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G. Ribot : "Les pouvoirs publics doivent aider les centres de FLE"

Gérard Ribot centre FLEGérard Ribot centre FLE
Écrit par Sandra Camey
Publié le 3 août 2020, mis à jour le 5 août 2020

Gérard Ribot est le directeur du site fle.fr, le site d’information sur les centres d’enseignement du français langue étrangère (FLE) en France. Il répond à nos questions sur l’impact de la crise sanitaire en cours sur ce secteur d’activité dont il souligne la place dans la stratégie d’attractivité internationale de la France.

 

Quels sont les principaux problèmes rencontrés par les centres de FLE à l’occasion de cette crise sanitaire ?

C’est très simple, depuis mi-mars l’activité des centres de FLE est quasiment à l’arrêt. Tout simplement parce qu’ils accueillent en temps normal des participants venus de tous les pays pour des séjours de formation et de découverte en « immersion ». Des étudiants étrangers mais aussi des professionnels qui ont besoin du français de communiquer en français dans le cadre de leur travail, d’autres qui sont à la recherche de séjours associant la pratique de la langue à une découverte culturelle et touristique de notre pays et pour les plus jeunes, notamment scolaires, il s’agit souvent de se préparer à des examens et diplômes.

Dès la mi-mars, et du jour au lendemain, tous ces publics sont repartis et depuis restent dans leur pays, les frontières étant fermées et les liaisons internationales interrompues. Depuis la mi-mars, l’activité des centres de français est donc à l’arrêt quasi complet. Certains ont pu mettre en place des cours en ligne, mais cela reste très loin de compenser les pertes colossales engendrées par l’absence des publics en présentiel.

A ce jour, malgré l’assouplissement des contraintes de mobilité au niveau européen, aucune reprise d’activité « significative » n’est envisageable avant l’été prochain. Il ne me paraît donc pas exagéré de parler d’une situation dramatique car elle a des conséquences pour l’avenir immédiat de ces établissements mais aussi pour leurs personnels, enseignants permanents et souvent temporaires, et pour les écosystèmes locaux qui bénéficient habituellement de l’impact économique de cette activité : prestataires d’hébergement, de transports, restaurants, commerces... Ce secteur d’activité génère en effet en temps normal des retombées qui se chiffrent chaque année en millions d’euros.

 

Malgré un label d’État qu’ils financent, les centres de FLE échappent au radar des politiques publiques

Les centres ont-ils reçu des aides financières de l’Etat ?

Dans un premier temps les centres ont pu éviter une fermeture définitive en s’adossant à l’ordonnance du 25 mars dernier permettant aux professionnels du tourisme – incluant à titre exceptionnel les « voyages et séjours linguistiques » - de proposer un avoir valable 18 mois à tous les participants dont le séjour a été annulé à cause de la pandémie.

Par ailleurs, comme toutes les organisations, ils ont pu bénéficier du dispositif gouvernemental permettant le maintien de l’activité partielle prise en charge 100 % par l'État et l'Unedic jusqu’au 30 juin.

Par contre pour la suite, l’enseignement du français langue étrangère n’est pas encore clairement identifié parmi les secteurs d’activité éligibles au Plan de relance des secteurs du tourisme et de la culture.

Cette situation est d’autant plus anomale que depuis plus de 10 ans la plupart des centres de FLE sont labellisés par l’Etat au titre du label « Qualité FLE » délivré par trois ministères : Tourisme, Enseignement supérieur et Culture : trois secteurs d’activité majeurs accompagnés par l’État !

Les professionnels étaient donc en droit d’attendre que leur secteur d’activité, qui a cette particularité de relever de ces 3 secteurs, soit clairement identifié parmi ceux qui peuvent prétendre aux mesures du Plan de Relance. Ce n’est malheureusement pas exprimé clairement et beaucoup de responsables découvrent à cette occasion que ce label ne les « protège » pas.

De plus, malgré une demande formulée unanimement par leurs représentants auprès de France Education International, l’opérateur public en charge du dispositif de labellisation, les centres se sont vus opposé une fin de non-recevoir à leur demande d’exonération de la contribution financière annuelle. Ce qui choque beaucoup de professionnels c’est que ce refus est de nature strictement administrative, alors que dans le même temps d’autres opérateurs publics ont su prendre la mesure de la situation et adapter leur mode de fonctionnement.

Pour certains professionnels un audit indépendant de ce dispositif de labellisation entièrement contrôlé par une administration d'Etat, s'impose afin d'en évaluer sérieusement le coût en regard des bénéfices sur l'activité des centres, indépendamment de son apport en termes de démarche qualité.

Aujourd’hui, il ne reste donc d’autre choix aux centres que de s’adosser au secteur de
l’« enseignement culturel », mentionné comme tel dans le Plan de Relance et dont leur activité principale relève. Cependant c’est au risque que, dans leurs relations avec les administrations concernées, les solutions soient à chercher au cas par cas. Cela est naturellement dangereux et risqué. Le refus d’une administration pour un centre se traduira inévitablement par sa fermeture.

 

Le numérique n’est pas une alternative au présentiel, il en est le prolongement ou l’accompagnement

Est-ce qu'une nouvelle forme d’enseignement a émergé de cette crise ?

Ce qui a émergé, qui s’est accéléré plutôt, ce sont les pratiques d’enseignement en ligne. Elles étaient en effet déjà présentes dans l’offre de certains centres, mais la crise a eu un effet de déclic pour certains qui ont vu là une opportunité à saisir, d’abord pour garder le contact avec leurs publics déjà inscrits, puis pour diversifier leur offre pédagogique. Et contrairement à une idée reçue ce ne sont pas que les gros centres qui se sont tournés vers le numériques mais aussi de petites structures.

Le numérique peut être une source de renouvellement des pratiques pédagogiques de motivation des enseignants et aussi un moyen de gagner de nouveaux publics, notamment ceux qui ne peuvent se plier à des contraintes d’horaires et de lieux.

Mais il ne faut pas penser que le numérique peut être une alternative au présentiel. Il en est un accompagnement, un prolongement, une « valeur ajoutée » car il permet d’échapper aux contraintes, spatiales et temporelles et de proposer des parcours individualisés.

C’est donc plutôt en termes de dispositif hybride qu’il faut penser le développement du numérique dans les centres de FLE en France dont la vocation reste d’accueillir et de former en immersion et cela aucune « solution » numérique ne peut l’offrir.

 

La réalité du marché de l’emploi est catastrophique

Les carrières dans la formation linguistique vont-elles être impactées ?

Le secteur de l’emploi et les parcours professionnels dans l’enseignement du FLE sont depuis toujours marqués par la précarité, la paupérisation et une absence de reconnaissance professionnelle. La crise ne fait qu’aggraver cette réalité.

Les enseignants de FLE en France ont un statut tout à fait comparable à celui des intermittents du spectacle : à l’exception de ceux qui ont un CDI dans un centre, ils peuvent être amenés sur une même journée à faire cours dans 3 établissements différents et relever chaque fois de conditions de travail et de réglementations différentes.

Leur activité est soumise à des aléas saisonniers, comme dans le secteur du tourisme. L’hiver est généralement beaucoup plus calme, en dehors des centres universitaires. Cette profession est précarisée, mal rémunérée, pour des parcours qui sont souvent remarquables tant sur le plan professionnel autant qu’humain.

La plupart des enseignants ont des contrats temporaires ou de vacataires. Beaucoup ont opté ces dernières années pour l’auto-entreprenariat, plus simple et mieux adapté à un rythme d’intermittence mais aujourd’hui ils n’ont plus aucun revenu. Leur situation est aujourd’hui catastrophique.

 

Les centres de FLE au cœur de l’attractivité internationale de France

Qu’attendent aujourd’hui les centres de FLE des pouvoir publics ?

Les centres de FLE attendent prioritairement une confirmation claire que leur domaine d’activité est éligible aux mesures de sauvegarde relevant du Plan de relance culture et tourisme notamment pour ce qui concerne la prolongation des mesures en faveur de l’activité partielle et l’exonération de paiement des charges sociales et fiscales.

A ce jour, malgré l’intervention d’élus et la mobilisation des professionnels, aucune réponse concrète et tangible n’a été apportée à ce sujet.

Pour le reste, la profession a déjà relevé la tête et prépare le moment où il faudra reconquérir sa place dans la compétition internationale. Et cette place est au coeur de la promotion du français et du tourisme linguistique dont le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères a fait une priorité dans la stratégie d'attractivité internationale de France.


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Les centres de FLE en France comptent 120 structures pérennes environ, toutes catégories confondues : Alliances Françaises, centres universitaires, écoles de langues, organismes de formation. Ces établissements accueillent chaque année près de 180 000 participants venus du monde entier et génèrent un chiffre d'affaires de 150 millions d'euros environ.


Lien vers le site fle.fr : ici

 

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