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Qu'est-ce qu'un lanceur d'alerte ?

Une silhouette tenant un téléphoneUne silhouette tenant un téléphone
Écrit par Maël Narpon
Publié le 22 novembre 2021, mis à jour le 23 novembre 2021

Lanceur d’alerte, une expression qui a connu une forte expansion au cours des deux dernières décennies et poursuit son bonhomme de chemin encore aujourd’hui, notamment dans les médias. La récente tenue de la réunion des lanceurs d’alerte à Paris le week-end du 13 novembre 2021 nous a donné l’opportunité de discuter avec le créateur du terme lui-même : le sociologue Francis Chateauraynaud.

 

La création du terme « lanceur d’alerte »

Ce terme français, connu de tous aujourd’hui, n’apparaissait pas comme une évidence en 1996, lorsque l’idée a germé dans l’esprit de Francis Chateauraynaud : « C'est en janvier 1996, lors d'une réunion de travail où j'avais plusieurs possibilités pour nommer ces acteurs et où les options de mes collègues ne me plaisaient pas : prophètes de malheur, capteurs, dénonciateurs. J'ai trouvé « lanceur d’alerte » pour dégager en touche. (…) Whistleblowers (le pendant anglais de lanceurs d’alertes, ndlr) ne m'allait pas non plus, car peu de gens connaissaient et que la traduction officielle était aussi " dénonciateurs ". »

 

J'ai trouvé « lanceur d’alerte » pour dégager en touche. (…) Whistleblowers ne m'allait pas non plus, car peu de gens connaissaient et que la traduction officielle était aussi " dénonciateurs "

Il reprend « lanceur d’alerte » par la suite dans l’ouvrage sociologique Les Sombres précurseurs paru en 1999, qu’il réalise en duo avec le sociologue Didier Torny. En découle la définition suivante de lanceur d’alerte : il s’agit « d’une personne ou d’un groupe qui estime avoir découvert des éléments qu'il considère comme menaçants pour l'homme, la société, l'économie ou l'environnement et qui de manière désintéressée décide de les porter à la connaissance d'instances officielles, d'associations ou de médias, parfois contre l'avis de sa hiérarchie

 

Tout le monde peut-il être considéré comme un lanceur d’alerte ?

Le projet de loi, adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 17 novembre dernier, indique que « sera considérée comme un lanceur d'alerte la personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation du droit international ou de l’Union européenne, de la loi ou du règlement ».

 

L’enjeu est de rendre socialement acceptable de prendre la parole sur un sujet donné, sans savoir si on a raison ou tort. Pour cela, il faut un milieu pour accompagner le lanceur d’alerte, dans lequel il sera entendu, où le problème sera discuté, sans dommages psychologiques

Pour Francis Chateauraynaud, « l’enjeu est de rendre socialement acceptable de prendre la parole sur un sujet donné, sans savoir si on a raison ou tort. Pour cela, il faut un milieu pour accompagner le lanceur d’alerte, dans lequel il sera entendu, où le problème sera discuté, sans dommages psychologiques. »

En parallèle, de nouveaux outils de lancement d’alerte ont été mis à la portée de tous ces dernières années. Des plateformes en ligne ont vu le jour petit à petit, comme WhistleB. Celle-ci annonçait en juin 2020 avoir enregistré une hausse de 40% des alertes émises, la plupart liées au non respect par certaines entreprises des mesures en vigueur pour lutter contre la pandémie de Covid-19. N’importe quel individu avec une information à divulguer peut être considéré comme un lanceur d’alerte, selon cette plateforme.

« Pour la population, un lanceur d’alerte peut-être la personne qui dénonce un délit qui s’est déroulé sous ses yeux, or ce n’est pas ça. Sinon on pourrait considérer les personnes qui dénoncent celles qui abritent illégalement des immigrés illégaux comme des lanceurs d’alerte », résume Francis Chateauraynaud.

 

Daniel Ellsberg, le premier lanceur d'alerte

L’histoire retient l’américain Daniel Ellsberg comme le premier lanceur d’alerte lors de l’affaire des Pentagon papers, presque 30 ans avant que le terme français soit créé. En 1971, ce dernier, alors analyste militaire, avait dévoilé des dossiers secrets en rapport avec la guerre du Vietnam et prouvant la responsabilité des Etats-Unis dans l’intensification du conflit.

 

On peut très bien imaginer que quelqu’un vienne avertir César de la présence des barbares à la frontière et que celui-ci lui réponde qu’il a autre chose à faire

D’aucuns diraient que les premiers lanceurs d’alerte pourraient être des personnes ayant vécu à des époques bien antérieures au XXème siècle. M. Chateauraynaud n’est pas totalement contre cette idée et reconnaît que « l’on peut très bien imaginer que quelqu’un vienne avertir César de la présence des barbares à la frontière et que celui-ci lui réponde qu’il a autre chose à faire ».

 

La crédibilité, ou le premier défi du lanceur d’alerte

Cette dernière phrase souligne avant tout la première contrainte d’un lanceur d’alerte : la crédibilité. « ll y a toujours une espèce de barrière à la fois morale, politique et pratique. Il est vrai que quand on découvre, dévoile ou voit venir quelque chose, on a en face de soi un mur d'incompréhension, de décrédibilisation, de relativisation », ajoute le sociologue.

L’exemple d’Irène Frachon est tout indiqué pour illustrer cette déclaration. Cette pneumologue française avait joué un rôle prépondérant dans l’affaire dite du Mediator. Malgré tout un milieu pour la soutenir, des preuves solides et même la conservation de son emploi, son action a seulement abouti « après 10 ans de combat ».

 

Comment protéger les lanceurs d’alerte ?

En plus d’un souci de crédibilité, les lanceurs d’alerte peuvent s’exposer à de nombreux dangers : que ce soit pour la sécurité de leur emploi ou même de leur propre vie. La proposition de loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte simplifie la procédure de la loi Sapin II et permet au lanceur d’alerte de choisir entre un signalement interne (auprès de son entreprise ou administration) et un signalement externe (à l'autorité administrative ou judiciaire ou à un ordre professionnel). Il était obligatoire auparavant de se référer en premier lieu à sa hiérarchie. La divulgation publique ne sera toujours possible que dans certaines situations : absence de traitement, danger imminent ou risque de représailles.

 

Un décret devrait préciser la liste des autorités administratives compétentes. Le lanceur d’alerte pourra cependant compter sur l’appui du Défenseur des droits, qui pourra l’orienter et l’accompagner.

La proposition de loi renforce aussi les garanties de confidentialité et rajoute à la liste des représailles punies par la loi : l’intimidation, l’atteinte à la réputation notamment sur les réseaux sociaux ou encore l’orientation abusive vers des soins. Les représailles contre un lanceur d'alerte seront désormais passibles de 3 ans de prison et de 45.000 euros d’amende. L’entourage d’un lanceur d’alerte (proches, collègues, syndicats, associations mais aussi facilitateurs) pourront bénéficier de la même protection.

 

D’Assange à Haugen, en passant par Snowden : tour d’horizon de lanceurs connus mondialement

Là où certains ont fait le choix de la sécurité en restant dans l’anonymat, comme ce fut le cas pour les Pandora Papers, d’autres ont sauté le pas à visage découvert.

Julian Assange, dont l’action est essentiellement militante, comme le souligne M. Chateauraynaud, s’est fait connaître en 2010 durant l’affaire WikiLeaks concernant la façon dont était menée la guerre en Irak et en Afghanistan par les Etats-Unis et leurs alliés. Edward Snowden, quant à lui, a révélé en 2013 des informations secrètes de la NSA, dévoilant les programmes d’écoute téléphonique et de surveillance de masse existant non seulement aux Etats-Unis mais également au Royaume-Uni.

Ces deux individus se sont ainsi retrouvés dans la ligne de mire des pays concernés et ont dû chercher refuge afin de se placer hors de portée de toutes représailles juridiques. Si Snowden est parvenu à obtenir un statut de résident permanent en Russie, Assange a, quant à lui, été incarcéré au Royaume-Uni en 2019.

L’exemple le plus récent d’alerte d’envergure internationale est survenu en 2021 avec les révélations faites par Frances Haugen sur les effets néfastes de l’algorithme de Facebook. A l’instar d’Irène Frachon, l’ingénieure américaine s’est très bien préparée et entourée, après deux années entière dédiées à collecter des données à l’appui de ses accusations.