Objectif expatriation sur Mars ? Baptiste Chide est un jeune chercheur français post-doctorant en planétologie qui travaille actuellement à Los Alamos aux États-Unis. Travaillant sur la mission Perseverance de la NASA, il nous a raconté les dernières recherches sur Mars et son expérience d'expatriation au Nouveau-Mexique.
Si on vous parle d’une expatriation dans l’espace, qu’est-ce que cela vous évoque ?
Pour moi qui travaille dans le spatial, cela évoque tout de suite un rêve. Marcher sur la Lune, aller dans l’espace, marcher sur Mars ! C’est un rêve qui va bientôt devenir réalité pour cette génération de jeunes chercheurs : nous cherchons des astronautes pour aller sur la Lune, sur l’ISS (Station Spatiale Internationale) et bientôt sur Mars. Je suis ravi de voir que tous ces projets d’expatriation dans l’espace, qui sont pour moi plutôt des missions scientifiques, se concrétisent aujourd’hui.
Nous explorons Mars pour comprendre, dans la réalité, comment fonctionnent nos théories élaborées sur Terre.
Pensez-vous que les humains habiteront un jour sur Mars ? Pourquoi ce choix de Mars ?
Il faut bien noter que nous nous intéressons à Mars aujourd’hui d’abord pour son exploration scientifique. Mars est la planète voisine la plus proche de la Terre, dans les deux sens du terme car elle a aussi un passé commun avec elle. La planète Mars s’est formée dans les mêmes conditions que la planète bleue. Après 70 ans d’explorations, nous nous sommes rendus compte que le premier milliard d’années d’existence de Mars était similaire à celui de la Terre. C’est à dire un océan de magma qui s’est refroidi, et qui a abrité un jour de l’eau, avec des conditions qui rendaient Mars habitable : de l’eau, de l’énergie, de la stabilité. Ainsi il y aurait pu avoir de la vie sur cette planète à ce moment-là. Puis Mars a connu un changement climatique absolument drastique qui l’a laissée telle que nous la connaissons aujourd’hui : une planète froide et désertique. La différence entre les deux planètes est que la Terre connait encore de grands mouvements, notamment grâce aux plaques tectoniques et à l’érosion par le vent, l’eau, la vie, ce qui fait que l’activité géologique terrienne est permanente et que sa surface est en permanence renouvelée. Mars en revanche, est figée depuis trois milliards d’années. Ainsi, lorsque nous explorons Mars, nous avons accès à des roches de trois milliards d’années, c’est un accès fondamental à la Terre du passé. C’est une forme de fenêtre sur le passé pour comprendre ce qui a pu se passer dans notre Système Solaire.
Nous explorons Mars pour comprendre dans la réalité comment fonctionnent nos théories élaborées sur Terre. Mars est un laboratoire à l’échelle planétaire. C’est ce qu’on appelle la planétologie comparée. Cette étude des planètes est une sous-discipline de l’astrophysique, elle croise les domaines de la géologie, de la géophysique, de la science atmosphérique… Nous nous intéressons aux planètes telluriques (Mars, la Terre, Vénus, Mercure) et les géantes gazeuses (Jupiter, Uranus, Neptune, Saturne) qui sont des mondes bien plus éloignés et froids mais très intéressants pour comprendre le fonctionnement du Système Solaire.
En tant que jeune chercheur, je me rends bien compte qu’il n’y a pas de planète B.
Quelle est, à ce jour, la planète la plus viable ?
On ne parle pas de viabilité, mais d’habitabilité : c’est-à-dire une zone assez loin du soleil pour ne pas être un enfer trop chaud (comme Mercure) mais pas trop loin pour pouvoir recevoir l’énergie solaire qui permet des températures relativement douces. La thématique de la recherche de la vie dans le Système Solaire est précieuse, c’est aussi ce qui permet d’avoir des financements. Nous cherchons ainsi des traces de la vie passée.
Vénus, à certains endroits assez hauts de son atmosphère, pourrait réunir des conditions de températures, de pression et de chimie nécessaires à l’habitabilité, comme Mars l’aurait connu par le passé. Il existe aussi des satellites de glace autour de Jupiter (Europe), de Saturne (Encélade et Titan) avec de telles conditions. Ils possèdent des quantités d’eau incroyable sous forme d’océans enfouis sous leur surface glacée, en contact avec de la roche et donc potentiellement sources de vie. Ce sont des satellites très loin et difficiles d’accès qui nécessitent des missions ambitieuses. Ces missions existent, notamment la mission américaine Juno, qui survole Europe en s’intéressant à Jupiter et la mission Dragonfly de la NASA qui enverra un drone sur Titan, qui présente une atmosphère intéressante, constituée d’azote et de méthane. Le décollage est prévu en 2027 avec une arrivée en 2033 sur Titan.
Cependant le message principal est le suivant : la Terre est aujourd’hui le seul monde habitable. En tant que jeune chercheur, je me rends bien compte qu’il n’y a pas de planète B. Nous n’allons pas explorer les planètes pour s’y installer et chercher à y vivre. La Terre est le seul monde dans lequel nous pouvons vivre et c’est pour cela qu’il faut en prendre soin. Lorsque vous comparez la Terre avec l’enfer des planètes Vénus ou Mercure, vous réalisez l’importance de préserver notre Terre telle qu’elle est. Il s’agirait d’éviter qu’elle ne ressemble un jour à Mars ou Venus.
Qu’est-ce que la recherche spatiale apporte en termes de solutions pour le changement climatique ?
L’exploration spatiale a permis de mettre en orbite des satellites qui fournissent de manière très précise, depuis les années 1990, les informations nécessaires à la surveillance de l’évolution du climat terrestre. Nous avons pu observer et quantifier ainsi la montée du niveau des mers depuis l’espace. Nous avons plusieurs fois entendu Thomas Pesquet dire qu’entre ses deux missions, il a vu des changements : la forêt a diminué de surface notamment, et cela marque un individu. Cela peut-être un des (rares) aspects positifs et optimistes du tourisme spatial : faire réaliser aux gens qui ont les moyens la dimension unique de la Terre.
L’exploration spatiale émet du CO2, c’est indéniable. Mais c’est aussi ce qui nous permet d’élaborer les technologies dont nous auront besoin dans le cadre de la transition énergétique - c’est déjà le cas des panneaux solaires par exemple.
Prendre du recul ainsi nous fait réaliser à quel point la Terre est une bulle de vie unique. Il ne faut pas se dire qu’on ira se réfugier sur Mars ou Vénus ce n’est pas possible, je le répète, il n’y a pas de planète B.
La science ne devrait pas être mise de côté au profit de cette course à la privatisation de l’espace.
Pensez-vous que la privatisation de la conquête spatiale aide les recherches et les découvertes ?
C’est une question très importante. Nous entendons beaucoup parler d’Elon Musk qui veut « s’offrir Mars ». Cependant, il faut se souvenir qu’en 2002, lors de la création de SpaceX, il parlait de fusées et de lanceurs réutilisables. À ce moment-là, tout le monde scientifique et spatial était sarcastique et méprisant à son égard. Et pourtant aujourd’hui, les agences spatiales européennes et chinoises se mettent également sur ce types de projets. Il a donc le mérite d’avoir renversé le système et d’avoir fait preuve d’une rapidité extraordinaire dans la réalisation de ses progrès technologiques. Il rend l’accès à l’espace beaucoup plus facile : aujourd’hui l’orbite terrestre, demain la Lune et après demain Mars !
Cependant en tant que chercheur, je ne peux m’empêcher d’avoir peur que l’espace soit utilisé pour de mauvaises raisons, qu’on aille l’exploiter pour rien. La science ne devrait pas être mise de côté au profit de cette course à la privatisation de l’espace. Je suis passionné de l’exploration des astéroïdes et me dire qu’on puisse les utiliser comme ressources me déplait beaucoup. Je ne cherche pas à coloniser Mars et la changer. Je veux voir comment elle est aujourd’hui, pour comprendre comment notre planète évolue. Cela-dit, l’augmentation de la fréquence de décollage fait baisser les prix et rend la Lune, par exemple, plus abordable, ce sont pour nous des opportunités supplémentaire d’y poser des instruments scientifique, donc une bonne nouvelle..
Lorsqu’on explore l’espace, il ne faut pas être trop pressé : développer de beaux instruments robustes prend du temps. La mission Persévérance a demandé dix ans de développement et avant cela encore plus d’années pour déterminer les besoins et ce qu’il y avait à chercher. Les choses sont donc accélérées aujourd’hui par le « New space » (Jeff Bezos et Elon Musk principalement) mais il faut faire attention à cela.
L’espace et sa quête sont-ils des facteurs de rapprochement entre les humains, entre les pays ?
Evidemment, la course à l’espace est un facteur de collaboration internationale. L’ISS est née de la collaboration entre les Américains, les Russes et les Européens. Malgré la guerre en Ukraine depuis le 24 février dernier, la collaboration dans l’ISS continue. En revanche, toutes les autres collaborations scientifiques avec les Russes sont malheureusement à l’arrêt. Comme exemple de cela, je pense à la mission russo-européenne ExoMars qui s’est préparée en deux parties : l’orbiteur lancé en 2016 - qui marche remarquablement bien depuis, et la deuxième partie de la mission qui devait être lancée à l’automne de cette année. Cette dernière a été arrêtée du fait de la fin de la collaboration avec les Russes. Je pense aux scientifiques européens et russes qui travaillent sur cette mission depuis des dizaines d’années et qui voudraient continuer à faire leur travail mais qui ne peuvent pas. Donc oui, les conflits ont des répercussions sur les explorations scientifiques.
Pendant la Guerre froide également, la compétition géopolitique entre Etats-Unis et URSS a été un vecteur fort dans la course à la Lune. On retrouve aujourd’hui encore ce types de dynamiques, notamment avec les Chinois.
L’exploration scientifique de Mars relève de l’intérêt de l’humanité et elle ne pourra se faire que par le biais de la collaboration entre les pays. Je peux prendre pour exemple la mission Persévérance de la NASA que je connais bien car j’y participe. Elle est financée par les Américains, mais les instruments ont aussi été financés par l’Agence spatiale française. Ensuite l’équipe est composée d’Espagnols, d’Allemands, de Danois qui contribuent tous les jours au succès de la mission. L’Europe se démarque particulièrement bien dans l’exploration spatiale, en interagissant avec les grandes puissances que sont la Chine et les États-Unis, et la Russie.
Qu’est-ce que l’expatriation vous apporte dans votre travail de scientifique ? Travaille-t-on différemment aux Etats-Unis de la France ?
Je travaille au Los Alamos National Laboratory à Los Alamos, Nouveau-Mexique (USA). Cela fait six mois que je suis expatrié et je travaille sur la mission Persévérance de la NASA et en particulier sur la Supercam qui est un instrument franco-américain. Je suis parti de Toulouse travailler avec l’équipe américaine que je connaissais déjà. Je suis post-doctorant donc je n’ai pas encore de poste permanent. L’expatriation est, dans nos domaines, une étape obligatoire pour pouvoir prétendre à un poste de chercheur permanent en France, ce à quoi j’aspire.
L’expatriation me permet effectivement de découvrir de nouvelles méthodes, de nouvelles personnes, de travailler dans une langue étrangère, l’anglais. Je travaille avec des personnes avec qui nous referons des missions, inventerons des instruments, ferons de la recherche : ainsi il est très important de pouvoir tisser des liens d’amitié avec eux.
Les Américains fonctionnent différemment des Français : ils sont toujours à la recherche de financements, alors qu’en France nous avons le système ô combien important du CNRS et de la recherche publique qui nous assure un poste pérenne dans la recherche.
L’expatriation pour moi c’est aussi une aventure particulière : je vis à Los Alamos qui est perchée dans les montagnes à 2200 mètres d’altitude, au milieu de Parcs nationaux qui me permettent des randonnées magnifiques. De ce point de vue là, les Etats-Unis sont superbes. Mais il y a aussi des moment difficiles, ma compagne et ma famille sont en France et la distance peut rendre les choses compliquées. Cela-dit, la distance et l’éloignement renforcent aussi les liens personnels donc cette expatriation reste une expérience géniale, tant sur le plan professionnel que personnel. Néanmoins, j’ai la ferme intention de revenir travailler et vivre en France.