Dans le cadre de la trilogie “La vie après Daesh” qui documente la reconstruction après la guerre, lepetitjournal.com a rencontré le réalisateur Xavier de Lauzanne pour la sortie de son deuxième opus “En Toute Liberté”, le 8 mars. Le film suit une radio multi confessionnelle et indépendante dans le nord de l’Irak, Radio Al-Salam.
Quel est votre parcours et comment êtes-vous devenu réalisateur?
Je suis réalisateur de films documentaires pour le cinéma. Ce n’était pas mon métier à l’origine car j’ai fait des études hôtelières et ai travaillé pendant 10 ans dans l’hôtellerie. Puis je me suis tourné vers le cinéma et j’ai créé une société de production. Je me suis lancé dans le film documentaire d’abord pour la télévision, ensuite pour le cinéma.
En Toute Liberté est le 5e long-métrage documentaire que je sors au cinéma. Le film fait partie d’une trilogie de 3 films sur la reconstruction du lien social après la guerre selon trois points de vue: un point de vue politique (9 jours à Raqqa qui suit la jeune maire de Raqqa), un point de vue médiatique (En Toute Liberté qui suit Radio Al-Salam) et un point de vue éducatif (Mossoul Campus sur les étudiants de l’Université de Mossoul.
Comment vous est venue l’idée de faire la trilogie “La vie après Daesh” ?
L’idée vient du fait que je trouve que depuis plusieurs années nous sommes assaillis d’images de guerre. Il y a eu la guerre en Irak et la guerre en Syrie qui ont été terribles. Maintenant nous voyons des images de la guerre en Ukraine. Je trouve cela gênant que l’on traite de la guerre mais pas de ce qui se passe après. Une fois la guerre terminée, les médias viennent couvrir un autre conflit et les projecteurs s’éteignent. Or c’est à ce moment-là que les choses commencent à devenir véritablement intéressantes.
Le moment où les processus de réconciliation et de paix s’enclenchent représentent des enjeux extrêmement compliqués et difficiles. Mais les histoires sont passionnantes. Je comprends qu’il faille documenter la guerre, dénoncer les violences, apporter de l’aide aux victimes mais il faut aussi documenter la reconstruction. C’est important pour le moral de tout le monde.
Comment avez-vous entendu parler de Radio Al-Salam?
J’en ai entendu parlé par les organismes fondateurs de Radio Al-Salam. Elle a été créée par un collectif d’associations françaises: la Guilde européenne du Raid, l’Oeuvre d’Orient et Radio Sans Frontières. En allant sur place, j’ai surtout découvert le quotidien des journalistes qui animent la radio. J’ai découvert des jeunes engagés sur les questions de réconciliation, de coexistence. Ils essaient de diffuser un message qui est différent par rapport à ce que les autres médias diffusent.
Que retenez-vous surtout du tournage du film En Toute Liberté ?
J’ai été profondément marqué par cette déambulation avec l’un des journalistes, dans les rues de Mossoul. Je ne m’étais jamais confronté à une ville en ruine après la guerre. Je l’ai découvert sur place. J’ai été bouleversé de voir à quel point une ville, à notre époque, pouvait être complètement écrasée sous les bombes et disparaître intégralement.
Alors certes ce n’est pas tout Mossoul, ce sont surtout les vieux quartiers de Mossoul qui ont été détruits. Mais tout le patrimoine culturel et historique de la ville se trouvait là. Tout a été écrasé sous les bombes par la coalition internationale pour déloger les derniers combattants de Daesh. C’est extrêmement marquant et désolant de se retrouver confronté à un tel désastre. Même si ce sont des images que l’on voit régulièrement, le voir sur place est différent.
J’ai essayé de ne pas avoir le même point de vue que ce qu’on nous montre systématiquement des ruines. J’ai essayé de me focaliser sur les gestes de vie. C’est ce que j’ai fait à Raqqa pour le film 9 jours à Raqqa et c’est ce que j’ai essayé de faire à Mossoul. Je voulais déceler les gestes d’avenir et d’espoir qui peuvent exister dans ces ruines.
Quelles réactions espérez-vous provoquer ? Espérez-vous aussi inspirer d’autres personnes à être créatif?
Nous avons de formidables outils entre les mains qui peuvent être utilisés à bon escient comme à mauvais escient. C’est le cas avec internet mais aussi avec les médias. Ce documentaire est une manière de dire “regardez, sur un terrain inattendu, compliqué, vous avez un média qui essaie de porter un autre regard”. Il s’agit d’un petit média mais l’un des journalistes de la radio le dit “c’est un début”. Il espère que la radio servira d’exemple. Je cherche à promouvoir d’autres projets du même genre grâce à ce film.
Je serais heureux que l’on s’intéresse davantage à la réflexion d’après-guerre. On n’arrête pas de nous dire que le monde va mal et qu’il est violent. J’en ai marre. J’ai l’habitude de voyager et je ne vois pas les images que l’on nous montre. La grande majeure partie des personnes que je rencontre sont en faveur de la coexistence et pour la paix. La violence n’est pas majoritaire.
Être français dans de telles régions, est-ce un inconvénient ou un avantage?
Je ne parlerais pas d’avantage ou d’inconvénient mais disons qu’en tant que Français en Irak ou Syrie je peux me permettre d’avoir une position neutre. Je ne suis moi-même pas engagé dans leur guerre. Cela me permet d’avoir du recul par rapport à ce qu’il s’y passe.
Mais cela peut aussi devenir un danger. Nous passons par des filtres médiatiques, on ne sait pas tout ce qu’il se passe sur le terrain. Il faut faire attention à ne pas chercher des choses qui répondent plus à nos propres obsessions qu’à la réalité du terrain.
Le principe de me retrancher derrière des journalistes en laissant les Irakiens interviewer des Irakiens me permet d’être en observation et ne pas plaquer sur ces personnes-là des choses que j’aurais pu m’imaginer. C’est très courant en tant que journaliste ou cinéaste de se dire qu’on doit avoir un point de vue. Nous préparons nos projets suivant des points de vue qui ne sont pas toujours cohérents avec ce qu’il se passe réellement sur place.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le prochain opus?
Le troisième volet s’appelle Mossoul Campus. Le film se passe à l’université de Mossoul. Il y avait une grande bibliothèque, très connue dans la région, en son cœur. Elle a complètement brûlé sous Daesh. J’ai suivi les travaux de réhabilitation de cette bibliothèque en tant que symbole de la culture. Tout en suivant le quotidien de 4 étudiants, 2 garçons et 2 filles, qui ont vécu la période de Daesh à Mossoul. Aujourd’hui, ils sont très conscients de l’importance de l’éducation et de la culture en tant que rempart contre l'extrémisme, l’obscurantisme et le totalitarisme. La bibliothèque qui est en train de se reconstruire est un symbole de ce rempart et le socle de la renaissance et de la reconstruction de Mossoul.