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Radio Al-Salam: un Français à la tête de la seule radio indépendante d’Irak

Radio Al-Salam Radio Al-Salam
Écrit par Sophie Sager
Publié le 14 mars 2023, mis à jour le 11 mai 2023

Radio Al-Salam est une radio multi confessionnelle et indépendante du nord de l’Irak. Elle emploie des journalistes syriens, irakiens, libanais, iraniens et kurdes qui produisent du contenu très éclectique et en plusieurs langues pour les diverses communautés de la région. Lepetitjournal.com a recontré Aymeric de Chezelles, le directeur français de la radio depuis 2021. Il nous explique les rôles des associations et institutions françaises au sein de la construction et de l’opération de la radio.
 

Pouvez-vous nous expliquer votre parcours et ce que vous faites au quotidien à Radio Al-Salam?

J’ai 32 ans et j'ai plutôt un profil associatif. Après différentes expériences dans le domaine de la solidarité internationale (au Togo, Congo et au Maroc), je suis devenu directeur de Radio Al-Salam en 2021. J’avais la volonté de m’immerger dans un projet à mi-chemin entre l’associatif et le journalisme. Le premier est un domaine que je connais bien et le deuxième me passionne sans que j’ai énormément pu y toucher. Le rôle de directeur de Radio Al-Salam était à la frontière de ces deux mondes.

 

La radio produit des contenus en arabe et en kurde

 

L’équipe est assez petite. Nous sommes 9. Toutes les fonctions non journalistiques sont chapeautées par moi. Très concrètement je fais le management de l’équipe, la gestion financière, la gestion des ressources humaines, la recherche de financement, les relations avec les partenaires et bailleurs et la communication. 

 

La radio produit des contenus en arabe et en kurde donc je me repose sur mes collègues, le vice directeur, un Kurde Irakien et la rédactrice en chef, arabophone, pour l’aspect purement éditorial.

 

Quelles sont les spécificités de Radio Al-Salam ?

A l’origine, Radio Al-Salam a été créée pour être la radio des réfugiés et des déplacés en 2015. Des millions d’Irakiens fuyaient Daech. Ils se sont déplacés massivement vers la région autonome du Kurdistan Irakien, logeant, pour des centaines de milliers d'entre eux, dans des camps. Les forces armées kurdes, irakiennes et la coalition internationale ont toujours réussi à protéger le Kurdistan Irakien, qui n'a jamais été occupé par Daech et qui est donc devenu une zone refuge pour les millions de personnes en fuite. 

 

les spécificités de Radio Al-Salam

 

La radio donnait une voix aux personnes qui en étaient privées. Un grand nombre d’entre elles étaient dans des camps de réfugiés ou de déplacés. Le but était de propager un message qui soit le plus opposé possible du message de Daech. Un message de tolérance, de vivre ensemble et d’acceptation de l’autre. 

Aujourd’hui, la radio est toujours présente. Nous fêtons bientôt son 8e anniversaire. C’est la seule radio indépendante du nord de l’Irak, même d’Irak à ma connaissance. 

 

Contrairement à d’autres radios sur le territoire, elle est multi confessionnelle. Nous ne dépendons d’aucun parti politique ou d’aucune congrégation religieuse. Nous prenons le contre-pied absolu de la logique communautariste, majoritairement à l'œuvre en Irak. 

 

Notre but est de montrer la capacité de reconstruire une cohésion après ce qu’a traversé l’Irak.

Notre équipe est un mélange de religions, de nationalités et de communautés différentes. Nous essayons de traduire cela à l’antenne par un contenu très éclectique et très ouvert sur les différentes communautés. Notre but est de montrer la capacité de reconstruire une cohésion après ce qu’a traversé l’Irak.

 

Expliquez-nous le rôle des associations françaises au sein de la radio.

La radio a été cofondée par différents acteurs français: des journalistes, des voyageurs, des associatifs et des hommes d’église. Elle a été créée en 2015 par 3 associations: la Guilde Européenne du Raid (une association d’envoi de volontaires et d’ouverture au monde, qui au Moyen-Orient mène des projets liés à la culture et au patrimoine au service de la paix et de la réconciliation), l’Oeuvre d’Orient (association d’aide aux chrétiens d’Orient) et Radio Sans Frontières (petite structure créée par des journalistes désireux d’appuyer des radios indépendantes à travers le monde). Aujourd’hui, elle continue d’être opérée par ces acteurs.

 

le rôle des associations françaises au sein de Radio Al-Salam

 

Les financements permettant à la radio de poursuivre son œuvre proviennent exclusivement de donateurs français. L'association opératrice de la radio est la Guilde Européenne du Raid. Les financeurs sont l’Agence Française de Développement, les régions Ile-de-France et Auvergne Rhônes-Alpes ainsi que l’Oeuvre d’Orient et le Ministère des Affaires Etrangères.

 

Les financements français permettent de garantir une indépendance religieuse et politique de la radio. Même avec cette aide, est-ce compliqué de garder cette précieuse indépendance?

Concernant l’indépendance par rapport à la France, pour être honnête, nous n'allons, bien sûr, pas produire de contenu critique concernant son action sur place. Mais c’est une proportion quasi inexistante de ce que nous diffusons. Ce n’est pas la vocation originale de la radio de parler de ces sujets.

 

L’indépendance sur place est contrôlée. Nous avons eu de la chance en 8 ans d’existence de ne jamais avoir connu d’interférences ou d’intimidations. Les autorités kurdes n’ont jamais interféré sur le contenu que nous diffusions à l’antenne. 

 

L'indépendance de Radio Al-Salam

 

Pour autant, nous savons que nous devons être prudents sur la façon dont nous traitons certains sujets. Nous n’évoquons que très peu de sujets politiques. Ils nous concernent finalement assez peu, car notre but est de raconter l’Irak à hauteur d’homme et d’avoir une approche humaniste des réalités du pays. Nous ne nous focalisons pas sur les éléments politiques.

 

Nous évitons de nous aventurer sur des sujets qui ne nous apporteraient rien.

Les journalistes restent prudents à ne pas se mettre dans des situations où ils pourraient avoir des difficultés vis-à -vis des autorités. L’Irak est aujourd’hui dans les 10 pays les plus mal classés au classement de la liberté de la presse selon RSF.  Les intimidations de journalistes et emprisonnements existent. Nous n’en avons pas subi et ferons en sorte de ne pas en subir. Nous évitons de nous aventurer sur des sujets qui ne nous apporteraient rien.

 

En faisant le pont entre les différentes cultures et religions, rencontrez-vous des détracteurs de la radio qui ne comprennent pas le message que vous essayez de transmettre?

 

L’idée est de lancer une option supplémentaire à toute l’étendue médiatique actuelle, libre aux gens d’écouter ou non.

Je ne crois pas que la radio ait de critiques à proprement parler. C’est sûr, nous produisons du contenu contre-intuitif. Ici, il est davantage dans l’ADN de quelqu’un d’écouter une radio de sa communauté, qui parle sa langue et de suivre des journalistes de sa religion. Nous ne sommes pas la radio la plus écoutée d’Irak ou du Kurdistan.

 

Nous proposons simplement quelque chose de différent qui n’est fait nulle part ailleurs dans le pays. L’idée est de lancer une option supplémentaire à toute l’étendue médiatique actuelle, libre aux gens d’écouter ou non. 

 

Un reportage de Radio Al-Salam

Les Irakiens et les Kurdes ne sont pas dupes. Ils savent que leurs médias sont très partisans. La plupart des Irakiens consultent plusieurs médias liés à différents camps politiques, et confrontent les informations diffusées pour établir leur propre opinion. Une étude a été faite sur la façon dont les auditeurs percevaient notre radio et plus de 90% d’entre eux estiment faire confiance à Radio Al-Salam. En regardant les enquêtes de ce type concernant d’autres médias, la confiance ne ressort pas autant. 

 

Certains peuvent ne pas nous écouter... mais ils vont nous ignorer plutôt que de nous critiquer. 

Cela montre que les personnes comprennent que nous n’avons pas d’agenda politique ou religieux caché. Certains peuvent ne pas nous écouter parce qu’ils préfèrent écouter seulement la musique de leur communauté plutôt qu’un mélange de musiques kurdes, arabes, assyriennes, iraniennes, turques, occidentales… mais ils vont nous ignorer plutôt que de nous critiquer.