Le sénateur des Français établis hors de France, Jean-Yves Leconte, tire la sonnette d'alarme pour les entrepreneurs français résidant à l'étranger. Dans cette interview exclusive, le parlementaire socialiste nous présente ses propositions pour aider les nombreux expatriés français en difficultés.
Perte de travail, perte de revenus et perte du permis de séjour engendrent la nécessité d’un retour.
Craignez-vous un retour massif de Français non-résidents impactés par la crise ?
Nous percevons déjà cette tendance en Chine car, certains Français, privés de revenus depuis maintenant plusieurs mois et ne bénéficiant pas d’aides, s’interrogent sur leur retour en France, l’activité qu’ils avaient développée devant être totalement reconstruite. Or, ils n’en n’ont pas la force et l’économie ne repart pas tant que cela.
En Chine aussi, des familles binationales, dont les membres français n’ont pas pu revenir en Chine car ils n’en n’ont plus le droit pour l’instant, s’interrogent sur un retour en France, seule solution pour se retrouver ensemble.
Enfin, dans beaucoup de pays, le permis de séjour est lié à l’effectivité d’un travail. Perte de travail, perte de revenus et perte du permis de séjour engendrent la nécessité d’un retour. C’est la situation de très nombreux jeunes français PVTistes qui s’essayaient à l’expatriation. Enfin, dans des pays où les infrastructures médicales sont faibles, des familles s’interrogent sur un retour, pour éviter de se retrouver bloquées dans le pays en cas de crise sanitaire aigue. Fin mars et début avril, j’ai dû intervenir pour plusieurs familles françaises qui craignaient pour la santé de leurs enfants fragiles, alors que la priorité était fixée par le gouvernement au retour des Français de passage à l’étranger, et non à celui des résidents établis hors de France.
Ne pas soutenir ce réseau, ce serait pour notre place économique à l’international se séparer de nos racines
Pourquoi est-il important pour l’économie française de soutenir les entreprises créées par des Français à l’étranger ?
Cela est plus qu’important, c’est essentiel. La plupart de ces entreprises conservent « quelque chose de français » qui participe à notre présence à l’international. Plus précisément, une étude du Conseil économique et social -il n’était alors pas encore environnemental- soulignait que plus de 40% des entreprises de droit étranger créées par des Français engendrait directement ou indirectement plus de 4 emplois en France. De nombreux flux commerciaux sont ainsi provoqués par ces sociétés. Aider ces entreprises dans la situation actuelle, c’est aider les Français entrepreneurs à « tenir » durant cette période difficile où l’économie est l’arrêt. C’est aussi maintenir pour notre pays un réseau d’influence économique qui pourra à nouveau mobilisé lorsque nous sortirons de ce « cauchemar » et qui ne devrait pas être oublié maintenant car nous ne sortirons pas de cette crise sans coopération internationale. Ce réseau, s’il apparait au premier regard plus faible que les grands contrats ou les filiales de grand groupe, il est lui totalement intégré au pays de résidence. Rien ne peut se faire sans lui, car ce sont ces Français intégrés qui font les « passeurs de culture » entre la France et le pays de résidence. Ne pas soutenir ce réseau, ce serait pour notre place économique à l’international se séparer de nos racines.
Comment peut-on aider les structures de droit étranger qui participent au rayonnement de la France ?
J’ai développé plusieurs propositions dans une note adressée au gouvernement, et mise ensuite en ligne sur mon blog il y a une dizaine de jours. Le concept de « participation au rayonnement de la France » ne concerne pas uniquement les entreprises. D’une part, si ces différentes structures (CCI, Alliances françaises, écoles, centres de recherche…) peuvent être considérées comme servant l’intérêt général de notre pays, elles doivent pouvoir être éligibles à l’ensemble des dispositifs d’accompagnement et de garantie d’emprunt mis en place en France pour les entreprises. Si le pays de résidence développe aussi des programmes d’aide, tant mieux, mais, à défaut, puisqu’elles travaillent pour nos intérêts, ce serait utile d’avoir aussi des outils pour les aider.
Lorsqu’il s’agit d’entreprises étrangères qui favorisent la présence internationale de nos entreprises françaises, ce que je propose est d’aider l’entreprise de droit étranger à la demande du partenaire français, qui se porterait alors garant. L’entreprise étrangère bénéficierait alors indirectement de la possibilité de garantie de l’Etat. Ceci peut permettre à nos entreprises, dans un contexte compliqué, de resserrer les liens avec leurs partenaires étrangers.
Les pays européens ont chacun construit des réponses individuelles plutôt que de tenter de construire une réponse coordonnée
Comment la France peut soutenir davantage les entreprises françaises créées à l’étranger, qui sont de fait tributaires du droit et des mesures d’aides locaux ?
Malheureusement, des aides dédiées prévues par les autorités locales, n’existent pas dans tous les pays ou ne sont pas toujours disponibles pour les structures à capitaux étrangers.
Dans certains pays, il peut y avoir des aides locales : tant mieux et il faut veiller à ce qu’elles soient connues -ce que les CCI font dans la plupart des cas-, et leurs modalités accessibles à tous. Cela n’est en rien incompatible, au contraire, avec le fait d’apporter une aide complémentaire. Bien entendu dans chaque cas, la compatibilité de cette aide avec la législation du pays doit être vérifiée en amont.
Enfin, je souhaite ajouter que je regrette que cette question de l’aide aux entreprises de droit étranger ne soit pas posée dans un cadre plus européen. Mais c’est malheureusement le cas dans cette crise où les pays ont chacun construit des réponses individuelles plutôt que de tenter de construire une réponse coordonnée. J’espère que l’on y arrivera petit à petit, car tous les dispositifs d’aide qui sont actuellement élaborés doivent pouvoir être conformes au droit européen.
Je regrette que le ministère des Affaires étrangères ait décidé de ne pas donner suite à l’appel à projet pour le STAFE 2020
Comment peut-on aider les familles fragilisées par cette crise ?
Concernant les familles, plusieurs aspects. D’abord, une révision rapide des critères d’accès aux bourses scolaires, afin de prendre en compte les chutes de revenus liés à la crise. Sur ce point, de nouvelles instructions ont été prises par l’AEFE, même si elles ne sont pas financées pour l’instant (pas encore votées au budget de l’Etat). Ensuite, il convient de veiller à faciliter l’accès à l’assurance maladie via la CFE, en tenant compte des pertes de revenus et en aménageant les délais de carence. Mais pour cela, il faut que des moyens publics permettent à la CFE de développer cette ouverture : ce n’est pas le cas pour l’instant. J’ai déposé et défendu un amendement en ce sens lors du dernier projet de loi finances rectificative, qui n’a malheureusement pas été adopté. Il faut aussi soutenir les programmes FLAM qui sont fragilisés par l’incapacité d’agir en présentiel depuis quelques semaines. Enfin, il est impératif de donner aux postes consulaires et aux associations établies localement les moyens de répondre aux difficultés liées à la vie en confinement, et aux divers risques que cela comporte. Le sujet des violences intrafamiliales est aussi présent à l’étranger. A ce titre, je regrette que le ministère des Affaires étrangères ait décidé de ne pas donner suite à l’appel à projet pour le STAFE 2020 en réorientant les crédits (STAFE : Soutien au Tissu Associatif Français à l’Etranger). Cela me semblait pourtant fort utile au regard de la crise actuelle, et aurait également permis aux élus de proximité que sont nos Conseillers des Français à l’étranger (anciennement Conseillers consulaires) de pouvoir être associés aux décisions d’attribution, en utilisant leur expertise de terrain et leur connaissance des difficultés rencontrées localement par nos compatriotes.