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Jean-Yves Leconte : "L’ambition est utile mais pas sans moyens"

jean yves lecontejean yves leconte
crédit photo E.P.
Écrit par Damien Bouhours
Publié le 5 décembre 2019, mis à jour le 5 décembre 2019

Le sénateur socialiste des Français à l’étranger, Jean-Yves Leconte, nous a accordé un entretien exclusif dans lequel il revient sur le plan de développement de l’enseignement français à l’étranger, la réforme des retraites et ses défis pour ceux qui sont mobiles à l’international ainsi que son combat pour plus une Europe plus solidaire.

 

Les ambitions du Président de la République sont de doubler le nombre d’enfants scolarisés dans les Lycées Français d’ici 2030. Est-ce que selon vous le plan de développement de l’enseignement français à l’étranger permettra d’atteindre cet objectif ?

L’ambition est utile mais si cela se fait sans moyens et sans contrôle de la qualité, c’est inquiétant. Je constate que le gouvernement remet annuellement dans le budget de l’AEFE, moins qu’il n’en n’ a pris à l’été 2017. Doubler le nombre d’élèves avec juste 10% supplémentaires d’enseignants titulaires va mettre en cause la qualité de l’enseignement. Les pôles de formation régionaux pour les enseignants recrutés locaux pourront aider mais il y a une limite à ça notamment dans les zones qui manquent d’attractivité ou celles où les déplacements sont difficiles et couteux comme en Afrique centrale.

Pour pouvoir développer les écoles, on a besoin de construire des établissements, parce que doubler le nombre d’élèves représente entre 12000 et 15000 classes supplémentaires. Mais depuis un an, la direction générale du Trésor arrête d’étudier les demandes de garanties de l’Etat pour la construction des établissements scolaires homologués. Si on supprime ce mécanisme de garantie de l’Etat, les seuls qui vont pouvoir créer de nouveaux établissements seront des sociétés à but lucratif et cela va complètement changer la nature de l’enseignement français à l’étranger. Cela remet en cause sa spécificité et ses valeurs,  mais aussi l’accès à celui-ci, compte tenu du montant des frais de scolarité élevés et de leur croissance prévisible. Il n’est pas convenable de doubler le nombre d’élèves sans s’interroger sur la manière dont les enfants français pourront avoir accès à ces écoles, surtout avec une politique de bourses qui ne suit pas.

 

C’est une mesure profondément sexiste

Etes-vous inquiet des dernières mesures annoncées concernant la protection sociale des Français à l’étranger ?

Il y a en effet des réformes inquiétantes du gouvernement en termes de protection sociale. La première est la suppression, l’année dernière, pour les pensionnés d’un système français résidant hors de France d’avoir droit à l’assurance maladie lors de leurs séjours en France si ils ont cotisé moins de 15 ans. C’est un recul majeur, initié par un rapport d’Anne Genetet, que nous essayons, faute de mieux, de limiter.

La deuxième chose est la suppression au 1er janvier 2020 de l’accès à l’assurance maladie en France pour les conjoints de retraités d’un régime français, qui étaient anciennement considérés comme ayant-droits, lors de leurs séjours en France.. C’est une mesure profondément sexiste puisque dans la génération des retraités actuellement ce sont 90% de femmes qui seront touchées.

 

La future réforme des retraites prend-elle selon vous en compte les parcours de mobilité internationale des Français ?

Je ne partage pas la philosophie générale de la réforme. Poser comme principe que la retraite doit être proportionnelle à ce que vous avez cotisé, c’est de la petite rhétorique, car cela ne prend pas en compte votre progression de carrière ou ce que vous avez apporté à la société. Si vous commencez en bas de l’échelle et que vous avez fini comme cadre supérieur, à la retraite vous allez revenir à votre point de départ, alors que celui qui a fait une grande école, aura plus. C’est complètement inégalitaire.

Le système a été créé lorsque toutes les carrières étaient linéaires. Aujourd’hui de plus en plus de personnes sont polypensionnées. Compte-tenu des dispositions actuelles, un polypensionné prend malheureusement le plus mauvais de chaque régime de retraite. La situation est la même quand vous partez travailler à l’étranger. Lorsque vous avez travaillé dans l’Union Européenne, les régimes sont plus ou moins coordonnés. Mais si vous avez travaillé dans l’UE et en dehors, vous n’aurez le bénéfice des deux accords internationaux de coordinations, même s’ils existent. Il faudra choisir. Il faut changer ces approches. J’ai écrit au haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye. J’espère une concertation sur le sujet.

 

Nous devons utiliser notre force pour pouvoir être exemplaire et moteur sur cette question du réchauffement climatique.

 

En tant que membre de la commission des Affaires européennes du Sénat, en quoi l’Union européenne est essentielle dans les questions liées au réchauffement climatique ?

Les régulations qui ont vocation à répondre à l’enjeu climatique, pour être efficaces, doivent s’appliquer à l’ensemble des acteurs de l’Union européenne, sinon elles seront inefficaces et injustement réparties. . Même si souvent on l’oublie, l’Union Européenne est la première puissance économique et commerciale du monde. Elle a donc une responsabilité majeure qu’il s’agisse en premier lieu de son propre comportement, pour répondre à ces exigences de sobriété et de respect de l’environnement, que pour peser sur le comportement et l’évolution de ses partenaires commerciaux. Baisser nos émissions de CO2 sans avoir de plan pour répondre à la constatation que nos importations correspondent à 50% de celle-ci, et que le CO2 est donc émis par d’autres, n’est pas très sérieux. Nous devons utiliser notre force pour pouvoir être exemplaire et moteur sur cette question du réchauffement climatique. Actuellement, c’est moyen, même si c’est mieux que les Etats-Unis ou la Chine. Il faut faire en sorte d’avoir un budget européen qui permette d’accompagner les Etats membres qui sont le plus loin de l’objectif, qui doit être celui de l’Union : la neutralité carbone en 2050.

 

En 2014, suite à l'annexion de la Crimée, la Russie se voit suspendue de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Aujourd'hui elle fait son retour malgré les réserves de l'Ukraine. Pourquoi est-ce si important pour la France que la Russie fasse son retour ?

La Russie respecte à peu près 10% des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Ce n’est pas brillant mais c’est mieux que rien. Ce retour permet aux citoyens russes qui estiment être dans une situation dans laquelle leurs droits ne sont pas respectés, d’aller à la Cour de Strasbourg. Avoir un contrôle externe sur la manière dont les Etats européens assurent les droits fondamentaux, qu’ils ont reconnus en signant la Convention européenne des droits de l’homme, est une exigence issue de l’observation des années 30, lorsque les dérives de plusieurs régimes européens, n’ont pu être bloquées à temps, faute du moindre instrument pour cela. Constater sans ne rien faire qu’un Etat, quel qu’il soit, est en voie de sortie du dispositif,  c’est oublier une bonne part de l’utilité de la CEDH.  Il faut cependant rester très ferme avec ce qui se passe partout en Europe, lorsque des dérives sont constatées.

 

Vous plaidez également pour la création d'une Cour Européenne pour le Droit d'Asile, qu'est-ce que cela pourrait apporter ?

 

Depuis que je suis au Sénat en 2011, je ne cesse de rappeler que si nous voulons que les étrangers qui vivent en France, s’intègrent, il faut qu’ils s’y sentent chez eux. C’est un témoignage que je dois à mon pays au regard de l’expérience que j’ai moi-même vécue à l’étranger, comme des centaines de milliers de Français, vivant à l’étranger et que je représente aujourd’hui au sein du Parlement. Depuis quelques décennies, la France n’a pas bien évolué sur ce point. La question de l’Asile en Europe, avec un système de Dublin, qui pose que le premier pays qui a enregistré la présence d’une personne étrangère sur son sol en situation irrégulière ou de demande d’asile, est celui qui doit, le cas échéant, instruire sa demande d’asile, ne met pas à égalité la Grèce et le Luxembourg. Il doit être réformé. Il faut trouver un système nouveau permettant que ce ne soit pas uniquement la Grèce, l’Italie et l’Espagne qui soient responsables de l’accueil pour l’ensemble de l’Europe.

 

Favoriser l’autonomie des réfugiés, c’est améliorer leurs conditions d’intégration.

Si on veut faire une répartition des demandeurs entre les pays européens, il est essentiel que l’on ait un contrôle sur les décisions d’attribution ou de non-attribution de l’asile des états européens. Ma proposition est donc d’ unifier la procédure de recours juridictionnel aux décisions de refus d’attribution de la protection au titre de l’asile par les administrations compétentes des Etats-membres. Je pense qu’avec une Cour Européenne pour le Droit d’asile, les administrations nationales chargées de l’instruction des demandes se mettront automatiquement à converger. Leurs décisions pourraient être alors reconnues entre les pays et nous pourrons éviter les demandes successives de protection dans plusieurs pays européens. Une telle révolution pourrait se faire à quelques-uns, s’il s’avérait, comme c’est probable, trop difficile de la faire à 27 d’un seul coup. Je plaide aussi pour dédramatiser la question du pays de l’Union européenne où l’on demande l’asile. Si vous demandez l’asile et qu’il vous est reconnu, vous devriez alors avoir les mêmes droits que les citoyens européens vivant dans le même pays que vous, et pouvoir donc aller travailler dans un autre pays de l’Union européenne. Ainsi, si vous êtes francophone et que vous faites votre demande d’asile en Italie, car c’est là que vous deviez la faire, et qu’elle est ensuite acceptée, vous devriez pouvoir venir en France, si vous y trouvez du travail. Favoriser l’autonomie des réfugiés, c’est améliorer leurs conditions d’intégration.

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