A l’heure où des centaines de milliers d’élèves ont fait leur rentrée dans les établissements d’enseignement français à l’étranger, une question se pose : Où en est la mixité sociale hors de France, mesurée dans l’Hexagone et chère au gouvernement ?
Début 2023, l’indice de position sociale (IPS) 2022 des collèges et lycées en Hexagone et outre-mer a été publié. Il permet d’établir le niveau social d’un établissement scolaire et, à fortiori, les disparités sociales de celui-ci. Concrètement, chaque élève possède un « score » entre 45 et 185 en fonction de la catégorie socioprofessionnelle de ses deux parents, mais aussi de leurs diplômes, leurs implications et le « capital culturel » du foyer. Cette fois encore, les données confirment un important décalage entre le privé et le public. Mais autre observation importante, les établissements français à l’étranger ne font pas partie de l’équation. Aucun IPS, à ce jour, n’est connu pour le réseau AEFE notamment qui représente, à la rentrée 2023, 390.000 élèves dans les 581 établissements dans le monde.
La mixité sociale est-elle mesurée dans les établissements à l’étranger ?
Sans données officielles, difficile d’établir la mixité sociale dans les établissements français à l’étranger. Le 7 septembre 2023, Yan Chantrel, sénateur représentant les Français établis hors de France pose la question à la ministre de l'Europe et des Affaires étrangères :
« [ Yan Chantrel ] demande pourquoi l'indice de position sociale des établissements français à l'étranger n'est pas mesuré ou pas communiqué » et « comment l'efficacité de l'aide à la scolarité peut être mesurée sans recours à cet indicateur de mixité sociale (…) » ajoutant que le gouvernement remette au Parlement « un rapport évaluant l'état actuel de la mixité sociale dans le réseau d'enseignement français à l'étranger ».
Contactée, l’AEFE déclare avoir pris acte de la question posée à Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères et explique que sa réponse arrivera en suivant le temps parlementaire.
L’obstacle financier à la mixité sociale dans les établissements à l’étranger
A l’échelle internationale, difficile (voire impossible) de mettre en place une politique de mixité sociale basée soit sur une sectorisation stricte, soit sur des quotas de minorités. Les solutions sont donc ailleurs. Aujourd’hui, deux facteurs bloquants à la mixité sociale dans les établissements français à l’étranger remontent dans les débats : les coûts de scolarité – en constante augmentation – et les bourses scolaires – dont le montant est en baisse -.
Marion est maman de trois enfants. Elle vient de s’installer au Canada mais n’a pas pu inscrire ses enfants au Lycée Français AEFE de Toronto faute de moyens : « Le lycée de Toronto est hors de prix, environ 20.000 dollars de frais de scolarité par an. Lorsque l’on est sous contrat local (donc non expatrié), c’est impossible… ». N’ayant pas d’alternative AEFE, Marion a inscrit ses enfants à l’école publique canadienne et complète avec le CNED.
Selon Louis*, parent d’élève basé au Vietnam, de plus en plus de familles « souvent des petits entrepreneurs » ont du mal à faire face aux frais de scolarité en hausse et au coût de la vie. Pour le dire autrement, la mixité sociale pourrait être en péril si les frais de scolarité continuent d’augmenter, surtout dans des pays où le statut d’expatrié- ou un dispositif financier dédié à la scolarité des employeurs - n’est pas courant.
Autre sujet sur la table, les bourses scolaires. Compte tenu des coûts de scolarisation à l’étranger, des dispositifs financiers d’aide sont mis en place. Les bourses sont attribuées aux enfants français résidant avec leur famille à l’étranger et scolarisés dans un établissement homologué par l’éducation nationale, sous conditions de ressources et selon la situation économique et sociale du pays. Selon la FAPEE - Fédération des associations de parents d’élèves des établissements d’enseignement français à l’étranger – environ un quart des familles demandeuses n’obtiennent pas de bourses. Sans compter les autres, comme Marion à Toronto, qui ne répondent pas aux critères financiers “nous gagnons trop pour prétendre à une bourse scolaire…”. Le gouvernement précise qu’il vient de revoir à la hausse l’enveloppe des bourses, à 114 millions d’euros, mais que cela “ne suffit pas à couvrir l'inflation mondiale qui se répercute sur les coûts de scolarité dans certains établissements du réseau d’enseignement français à l’étranger”.
Samantha Cazebonne, sénatrice représentant les Français établis hors de France précise que le gouvernement “travaille pour aller le plus vite possible dans le sens de la mixité sociale dans [les] établissements [l‘étranger]” à l’aide de bourses scolaires pouvant couvrir jusqu’à 100% de la scolarité. “C’est unique au monde” insiste-t-elle.
La mixité se dessine aussi par le niveau scolaire et culturel
Au-delà du milieu social de l’élève, son niveau scolaire et le capital culturel du foyer dans lequel il vit sont pris en compte dans la mixité sociale d’un établissement. Particularité à l’étranger, les différences sont aussi d’ordre culturel : un élève francophone versus un élève binational par exemple, ou un élève qui rentre en France plus souvent qu’un autre. La présence d’élèves locaux aux parents aisés a aussi un impact sur la mixité de l’établissement.
Des paramètres comme le niveau de français, ou l’accès à un environnement culturel francophone seraient intéressants donc à prendre en compte pour aider à mesurer l’écart entre les élèves. En attendant la réponse du gouvernement, et de potentiels calculs spécifiques d’IPS du réseau AEFE, la question de la mixité sociale de l’enseignement français à l’étranger se confronte à l’ambition non négligeable fixée par Emmanuel Macron en 2018 d’accueillir 700.000 élèves d’ici à 2030, soit le double de l’effectif actuel.
*le prénom a été changé