Pour la sortie du 39e album des aventures de nos irréductibles Gaulois, Astérix et le Griffon, lepetitjournal.com est allé à la rencontre de Jean-Yves Ferri, qui signe le texte de sa cinquième BD des aventures d’Asterix et Obélix, en duo avec le dessinateur Didier Conrad. Départ vers le Grand Est enneigé à la rencontre du peuple sarmate et de leur animal totem, le mythique Griffon.
Selon la tradition Astérix, après un album de village, voici nos irréductibles Gaulois partis pour une nouvelle aventure. Pourquoi avoir choisi de les envoyer cette fois-ci vers le Grand Est ?
Déjà parce que cela n’avait jamais été fait. Et puis dans les scénarios que j’avais commencés, il y avait une ancienne piste qui me permettait d’utiliser la neige. Je voyais cela dans les pays scandinaves et finalement le scénario m’a emmené aux Sarmates. Je me suis dit que c’était l’occasion pour faire un album entièrement neigeux.
Vous avez lancé un vrai défi à Didier Conrad : « dessiner le froid »…
Je ne lui ai pas dit au début, je ne voulais pas l’effrayer. Je lui ai d’abord proposé un petit résumé de l’histoire et je lui ai expliqué que cela se passerait dans un univers enneigé. Bizarrement il a eu l’air d’apprécier. Cela lui permettait de se poser la question : « Comment rendre cet album lisible malgré cette contrainte de la neige ? ». Je pense qu’il s’en est bien sorti. L’album est riche de nombreux paysages avec des traitements différents de la neige.
Cet album reprend des codes du western. Peut-on parler d’un véritable Eastern ?
Astérix et le Griffon est un Estearn car il a cette ambiance des vieux westerns des années 50. Comme dans les films de John Ford où vous avez la colonne de la cavalerie qui avance et les peaux rouges juchés sur les collines. Mais nous avons pris le contrepied puisque nous partons vers l’Est, vers le Barbaricum, pays inconnu des Romains.
Il souffle aussi dans cet album un esprit de grande aventure. Les Gaulois sont un peu perdus dans ce territoire immense. Chose inédite puisqu’ils sont d’habitude plus en confiance et savent où ils mettent les pieds. Cela va leur faire perdre leurs repères.
Les Sarmates vivent un peu à l’opposé des Gaulois.
Ce voyage permet la rencontre avec un nouveau peuple : les Sarmates. Que peuvent apprendre les Gaulois de ce peuple nomade ?
Les Sarmates vivent un peu à l’opposé des Gaulois. Au fil des pages, on retrouve des personnages qui vivent comme des reflets de nos villageois : un porteur de rondins qui ressemble à Obélix, un vieux à Agecanonix ou un petit à Astérix. Mais le mode de vie des Sarmates est diamétralement différent. Les femmes sont des guerrières et les hommes restent au village où ils sont responsables de l’éducation des enfants. Cela va déstabiliser Astérix qui a l’habitude d’être le guerrier. Or la cheffe des guerrières sarmates lui fait bien comprendre qu’il n’est qu’un novice.
Les Sarmates ont un rapport à la nature et à la croyance également différent. Ils sont des adorateurs du griffon, que l’on comprend être un dieu totem de la nature. Ils veulent protéger ce totem de l’avancée des Romains matérialistes, qui n’ont aucune sensibilité envers la nature ou la croyance de ces peuples qu’ils considèrent barbares.
Dans cet album, comme dans les autres, nous cherchons toujours des thématiques qui résonnent avec l’époque. Il y a donc des allusions à de nombreux thèmes de société : le complotisme, l’écologie, le féminisme…, mais sans jamais venir prendre le pas sur l’histoire. Astérix est avant tout une aventure avec de l’action mais également des dialogues qui jouent sur des références un peu plus décalées.
Que représente pour vous ce griffon, animal mythique et totem des Sarmates ?
Du point de vue historique, le griffon a été employé et décliné dans plusieurs civilisations et ce, depuis des temps immémoriaux. Je suis parti du griffon représenté sur les vases grecs car c’est que connaissaient les Romains. Pour moi, ce qui est représenté est l’idée que ce faisaient les Romains de la nature. Cela me paraissait plausible qu’ils soient partis chasser ce griffon, comme ils l’ont fait pour les girafes ou les rhinocéros. Les Romains avaient une image presque utilitaire de la nature. Ils voulaient chercher un animal pour le montrer au cirque et pour la gloire de César.
Les Sarmates ont une vision complètement différente. Le griffon est pour eux le symbole de la pérennité de toute cette région. Ils se sont arrangés pour décourager les intrus grâce à cette légende et cette croyance.
Astérix n’est pas franchouillard
En quoi Astérix est-il devenu un symbole français à l’international ?
Les Français ont tendance à penser que nos Gaulois sont franco-français. Le succès d’Astérix à l’international démontre que ces aventures parlent à de nombreux pays et qu’Astérix n’est pas franchouillard. Goscinny a grandi en dehors des frontières françaises et a passé son adolescence en Argentine. Il avait de la France cette vision un peu exotique, avec du recul. Je vois en Astérix un regard sur la France.
Les Gaulois ont des caractéristiques très françaises : ils aiment râler, se battre les uns contre les autres… Goscinny aimait plaisanter mais il disait toujours qu’il ne se moquait pas des personnes elles-mêmes mais des stéréotypes qu’elles véhiculent. D’ailleurs, les Français représentés ne sont pas renfermés. Ils sont ouverts au voyage et toujours prêts partir aider un ami.
Recevez-vous d’ailleurs des témoignages de lecteurs à l’étranger ?
Je reçois parfois des témoignages de lecteurs venant de l’étranger. Astérix vient, par exemple, d’être relancé en Argentine avec une nouvelle traduction. Les Argentins n’avaient accès jusqu’à présent qu’à la version espagnole, qui ne correspondait pas au niveau des expressions. Il y a eu un accueil dithyrambique car les Argentins avaient l’impression d’avoir été privés d’Astérix.
Le message d’amitié et de fraternité d'Astérix est universel
Astérix est l’une des oeuvres les plus traduites au monde. Avez-vous un contact avec certains traducteurs ?
Il arrive que des traducteurs pris de violentes migraines m’appellent. Il est très difficile pour eux de traduire les calembours. Bien souvent, ils sont obligés de faire l’impasse sur certains passages ou doivent trouver autre chose. Dans l’album, vous avez cette phrase : « il ne faut pas prendre l’Helvétie pour des gens ternes ». Bien que la phrase soit très drôle, elle est absolument impossible à traduire. Leur travail est de rattraper par un autre gag pour garder l’esprit de la page. Je comprends parfois lorsqu’ils s’affolent un peu.
Mais le succès international réside aussi dans son adaptation. Chaque traduction permet de mettre Astérix à la sauce du pays, avec ses propres expressions et références. Le message d’amitié et de fraternité, lui, reste universel.