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Eva Nguyen Binh: « La culture a un rôle encore plus fort à jouer à l’heure actuelle »

La présidente de l'Institut français Eva Nguyen BinhLa présidente de l'Institut français Eva Nguyen Binh
Écrit par Maël Narpon
Publié le 29 mars 2023, mis à jour le 30 mars 2023

« Il ne faut pas perdre le fil du dialogue, le fil du contact, le fil de la connaissance des autres. » Pour sa présidente, Eva Nguyen Binh, la mission culturelle de l’Institut français est plus pointue que jamais en cette période post-covid tendue. Entre transition écologique, égalité hommes-femmes, dialogue avec l’Afrique et soutien des ICC, une année chargée attend l’institution bien connue des Français de l’étranger. 

 

L’Institut français et sa présidente Eva Nguyen Binh ont fort à faire en 2023 avec de nombreux projets à l’international ainsi qu’une évolution plus marquée de l’institution elle-même et de ses idéaux. En plein changement de locaux à Paris, les thématiques ne manquent pas avec la question de la transition écologique, le souci de l’égalité hommes-femmes, le dialogue Afrique-Europe, et l’accompagnement des industries culturelles et créatives (ICC). Eva Nguyen Binh balaie tous ces sujets à travers cette interview pour lepetitjournal.com. 
 

La présidente de l'Institut français Eva Nguyen Binh

 

En cette période post-pandémique mais de conflits, quelle est la mission de la culture française à l’international ? 

La mission de l'Institut français reste de promouvoir la culture française à l'étranger et d'encourager le dialogue entre les représentants et les créateurs de la culture française et leurs homologues étrangers. Dans ce contexte de crise, on peut se poser la question suivante : est-ce que cette mission évolue? Pour moi, elle évolue forcément dans la mesure où cette période post-covid a vu émerger une grande demande d'export pour des projets, pour des personnes, pour des créateurs qui ont été empêchés de bouger pendant quelques années. Nous notons un vrai besoin de reprendre des parcours de mobilité pour gagner de la visibilité à l'étranger. Il faut savoir que pour certains types de secteurs culturels, l'international est un élément important du développement de la carrière, du développement d'un projet et du business model. 

 

Nous sommes aussi convaincus que la culture a un rôle encore plus fort à jouer en ces temps géopolitiquement troubles car il ne faut pas perdre le fil du dialogue, le fil du contact, le fil de la connaissance des autres. Quand les autres voient le dialogue rompu, que reste-t-il ? Parmi nos missions, nous avons la culture au sens large, le dialogue avec la société civile prend une place très importante. Cela peut concerner la société civile culturelle, mais aussi la société civile en général, comme les entrepreneurs. Nous maintenons ce lien avec les sociétés civiles et encourageons les dialogues de sociétés civiles à sociétés civiles. La mission n'a donc pas varié, mais son besoin est sans doute devenu plus pointu.

 

Je n'ai pas l'intention d'imposer une façon de voir, mais je pense qu'il faut aussi mettre l'accent sur la projection dans un monde qui peut être positif.

Pourquoi est-il important pour l’Institut français de s’engager pour la transition écologique ? 

Je pense que, quand on est une institution, on se doit de donner l’exemple, surtout dans un contexte où il faut œuvrer contre l’urgence climatique. Il nous faut réinventer des modèles de société. Il s’agit d’une conviction plus personnelle mais elle rejoint celle d’énormément de personnes. Il faut aussi essayer de se projeter dans d'autres formes de sociétés, dans d'autres formes de relation aux autres, à la nature. Un thème qui monte et sur lequel je me penche est notamment la relation au vivant. Or, pour se projeter dans ce que l'on va appeler des "nouveaux imaginaires", qui de mieux que des artistes, des auteurs, des penseurs, des créateurs d'histoires et d'imaginaire? Je trouve qu'ils ont beaucoup à nous montrer pour ouvrir des voies, pour nous faire comprendre des choses. A travers les artistes, il est possible de faire passer beaucoup de messages. Je n'ai pas l'intention d'imposer une façon de voir, mais je pense qu'il faut aussi mettre l'accent sur la projection dans un monde qui peut être positif. C'est difficile aujourd'hui de penser à un monde positif.

 

Nous voyons qu'il y a une espèce d'envie de montrer les choses aussi belles qu'elles pourraient l'être si nous agissions, et pas seulement le scénario catastrophe. Je pense qu'il est important de montrer des images positives pour motiver les populations. Je m'aperçois que nous avons un rôle de levier à l'Institut français car nous soutenons des projets, travaillons avec énormément de partenaires, et sommes également une espèce d'articulation entre les milieux créatifs et nos ministères. Il est important d'être en phase avec les enjeux de son époque et de se dire quel rôle on peut jouer en tant qu'institution face à ces enjeux. 

 

Les équipes de l'Institut français avec en premier plan la présidente Eva Nguyen Binh

 

L’égalité hommes-femmes est-elle également un axe majeur mis en avant ? 

De la même manière que pour la transition écologique, on ne peut pas passer à côté des enjeux de notre époque en matière d’égalité hommes-femmes. Avant mon arrivée à l’Institut français, des choses avaient déjà été mises en place dans cette optique, mais aucune feuille de route structurée n’avait été établie. Que ce soit pour l’urgence climatique ou pour l’égalité hommes-femmes, nous disposons maintenant de feuilles de route bien définies. Un comité RSE a notamment été mis en place à l’Institut français. Ce n’est pas facile car cela implique de changer les habitudes. C’est déjà à l'œuvre depuis plusieurs mois. Dans notre cas particulier, le sujet est de recruter plus d’hommes, car nous avons 75% de femmes. Ensuite, nous incluons une clause sur l’égalité hommes-femmes, et sur la transition écologique, dans tous les partenariats que nous concluons. Nous veillons également à promouvoir cette égalité, c’est un réflexe à avoir. Nous essayons d’entraîner avec nous tous les Instituts français qui veulent l’être dans cette dynamique. Beaucoup ont déjà lancé des initiatives allant en ce sens, mais ce n’est pas le cas de tous. 

 

Comment vont s’orchestrer le renouvellement du partenariat avec l’Afrique et les dialogues entre Afrique-Europe ? 

Nous avons lancé une nouvelle initiative avec les forums “Notre futur”. Nous les organisons toujours avec des partenaires locaux et avec des personnes qui ont envie de s’engager dans ce dialogue. Nous échangeons sur des sujets que nous estimons communs. Le point de départ est que nous faisons face aux mêmes défis : la transition écologique, le développement, la mémoire, la culture etc. L’avenir nous appartiendra à tous, ou il ne sera pas. Le but est donc de trouver comment avancer ensemble pour trouver des solutions. Nous avons déjà tenu trois forums en Afrique du Sud, au Cameroun et en Algérie. Dans ce dernier pays, le forum a réuni des personnes venant d’un peu partout dans le monde, ce qui rendait la chose encore plus intéressante. Nous sommes maintenant en train de travailler sur un bilan de ces trois premiers forums pour compiler toutes les idées qui en sont ressorties et en faire une suite pratique. D’autres forums sont déjà prévus pour la fin de l’année. L’idée est d’en organiser trois par an sur trois ans. Tout cela s’inscrit très bien dans le sillage du Nouveau Sommet Afrique-France qui s’est tenu à Montpellier et était plus tourné vers l’action. 

 

Nous sommes en transformation, à l’image du monde - et il ne peut pas en être autrement

Quelles sont les actions mises en place pour soutenir les industries culturelles et créatives françaises ? 

Si l’on a en tête la définition de l’UNESCO des industries culturelles et créatives (ICC), c’est très large. Cela va du peintre dans son atelier à l’industrie cinématographique. Nous cofinançons des projets pour exporter des spectacles, des artistes et des expositions à l’étranger. Cette notion d’ICC a pris un nouveau tournant il y a quelques années pour mettre en avant l’impact économique de la culture et des arts, qui créent des emplois et génèrent des revenus. 

 

Nous avons notamment lancé le programme “ICC Immersion”, que l’on finance dans le cadre du plan d’investissement “France 2030”. Il s’agit d’un programme en partenariat avec Business France visant à soutenir des ICC qui veulent s’exporter. Les côtés économique et artistique sont donc en train de collaborer. Nous avons choisi quatre pays pilotes, à savoir la Corée du Sud, le Canada, le Royaume-Uni et l’Australie. Nous ouvrons des appels à candidature pour les entreprises intéressées, puis nous leur fournissons un accompagnement à distance et ce jusqu’au pays choisi avec un programme haut de gamme. La première délégation vient de rentrer de Corée du Sud et a apparemment suscité un grand enthousiasme. 

 

Que peut-on souhaiter à l’Institut Français en cette année 2023 ? 

L’Institut français est au milieu de plein de changements. On peut donc lui souhaiter de réussir sa mue. Nous sommes en transformation, à l’image du monde - et il ne peut pas en être autrement. De plus, c’est tout un processus, le point d’arrivée évoluera probablement en cours de route. 

 

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