à l’autre et la découverte de nouvelles cultures. Et comme le dit si bien André Gide, « L'homme ne peut découvrir de nouveaux océans sans avoir le courage de perdre de vue le rivage ».

 

* Prénom(s) modifiés.

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