A la présidence de l’Institut français depuis juillet 2021, Eva Nguyen Binh travaille pour un réseau en pleine transition et prêt à faire face aux nombreux défis qui questionnent l’avenir du secteur culturel français à l’international. Avec pour focus la co-construction, la diversité française mais aussi la transition écologique, la diplomate revient avec nous sur une année anniversaire très chargée.
En quoi votre parcours jusqu’à présent nourrit aujourd’hui vos réflexions et stratégies à la tête de l’Institut Français ?
Je suis diplomate depuis 1994. Au début des années 2000, j'ai choisi, au sein du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, la filière de la coopération internationale qui recoupe les coopérations culturelle, universitaire, de recherche mais aussi technique. Je connais donc très bien les mécanismes et les interlocuteurs de ce domaine. J'ai été en poste dans cette filière à la fois à Paris et à l’étranger. J'ai été notamment conseillère de coopération culturelle et puis directrice de l'Institut français au Vietnam pendant quatre ans. J'ai également été ambassadrice de France au Cambodge pendant quatre ans. Si je couvrais tous les secteurs pour ce poste, j’ai accordé une attention particulière à la coopération.
J'ai été témoin de la transformation de la coopération et la réforme de ses services au sein du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères. Nous sommes passés d'une politique axée sur la diffusion à une politique très centrée sur le partenariat. Nous sommes aujourd’hui réellement dans la co-construction.
J'ai aussi eu un poste dans l’industrie, chez Michelin, où j'étais en charge des affaires publiques et des relations avec les gouvernements. Même si cela est éloigné de la coopération culturelle, cela m'a donné une approche du secteur privé qui est, à mon avis, très intéressante quand on doit gérer un établissement, avec des optiques de management, de ressources humaines mais aussi de gestion budgétaire.
A l'Institut français à Paris, nous sommes à l'articulation entre la diplomatie et la culture, entre la stratégie et le montage de projets et entre la France et l'international. Toutes les étapes de mon parcours m’ont permis d’acquérir une expérience qui m’est aujourd’hui très utile à la présidence de l’Institut français.
Nous voulons également contribuer à la diversité culturelle et au dialogue des cultures
En quoi est-il essentiel pour vous que l’Institut Français oeuvre à la diversité culturelle dans le monde mais aussi représente la diversité des cultures francophones ?
Les grandes missions de l'Institut Français à Paris sont de soutenir et de promouvoir l'internationalisation des artistes, des créateurs des industries culturelles françaises à l'étranger via les Instituts français mais aussi les Alliances françaises, les services de coopération des ambassades et centres culturels binationaux. Nous soutenons en effet leur programmation. Nous voulons également contribuer à la diversité culturelle et au dialogue des cultures. Nous considérons que la pluralité des cultures et des expressions est une richesse. Nous ne voulons pas d’une homogénéisation des cultures et nous soutenons la promotion de ce dialogue entre les différentes cultures. Nous avons besoin de nous connaître pour nous comprendre.
Nous soutenons l'internationalisation des artistes français à l’étranger mais aussi leurs rencontres avec des artistes et des partenaires locaux. Des artistes étrangers sont également invités en France, ce qui leur permet d’ouvrir leurs horizons. Quand ils repartent dans leur pays, ils deviennent en quelque sorte des ambassadeurs de la France. Nous apportons une attention particulière aux artistes de la francophonie, avec des programmes spécifiques qui contribuent au rayonnement de la langue française.
Nous avons également mis en place une action particulière pour les cultures ultramarines, qui font partie de la diversité de la société française. Nous faisons attention à promouvoir la France dans toute sa diversité. Les acteurs de la culture ultramarine bénéficient d’un soutien particulier car leur situation est particulière. Le transport mais aussi l'accès à l'information y sont plus compliqués. L'insertion dans les circuits et dans les réseaux est plus complexe.
Comment voyez-vous le rayonnement culturel français dans un monde toujours déchiré par la pandémie mais aussi les conflits ?
Le Covid-19 a permis de mettre le doigt sur des problématiques qui commençaient à émerger mais que l’on ne percevait pas encore clairement. Cette crise a été un accélérateur de tendances. Pendant la pandémie, l’Institut français a passé tous ses programmes en virtuel. Mais le virtuel ne peut remplacer la rencontre en personne. Aujourd'hui, les mobilités reprennent dans de nombreux pays, même si cela n’est pas aussi simple qu’avant, voire toujours impossible pour certaines destinations. Le rayonnement culturel français a dû prendre un tournant différent.
Nous avons constaté que certains de nos programmes comme Culturethèque, notre bibliothèque en ligne, et IFCinéma, une offre de films français, ont vu leur demande exploser dans le monde. Les personnes ont été enfermées chez elles, ont pris l’habitude d’un mode de vie plus casanier et ont apprécié nos offres culturelles en ligne. Ces programmes ont vu leurs abonnements bondir et cela devrait durer. Nous devons aujourd’hui trouver un équilibre entre ce que nous faisons à distance et en présentiel.
Les relations internationales ont également évolué. Les tensions géopolitiques se sont imbriquées et le rayonnement culturel français a évolué. S’il reste fort dans de nombreux pays, il ne faut pas s’attendre à ce que cela soit acquis. Il faut donc nous demander ce que les gens attendent de la culture française. Pour certains pays, on recherche la culture française classique, pour d’autres davantage d’innovation. La richesse culturelle française est telle qu'il y en a pour tous les goûts !
J'ai souhaité que le changement climatique et la transition écologique soient des thèmes forts et transversaux à l'Institut Français
Est-ce que la mobilité artistique et culturelle est-elle aujourd’hui bouleversée ?
Elle l’a été et l’est toujours depuis la pandémie. Nous ne pouvions pas nous déplacer. Les questions géopolitiques et sécuritaires comme la guerre en Ukraine ou les conflits en Afrique, ne peuvent pas non plus être ignorées. Une troisième dimension a également émergé, celle de l’impact de la mobilité sur l'environnement et sur le changement climatique.
Il s’agit aujourd’hui d’un sujet majeur au sein des milieux culturels. J'ai souhaité que le changement climatique et la transition écologique soient des thèmes forts et transversaux à l'Institut Français, non pas que ce soit le cœur de nos missions, ni que ce soient des projets culturels en tant que tels. Ce sujet doit pourtant s'imposer à nous dans tout ce que nous faisons. Nous n’avons pas de solution miracle et nous sommes en pleine réflexion sur le sujet. Nous devons donc y réfléchir tous ensemble et répondre à ces questions : « devons-nous continuer à nous déplacer en avion ? Que devons-nous manger ? Quel type d’oeuvres devons nous promouvoir ? Quels sont les messages importants ? ».
Nous avons donc développé des projets dans le volet culturel de la PFUE
Quelle est l’implication de l’Institut Français dans la Présidence Française du Conseil de l’Union européenne (PFUE) ?
Le président de la République, Emmanuel Macron, a axé sa présidence française de l’UE autour du triptyque : puissance, relance et appartenance. Nous avons donc développé des projets dans le volet culturel de la PFUE. Ces projets sont reliés en particulier au sujet de l’appartenance, et tournent autour de la valorisation du tissage des liens humains au sein de l'Union européenne. Les Instituts français ont également porté leurs propres évènements localement.
Nous sommes européens et appartenons à un même ensemble, mais comment nous en rendons nous compte ? Ce questionnement est réel et pour certains relève de la défiance. L’appartenance à un ensemble est quelque chose qui doit finalement se ressentir et non être décrété par une institution. Nous avons donc lancé un appel à la créativité européenne dans tous les pays de l’UE. Nous avons soutenu des projets pluridisciplinaires avec des expositions, des travaux sur la mode ou encore le patrimoine européen. Nous avons également été le maître d'ouvrage de l'aménagement des bâtiments du Conseil de l'Union européenne à Bruxelles, avec des studios d'artistes et de graphistes. Ce projet s’appelle l'étoffe de l’Europe, un beau titre qui représente les liens que nous tissons entre les pays.
Nous avons également lancé de grands débats d’idées avec, par exemple, la nuit des idées, le 27 janvier dernier, qui se tenait pour la première dans toute l’Union européenne. Nous avons pu y faire dialoguer des spécialistes de tous les pays de l’UE sur le thème « (re)construire ».
Le 5 mars, nous avons organisé le Café Europa dans des cafés emblématiques de l’Union européenne avec des débats sur le thème de l’information et des médias.
Le 12 mars, au Collège de France, deux jeunes de chaque pays de l’Union européenne ont fait des propositions et ont débattu avec des experts sur l’avenir de l’Europe, devant une salle remplie de plus de 400 personnes.
Nous souhaitons atteindre tous les publics et en particulier les jeunes.
Pourquoi l’Institut Français a-t-il décidé de miser sur les leviers numériques du développement culturel ?
Je ne reviens pas sur la pandémie qui a bien entendu accéléré la mise en place du numérique. Au-delà de cela, nous passons déjà une bonne partie de notre vie sur le numérique, avec nos téléphones, en visioconférence, nous parlons aujourd’hui de NFT et les réseaux sociaux sont un des plus importants vecteurs pour diffuser l’art, en particulier Instagram et TikTok. Tout cela a un impact sur les pratiques culturelles. Il y a un renouvellement très profond des pratiques, des publics et des façons d'appréhender la culture. Nous devons en tenir compte et nous approprier ce nouveau langage. Nous souhaitons atteindre tous les publics et en particulier les jeunes.
Il y a cependant un équilibre à trouver notamment à cause de la pollution numérique qui concerne en particulier l’achat d’équipement, le stockage des données et la diffusion de vidéos. Nous devons appréhender ces nouveaux défis. L’Institut français doit s’en emparer. Nos partenaires attendent cela de nous et nous soutiennent face à ces changements.
Quelles sont les perspectives de l’Institut Français et de son réseau pour l’année 2022 ?
En 2022, nous fêtons le 100ème anniversaire de ce qui est aujourd'hui l'Institut Français, c’est-à-dire l'opérateur du gouvernement français pour la politique culturelle extérieure. En 1922, l’Association française d'action artistique (AFAA) a été créée. Aujourd’hui, nous sommes sous la tutelle du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères et du ministère de la Culture. Après diverses réformes, nous sommes devenus l'Institut Français en 2010.
Au départ, l’AFAA se concentrait sur la diffusion d'artistes français et de la culture française. Aujourd'hui, l’Institut français se concentre sur la création de nombreux partenariats et la co-construction. Le débat d’idées a également aujourd’hui une place très importante au sein de l’Institut français. Il est essentiel pour nous d’expliquer ce qu’est la France, d’expliquer qui nous sommes aujourd’hui dans toute notre diversité et tous nos questionnements. Nous aimons les débats et les artistes et créateurs français portent les thèmes de l’inclusion, du genre, de la liberté, du changement climatique et de la transition écologique dans leurs oeuvres. L’un de nos défis est de voir quelle image nous véhiculons de la France et quel narratif est porté à l’étranger.
Notre équipe au sein de l’Institut français est formidable et se tient au service du réseau, des créateurs, des industries culturelles et de nos partenaires. Mais nous sommes également là pour les Français et les francophones à travers le monde, qui sont de vrais ambassadeurs de la culture française.