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To the Moon and … Mars : tout comprendre de la conquête spatiale avec Nicolas Maubert

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Nicolas Maubert et le satellite SWOT d'observation des océans et eaux douces, lancé le 12 décembre prochain, symbole de coopération franco-américaine.
Écrit par Natacha Marbot
Publié le 6 novembre 2022, mis à jour le 7 novembre 2022

La France fait partie des grandes puissances spatiales dans le monde. Ce fait n’est pas inconnu, mais ce qui se trame dans les coulisses de l’exploration spatiale l’est plus. Nicolas Maubert, conseiller en spatial et représentant du Centre national d'études spatiales (CNES) à l’Ambassade de France à Washington, a accepté de dévoiler les dessous de la collaboration franco-américaine dans ce domaine prestigieux. 

 

Diplômé ingénieur de l’ISAE-SUPAERO de Toulouse, Nicolas Maubert a toujours été passionné par le domaine spatial. Combinant plusieurs casquettes, il a travaillé à la fois dans l’industrie, à l’Agence Spatiale européenne (ESA), au Centre national d'études spatiales (CNES) et aujourd’hui dans la diplomatie. En poste à Washington depuis 2019, Nicolas Maubert a auparavant travaillé en Italie, aux Pays-Bas et en Guyane française. Le CNES a des bureaux dans 8 pays avec lesquels la France entretient des relations privilégiées. « Au sein de la Direction de l’Europe de l’international, le CNES envoie des représentants en ambassades, qui jouent le rôle de conseillers spéciaux » explique Nicolas Maubert.

 

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La collaboration franco-américaine dans le spatial est longue et riche en rebondissements 

Comme le souligne Nicolas Maubert, « la collaboration franco-américaine dans le domaine du spatial est très ancienne puisqu’elle a commencé dès la création du CNES en 1961 et l’établissement du bureau à Washington en 1965. » Cette coopération couvre historiquement tous les domaines techniques et scientifiques du spatial, avec des programmes emblématiques dans l’exploration, les sciences et l’observation de la Terre, principalement entre la NASA, le CNES et la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration, en charge des satellites météo). 

Depuis quelques années, l’écosystème spatial est en pleine mutation avec notamment l’arrivée de nouveaux acteurs institutionnels et privés. Ainsi le champ de collaborations s’élargit aux domaines diplomatiques, réglementaires et juridiques, industriels et commerciaux, essentiels au développement durable de l’espace et pour le futur de l’exploration spatiale. « L’avènement du New Space a amené de nouvelles façon de penser les programmes spatiaux,  en tenant compte de tous les aspects, non seulement scientifiques mais également financiers, juridiques … ».

La collaboration institutionnelle évolue toujours au gré des différents gouvernements.  Après un mandat Obama qui s’était quelque peu désintéressé du sujet, le gouvernement Trump a effectué une grande restructuration de la politique spatiale américaine en réinstaurant le National Space Council. À noter - l’administration Biden a maintenu ces instances et les programmes spatiaux engagés par son prédécesseur. « Sujet bipartisan entre Républicains et Démocrates sur fond de nouvelle course à l’Espace avec la Chine, le spatial est l’un des seuls secteurs où l’on a constaté une réelle continuité politique entre les administrations Trump et Biden » confirme Nicolas Maubert. La NASA a ainsi vu son budget croître constamment depuis 2017.

 

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L’espace, une priorité pour les pouvoirs publics français et pour la diplomatie 

Pour la France, le spatial a toujours été un centre d'intérêt. Mais comme Nicolas Maubert le souligne, plus le temps passe, et plus le spatial acquiert aussi une dimension diplomatique forte. « À titre d’exemple, pendant la présidence française de l’Union Européenne au 1er semestre 2022, la France a organisé un sommet spatial à Toulouse (le 18 février). Emmanuel Macron a alors mis en avant les défis et enjeux du spatial à l’échelle globale et les besoins de structurer une politique spatiale européenne forte et souveraine autour de thèmes majeurs comme l’exploration, le spatial au service de la lutte contre le changement climatique, les télécommunications, ou le développement durable de l’Espace ». Suite à l’affaire « AUKUS », le spatial a joué un rôle essentiel dans la reconstruction des relations diplomatiques abimées entre la France et les Etats-Unis. Auparavant l’apanage des agences spatiales (NASA, ESA, CNES etc.), les discussions ont aujourd’hui aussi lieu entre gouvernements. Cela montre l’ampleur que le spatial a pris dans la liste des priorités nationales - et particulièrement pour la France. 

 

Station spatiale internationale
Station Spatiale Internationale (ISS)

La France a une place de choix dans l’exploration spatiale 

Comme le rappelle Nicolas Maubert, la France a toujours été innovante : « nous sommes le troisième pays à avoir lancé une fusée, et avoir placé un satellite en orbite en 1965, juste après les Etats-Unis et l’URSS. La France a aussi été le deuxième pays à avoir une agence spatiale (1961), après la NASA (1958). » Aujourd’hui, l’Hexagone fait toujours partie de la tête de peloton : une présence française a été assurée sur toutes les explorations martiennes jusqu’alors. La dernière en date ? Perseverance, dont lepetitjournal.com avait déjà discuté avec Baptiste Chide, qui a travaillé sur l’instrument français SuperCam du rover Perseverance. 

Les ingénieurs et entrepreneurs français ne manquent pas d’opportunités : « depuis deux ans environ, on observe la création d'une start-up française dans le spatial chaque semaine. Les possibilités sont infinies, car ces entreprises réfléchissent autant à la construction de nouveaux petits satellites qu’à l’utilisation sur Terre des données satellitaires pour développer toute sorte d’applications. » En effet, les données transportées par les satellites ouvrent le champ de possibles, dans de nombreux secteurs. Parmi eux : l’agriculture, la mobilité, l’urbanisme, la télémédecine ou encore la possibilité pour des entreprises comme Uber de fonctionner par GPS.

 

Robot Perseverance NASA/JPL-Caltech/MSSS
Robot Perseverance NASA/JPL-Caltech/MSSS

 

Le spatial et la lutte contre le dérèglement climatique sont intimement liés 

Cependant il s’agit de ne pas se perdre dans les étoiles. L’urgence climatique est là et le domaine spatial ne l’oublie pas - du moins pas les agences. « Au CNES, nous avons une nouvelle direction, celle du développement durable. Elle réfléchit à la fois à l’impact direct, en termes d’émissions de gaz à effets de serre, du lancement des fusées - dont le nombre augmente, mais surtout à la durabilité de l’environnement spatial. » En effet, ce que l’on nomme l’orbite basse (entre 500 et 1.500km d’altitude) risque la saturation. Les besoins en données satellites ne cessent d’augmenter, donc le nombre d’objets en orbite aussi. Pour exemple, la constellation Starling de SpaceX compte 2.500 satellites lancés en deux ans, alors que l’Homme en a lancé 5.000 en 50 ans. « Pour l’instant, rien n’est régulé, on manque d’un cadre légal. » 

La France est justement leader dans la matière. En 2008, la Loi relative aux opérations spatiales a été votée à l’Assemblée, pour réguler les lancements et réfléchir à la gestion des débris dans l’espace. Les discussions se font aussi au niveau onusien, grâce notamment au COPUOS, un comité mis en place en 1958, qui a notamment approuvé en 2019 des Long term sustainability guidelines (recommandations de durabilité à long terme). 

« Il ne faut surtout pas négliger le rôle essentiel du spatial au service de la lutte contre le changement climatique. Sur les 50 variables servant à caractériser l’évolution du climat, plus de la moitié viennent d’observations satellites. » souligne Nicolas Maubert. En effet, les satellites peuvent observer la Terre et l’atmosphère de façon globale et dans toutes les bandes spectrales : « on peut observer non seulement directement la fonte des glaces, mais également le taux de chlorophylle dans les arbres, la salinité des océans, la sécheresse des sols … » L’espace offre également la possibilité de s’adapter aux conséquences du réchauffement climatique. Ainsi, la France, toujours pionnière dans la matière, a lancé en 2019 le Space for Climate Observatory, une initiative qui regroupe 35 pays (les Etats-Unis l’ont rejoint en juin dernier), et qui vise à développer et partager des outils opérationnels utilisant les données des satellites. Le but ? Prévenir les inondations, lutter contre les incendies, caractériser l’érosion des côtes et la déforestation et bien plus encore. 

 

Mars

 

Où en est l’exploration de Mars ? L’Homme y vivra-t-il un jour ? 

Lorsque l’on aborde l’épineuse question de la conquête de Mars par l’être humain, Nicolas Maubert se montre optimiste mais nuancé. « On s’emballe beaucoup autour de Mars, mais nous en sommes encore très loin. Nous allons devoir développer des moyens technologiques et opérationnels totalement nouveaux pour pouvoir vivre en autonomie sur une autre planète, sans parler des moyens de transport.» Pourquoi aller sur Mars d’ailleurs ? « Au-delà de l’aspect pionnier, essentiel chez l’Homme, les scientifiques veulent explorer Mars pour comprendre son évolution, et par cela en apprendre plus sur notre propre planète Terre. »

Comme nous l’explique Nicolas Maubert, des traces d’eau passée ont été découvertes sur Mars, et qui dit eau, dit potentialité de vie. « Si l’on trouvait de la vie sur Mars, une planète aussi proche de chez nous, alors la probabilité qu’il y ait de la vie ailleurs serait très forte. » Cependant, il reste encore beaucoup d’inconnues concernant le voyage vers Mars : « on compte l’exposition aux radiations, l’absence de gravité prolongée, les conséquences physiologiques et psychiques d’un voyage aussi long … » Si l’Homme est encore loin de coloniser Mars, une stratégie déjà bien implantée est celle de « Moon to Mars ». 

 

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To the Moon and … Mars 

Aujourd’hui, la Lune redevient le centre de l’attention, alors qu’elle a été quelque peu délaissée depuis la fin de la Guerre froide - personne ne l’a foulée depuis 1972. Le voyage entre la Terre et la Lune dure 2 à 3 jours, celui vers Mars 6 mois. L’idée du programme Artemis est de tester et valider les moyens permettant de vivre sur la surface lunaire - à terme être même autosuffisant, pour envisager toutes les problématiques de la vie courante. La France fait partie des leaders de ce programme qui réunit aujourd’hui 21 pays, à travers sa contribution à l’Agence Spatiale Européenne. Elle fournit des éléments essentiels à la Gateway, la future station spatiale orbitale lunaire qui hébergera les astronautes entre leurs séjours sur la surface lunaire. Nicolas Maubert ne s’en cache pas, il souhaiterait voir Thomas Pesquet intégrer cette mission, pour qu’il puisse être le premier européen à poser le pied sur la Lune (les négociations sont en cours). 
 

La prochaine étape ? Le lancement de la fusée Artémis 1, plusieurs fois repoussée et prévue pour le 14 novembre 2022. Vous pourrez même suivre le lancement de la fusée sur la chaîne twitch du CNES.