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David Baverez : « L’Europe n’a jamais eu autant besoin de la Chine »

Couverture du livre "Chine - Europe : le grand tournant" de David BaverezCouverture du livre "Chine - Europe : le grand tournant" de David Baverez
Écrit par Caroline Chambon
Publié le 10 août 2021

Quel avenir pour les relations sino-européennes ? David Baverez, auteur de « Chine-Europe : le grand tournant », revient sur la complémentarité économique entre les deux civilisations.

Comment envisager le futur des relations entre la Chine et l’Europe ? David Baverez, auteur de « Chine-Europe : le grand tournant » (2021, Le Passeur), prend le parti d’une nécessaire collaboration entre les deux puissances, basée sur leurs complémentarités et leurs forces. Selon lui, le monde de demain ne peut se construire, pour chacune des deux puissances, que si elles acceptent de forger un nouvel axe sino-européen.

 

Qu’est-ce qui vous a donné envie d'écrire ce livre ?

Il s'agit de la période la plus inédite que nous vivons après le Covid. C'est un "grand tournant" aussi bien pour l'Europe que pour la Chine. En Europe, les taux d'intérêt sont à zéro, il n'y a donc plus de croissance. L'Europe n'a jamais eu autant besoin de la Chine et de sa croissance. La Chine n'a jamais eu autant besoin de l'Europe, parce qu'elle a besoin de productivité. Pour cela, elle a besoin de technologies occidentales que les Etats-Unis ne sont plus prêts à fournir. Elle ne peut que collaborer avec l'Europe, que s'ouvrir au reste du monde. Nous sommes dans ce que j'appelle la "paix froide sino-américaine" : la seule alternative de la Chine est l’Europe. Mais si nous n'arrivons pas à établir ce dialogue, nous courrons le risque que ce qu'il s'est produit dans les années 30, avec les barrières et les frontières, se reproduise.

 

Je suis obligé d'écrire un roman fiction, car dès que l'on parle de la Chine, on est catalogué soit comme pro-chinois, soit comme anti-chinois.

 

Dans ce livre, vous imaginez cinq interactions de Xi Jinping avec des experts européens. Quel message essayez-vous de faire passer à travers ces rencontres ?

Je compare l'Europe, une région, avec un pays, la Chine. Voilà mon premier message. Je suis obligé d'écrire un roman fiction, car dès que l'on parle de la Chine, on est catalogué soit comme pro-chinois, soit comme anti-chinois. Le véritable message est qu'il faut s’intéresser à la Chine. Avec le Covid, nous passons d'une planète de 700 millions de privilégiés occidentaux à une planète de 8 milliards. Nous ne pouvons pas avoir le même modèle économique et le même mode de vie. Il faut se tourner vers la Chine car elle a inventé un nouveau business model. Elle ne peut pas copier nos modèles sans qu'il y ait un problème au niveau du capital, du capital humain, ou sur le plan environnemental.

 

Aujourd'hui, il y a deux Chines. Une Chine qui souhaite se refermer sur elle-même, et une Chine du secteur privé, qui sait que chaque fois que la Chine s'est fermée, elle est allée dans le mur.

 

Pensez-vous réellement que la coopération entre l'Europe et la Chine soit possible malgré certaines différences, notamment sur le plan des droits de l’homme ?

Ce livre est écrit pour le 21e siècle dans son ensemble. Je ne pense pas qu'en 12 ou 24 mois, nous résoudrons le problème. Il s'est passé la même chose au 20ème siècle. Si j'avais écrit ce livre en 1921, en affirmant que l'Europe et les Etats-Unis devaient se rapprocher, tout le monde m'aurait ricané au nez. En 1920, les Etats-Unis avaient tué dans l'oeuf la Société des Nations. Aujourd'hui, il y a deux Chines. Une Chine qui souhaite se refermer sur elle-même, et une Chine du secteur privé, qui sait que chaque fois que la Chine s'est fermée, elle est allée dans le mur. Il lui manque la technologie et la productivité pour se développer. Il y a, en Chine, encore 600 millions de personnes qui gagnent 150 dollars par mois. La pauvreté n'a pas été vaincue. Voilà le "grand tournant" : la Chine va-t-elle se refermer ou s'ouvrir ? En cessant de considérer l’accord global sur les investissements chinois en décembre 2020, l’Union européenne a donné des munitions à la Chine isolationniste, et a enlevé des arguments à la Chine qui veut s'ouvrir.

 

Le but n'est pas de "devenir chinois" ou membre du Parti communiste, mais de tenir compte des deux systèmes et de leurs complémentarités.

 

Vous faites le parallèle avec le rapprochement entre l'Europe et les Etats-Unis au 20ème siècle, mais ce dernier n'a pas été purement économique. Pensez-vous que le rapprochement entre la Chine et l'Europe puisse tout de même se faire ?

Nous avons une rivalité systémique entre nos systèmes, qui sont naturellement complètement différents, ce qui n'était pas le cas au 20ème siècle entre l'Europe et les Etats-Unis. Mais cela ne signifie pas qu’ils ne peuvent pas coexister. Il faut pour cela que le monde politique change son mode opératoire et passe d'un concept de réciprocité à un principe de complémentarité. Voila pourquoi j'ai fait ces dialogues entre Xi Jinping et des experts européens. Chaque système a ses forces et ses faiblesses. Le but n'est pas de "devenir chinois" ou membre du Parti communiste, mais de tenir compte des deux systèmes et de leurs complémentarités. La vraie question à se poser est la suivante : de quoi la Chine a-t-elle besoin, qu'elle n'a pas, que nous avons et que nous sommes prêts à lui facturer ?

 

En mariant l'imagination de l'inconnu à l'optimisation du connu, vous avez une solution pour une planète de 8 milliards d'habitants.

 

Vous parlez des atouts respectifs de la Chine et de l'Europe. Quels sont-ils et comment peuvent-ils être combinés ?

L'Europe est une anomalie. Historiquement, nous détenons un tiers des idées mondiales, alors que nous ne représentons que 7% de la population. L'Europe excelle dans l'inconnu, la découverte. Nous sommes très imaginatifs, et extrêmement ouverts culturellement aux autres. Les Chinois, au contraire, excellent dans le connu, et excellent à l'optimiser. Ils arrivent à répondre à un besoin, car ils le ciblent de manière très précise, avec les modèles freemium (stratégie commerciale qui propose un service gratuit et vise à attirer le plus grand nombre d'utilisateurs possibles, ndlr). Elle va optimiser le connu afin d'obtenir une structure de coûts très inférieure. En mariant l'imagination de l'inconnu à l'optimisation du connu, vous avez une solution pour une planète de 8 milliards d'habitants.

 

Quels sont les principaux risques, respectivement, auxquels la Chine et l'Europe doivent faire face ?

Le principal risque est que la Chine repliée sur elle-même gagne. Le risque européen est ce que nous voyons maintenant avec le Parlement européen, qui ne veut pas de l'accord global sur l'investissement avec la Chine. Aujourd'hui, le risque est le fossé entre, d'une part, un monde politique qui ne se parle plus, ou moins et, d'autre part, le monde des affaires qui, au contraire, construit depuis 15-20 ans des complémentarités par la globalisation. Les entrepreneurs, chinois comme européens, veulent continuer à collaborer parce qu'ils savent que la croissance sera générée de cette façon.

 

Mais plus vous vous intéressez à la Chine, plus vous réalisez que nous avons en réalité une commonalité de cultures millénaires.

Pourquoi aime-t-on aussi peu la Chine, selon vous ?

Tout d'abord parce que nous ne la connaissons que très peu. La situation est exactement l'inverse des Etats-Unis. Si vous allez aux Etats-Unis, vous partez avec un a priori extrêmement positif, car vous connaissez seulement cinq ou six villes côtières. Mais en rentrant à l'intérieur des terres, vous êtes déçu parce que vous tombez sur l'isolationnisme américain. Pour la Chine, le schéma inverse s'opère. Vous partez avec un a priori extrêmement négatif parce que vous pensez que la Chine n'est que son gouvernement. Mais plus vous vous intéressez à la Chine, plus vous réalisez que nous avons en réalité une commonalité de cultures millénaires. Nous en sommes en fait plus proches qu'avec les Etats-Unis. C'est un immense paradoxe.

 

Nous ne faisons que reconstruire des frontières depuis le début de la crise sanitaire, ce qui est très mauvais, non seulement pour les affaires, mais aussi culturellement et au niveau environnemental, alors que les problèmes que nous avons à résoudre sont à échelle planétaire.

 

Vous évoquez le déclin de l'hégémonie américaine et son pendant, la montée en puissance de la Chine. Quel sera, selon vous, l'horizon dans les années à venir ?

En ce qui concerne les relations sino-américaines, je pense que nous rentrons dans une ère de paix froide, pas de Guerre froide. Il y a 500 milliards de dollars d'échanges entre les deux pays, ils sont donc condamnés à s'entendre sur un certain nombre de points. Mais il s'agit tout de même d'une paix froide, c'est-à-dire qu'il y aura des conflits larvés en permanence. Et le grand risque est celui du découplage et de la réapparition des frontières. Nous ne faisons que reconstruire des frontières depuis le début de la crise sanitaire, ce qui est très mauvais, non seulement pour les affaires, mais aussi culturellement et au niveau environnemental, alors que les problèmes que nous avons à résoudre sont à échelle planétaire.

 

Il va probablement émerger un monde où les Etats-Unis vont devoir cohabiter, par rapport à la période post-1989, où ils étaient clairement la seule puissance mondiale.

 

Les Etats-Unis connaissent-ils, selon vous, un déclin économique et culturel dans leur influence dans le monde ?

Je pense que nous allons assister à un rééquilibrage. Les Etats-Unis ont selon moi atteint un plateau qui tient principalement à des questions démographiques. En 2035, les minorités ethniques deviendront majoritaires aux Etats-Unis. Ce changement de paradigme sera incontestablement source de tensions sociales. Le melting pot qui a fait le succès des Etats-Unis au 20ème siècle, sera bien plus complexe au 21ème siècle. La montée de la Chine est, quant à elle, mathématique. La fin de l'hégémonie américaine n'est pas facile à prédire. Les Etats-Unis ne vont pas pour autant disparaître de la carte, mais l'on peut s'attendre à un rééquilibrage. Il va probablement émerger un monde où les Etats-Unis vont devoir cohabiter, par rapport à la période post-1989, où ils étaient clairement la seule puissance mondiale.

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