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Comment éviter et faire face à un choc culturel violent en expatriation ?

Le choc culturel pourrait se définir par la « désorientation ressentie face à un mode de vie qui n’est pas le sien ». Mais cette expression cache des émotions, des conséquences et des actes bien plus grands. Décryptage avec le témoignage marquant d’Alice*, ancienne expatriée au Nigéria, et l’expertise de Cécile Lazartigues-Chartier, Consultante Interculturel. 

Un couple vit une forte crise en expatriation suite à un choc culturel violentUn couple vit une forte crise en expatriation suite à un choc culturel violent
Écrit par Capucine Canonne
Publié le 9 octobre 2022, mis à jour le 25 mars 2024

 

 

 

Il y a dix ans, Alice* est partie avec son conjoint et leur nouveau-né au Nigéria, dans le cadre d’un contrat d’expatriation. Une fois sur place, dans un « club med permanent », Alice ne s’intègre pas, s’éloigne de son mari, s’épuise et bascule dans la dépression. Le choc culturel est d’une violence inouïe. Elle a accepté de nous raconter son histoire, que nous avons choisi de comprendre et décrypter avec une spécialiste interculturelle, Cécile Lazartigues-Chartier. 

 

2013, le début d’une expatriation idyllique sur le papier mais pas préparée

Alice et Jules* vivent à Paris. Après la découverte d’une grossesse au moment où la jeune femme suit des études, le couple décide de chercher du travail à l’étranger afin d’être plus à l’aise financièrement. Jules trouve un emploi au Nigéria. Sur le papier, les conditions sont alléchantes et rassurantes : bon salaire, logement sécurisé et payé, billets d’avion pour rentrer en France… En 2012, Alice met au monde un petit garçon, qui rencontre des problèmes de santé. La maman reste en France, tandis que Jules s’envole seul au Nigéria : « Au bout de plusieurs semaines, nous avons pu rejoindre mon mari » raconte Alice. Partait-elle préparée ? « Mon mari avait déjà vécu en Afrique, il m’avait « vendu » une vie bien organisée, bienveillante, pleine de privilèges. Je pense qu’il faisait référence à la vie d’expatrié qu’il avait vécu lorsqu’il était célibataire. Ni l’un, ni l’autre, réalisions que partir en famille était très différent. » Pourtant, à ce moment de la vie d’Alice et Jules, en amont du départ en expatriation, une préparation est primordiale selon Cécile Lazartigues-Chartier : « En amont, il faut se préparer, se préparer, se préparer... on ne le dira jamais assez ! La formation interculturelle n'évite pas l'expérience mais outillé pour pouvoir y faire face. De plus, échanger avec des personnes de même culture qui ont déjà vécu dans le pays de destination est plus que nécessaire : ainsi, nous pouvons mieux saisir les enjeux, les défis, les possibles et les stratégies que d'autres ont déjà mis en place avec succès... ou échec. ». 

Au Nigéria, dès le début, la vie est compliquée. La famille vit dans une maison meublée au minimum, au cœur d’un « compound » ultra sécurisé. Le déménagement doit arriver dans plusieurs semaines. Alice n’a pas de matériel de puériculture ni de jouets pour leur bébé de deux mois. Les souvenirs de l’accouchement difficile sont toujours présents et la maman est en plein post-partum. Selon l’expert interculturelle, la situation présage déjà des difficultés : « L’individu arrive déjà fragile, sans stratégie, sans soutien ni aide.  Le choc culturel se traduit par une déstabilisation des repères, une anxiété de l'individu qui va perdre tous les signes et symboles familiers des rapports sociaux qu'il connaît que ce soit au niveau conscient ou inconscient. ». Avec la maternité et les problèmes de santé de son enfant, Alice n’a peut-être pas eu le temps de se préparer justement…

 

 

Un quotidien expatrié aux antipodes de ce qu’Alice imaginait 

Très vite, Alice comprend que sa vie (et celle de son nouveau-né) va se résumer à ce « compound » : « Il y avait des activités organisées : des « coffee morning » chaque matin à côté de la piscine, avec café ou mimosa, plutôt mimosa d’ailleurs… Puis il y avait des déjeuners préparés par la « nanny », et des soirées toujours très arrosées, comme si l’alcool était la seule échappatoire à l’ennui ». La jeune femme allaite son bébé et l’emmène partout. Mais elle ne sent pas la bienvenue : « mon bébé faisait trop de bruit, il dérangeait. Les autres mamans laissaient leurs enfants aux nannys. On me conseillait d’arrêter l’allaitement ». Elle commence à s’éloigner, ne participe plus aux activités communes : « Mon mari avait honte de moi, il voulait que je sois comme tout le monde, que je m’adapte, pour que nous soyons acceptés dans la communauté ». Pour Cécile Lazartigues-Chartier, il est très important de mettre en place un réseau de support social, amical et une zone émotionnelle sécuritaire pour se ressourcer. Ce qu’Alice ne trouve pas.     

 

le contraste culturel vécu en expatriation

 

Une distance s’installe entre les conjoints et Alice subit la maternité : « Mon fils ne faisait pas ses nuits. Je passais donc la journée à me lever, le bercer, l'allaiter, le changer. J’étais très fatiguée et triste. Je ne pouvais pas sortir de la zone, à cause de la chaleur et de la dangerosité du pays. Nous étions comme enfermés… ». La spécialiste interculturelle rappelle que le choc culturel est incontournable : « Il peut être léger, parce qu'on est dans un pays proche du nôtre culturellement ou très fort parce qu'on est aux antipodes de notre vécu. Au fond, on le vit soit dans la fluidité, parfois l'émerveillement... soit dans la contraction, le stress. C’est un processus ». Jules, lui, participe à des parties de tennis, de football, de cartes et essaye de s’intégrer auprès des autres expatriés. Il s’éloigne du domicile et ne supporte plus les pleurs de son bébé : « Attention, les enfants ne doivent pas payer les pots cassés. L'expatriation ou l'immigration est le choix des parents, ils doivent sécuriser leurs enfants. » rappelle Cécile Lazartigues-Chartier, quel que soit l’âge de l’enfant. 

 

 

Alice tombe en dépression en expatriation : « J’ai fait un violent burn-out » 

Une nuit, c’est le déclic. Alice berce son enfant après l’avoir allaité. « Il se réveille et se met à pleurer. J’ouvre les yeux et je vois un monstre dans mes bras, pas mon bébé ! J’ai compris que je n’allais pas bien du tout. Je faisais un burn-out maternel ». Pour la spécialiste en interculture, le choc culturel jusqu’à la folie « arrive parfois, sur des personnes ayant des fragilités préalables. Il faut savoir que c’est rare... mais que cela existe. ».

 

le rejet de la culture lorsque l'on est en expatriation

 

Par son extrême fatigue, ses angoisses maternelles, le rejet de l’entourage, son manque de repères et de soutien familial, Alice a des symptômes de psychose. Elle demande à son mari de rentrer en France. : « Une fois rentrée, j’ai vu une psychologue qui m’a dit que j’étais en dépression. J’ai pris un traitement antidépresseur. J’ai vu un spécialiste pour mon fils qui a respecté mon choix d’allaitement, j’ai fait un régime et tout est rentré dans l’ordre. Mon fils a commencé à sourire et à dormir, la vie était belle ». Jules continue l’expatriation et fait des allers-retours entre la France et le Nigéria. 

 

 

Les conséquences immenses d’un choc culturel non maîtrisé 

De retour à Paris, malgré l’arrivée heureuse d’une petite fille dans le foyer en 2017, leur relation s’abîme, Jules en veut beaucoup à Alice. La jeune femme découvre que son mari la trompe. Ils se séparent. Plusieurs mois se passent. Alice et Jules décident de suivre une thérapie pour se réparer : « Il y avait beaucoup de ressentiment de sa part par l’expérience au Nigeria, et il estimait avoir le droit d’avoir une aventure. Nous ne communiquions sans doute pas assez, nous n’avons pas vécu la même expérience d’expatriation… ».

 

Un homme quitte sa famille après une séparation en expatriation

 

Si l’histoire d’Alice et Jules est unique, elle n’est pas un cas isolé. L’expatriation est un phénomène interculturel qui touche tout le monde, de manière différente. Mais pour Cécile Lazartigues-Chartier, ce n’est pas une fatalité : « Des outils existent pour « surmonter » ce moment de vie. Se préparer bien sûr, se renseigner sur la culture dans son ensemble mais aussi les conditions de vie qui nous attendent. Il faut absolument faire un travail sur soi – par l’intermédiaire d’une formation interculturelle par exemple – pour mieux connaître ses valeurs propres, ses mécanismes de défense et son potentiel. Autre conseil, il est important de comprendre ses biais cognitifs pour être plus agile, mais aussi trouver ce qui nous sécurise. » 

Alice et Jules ont finalement réussi à reconstruire leur relation et à sauver leur mariage. Aujourd’hui, ils sont toujours ensemble, dix ans après l’expérience du Nigéria. Au moment où nous échangeons, Alice nous annonce qu’ils partent tous les quatre en expatriation en Afrique dans quelques jours : « Cette fois, je me sens prête, je me suis énormément renseignée sur la vie là-bas, j’ai pris des contacts, rempli les valises avec tout ce qu’il faut, mais surtout je pars avec l’envie de profiter de l’expérience ! » Mais elle n’oublie pas : « Les gens idéalisent tellement l’expatriation, c’est loin d’être le rêve que l’on croit, vraiment. »

 

*les prénoms ont été changés 

 

 


En savoir plus sur “L’art et la manière” conseils en interculturel  ou contacter Cécile Lazartigues-Chartier, Consultante en Interculturel, stratégie et développement